Ces expériences de psychologie menées notamment sur des singes consistent typiquement à séparer un nouveau-né de sa mère et à l'élever en isolement pendant des mois ou des années, sans contact d'aucune sorte avec d'autres individus humains ou de son espèce. Voici le résultat, d'après R. Chauvin :
(...) Les lésions du comportement sont énormes et constituent probablement un modèle animal de l'autisme humain, ce qui contribue à leur puissant intérêt.
En deux mots, les jeunes singes isolés durant leur enfance et réunis ensuite à leurs congénères présentent des troubles énormes du comportement social : ils ignorent le rituel de menace et le rituel d'apaisement, se livrent à des attaques démentes contre des singes beaucoup plus forts qu'eux (...) [1].
Ce « modèle animal » fut inventé dans les années 1950 par le chercheur américain H.F. Harlow, qui déclarait vouloir étudier « la nature de l'amour ». Les chercheurs sont friands d'expériences susceptibles d'infinies variations, comme ici sur les conditions et la durée de l'isolement, les méthodes de guérison, etc. Par exemple, Harlow lui-même étudia le remplacement des vraies mères par des mères en peluche :
(...) quatre mères-monstres de remplacement furent créées. La première tanguait si violemment que les dents et os du bébé claquaient à l'unisson. La seconde éjectait de l'air comprimé contre le visage et le corps du bébé avec une telle violence qu'il semblait que le bébé allait se dénuder. La troisième avait un cadre en acier qui, régulièrement ou sur commande, surgissait pour rejeter le bébé par terre. La dernière, régulièrement ou sur commande, éjectait des piques en laiton de sa surface ventrale, une forme abominable de tendresse maternelle (...) [2].
Malgré toute l'inventivité de Harlow, les enfants s'accrochent à leur « mère » ou retournent vers elle :
Ces résultats, notent les expérimentateurs, ne sont pas étonnants, puisque le seul recours pour un enfant en détresse est de se cramponner à sa mère [3].
Harlow a poursuivi ce genre d'expériences pendant longtemps :
Dans une publication datant de 1972, Harlow et Suomi disent que puisque la dépression chez les humains a été caractérisée comme comportant « un état d'impuissance et de désespoir, l'impression d'être au fond d'un puits de désespoir », ils avaient conçu « sur une base intuitive » un dispositif pour reproduire un tel « puits de désespoir », tant physiquement que psychologiquement [4].
Les émules de Harlow restent nombreux, et ces expériences soulèvent peu d'objections éthiques chez ses collègues. R. Chauvin lui-même les qualifie seulement d' « assez cruelles [5] », sans les condamner, en mettant au contraire en relief leur « puissant intérêt ».
Les expériences de psychologie se font bien sûr toujours sans anesthésie.
Les tests de DL50 mesurent le degré de toxicité aiguë d'un produit, plus exactement la quantité qu'il faut administrer pour que 50% des sujets meurent empoisonnés dans les jours suivants. Le produit sera n'importe quelle substance nouvelle ou nouveau mélange dont la commercialisation est envisagée ; il s'agit d'une « étude toxicologique de routine », comme le dit F.C. Lu dans le chapitre 6 ( « Etudes de toxicologie conventionnelle ») de Toxicologie, éd. Masson, 1991, dont sont extraites les citations qui suivent.
Qui sont les sujets employés ?
Ce sont en général le rat et la souris qui sont sélectionnés pour déterminer la DL50. Cette préférence tient à des raisons économiques, aux facilités d'obtention et de manipulation, et à l'abondance des données toxicologiques qui facilitent la comparaison des toxicités entre molécules différentes.
« L'administration orale par gavage est la plus fréquente. » Un essai comporte 40 à 50 sujets, et plusieurs essais sont nécessaires pour trouver par tâtonnements des doses qui tuent entre 10 et 90% ; de là est déterminée la DL50. Un produit ne donne pas lieu à une seule détermination car il y a de nombreuses variantes à essayer, et aussi, les résultats ne sont pas toujours publiés. F.C. Lu mentionne une expérience non publiée de 100 déterminations sur le malathion pour voir s'il y avait des « différences entre lots » de rats.
L'utilité de ce test, qui tue dans le monde des millions de rats et de souris chaque année, est largement contestée, mais on le pratique quand même, parce qu'il donne un chiffre simple. Il sert en particulier comme prélude à la « programmation des études de toxicité subaiguë et chronique chez les animaux », et à ce titre, F.C. Lu conseille de noter les signes de toxicité et les organes atteints ; il donne à cette fin le tableau suivant, qui exprime bien quel effet cela peut faire d'être empoisonné :
Organe/ système | Signes cliniques |
---|---|
Système nerveux autonome | Relaxation de la membrane nyctitante, exophtalmie, jetage nasal, ptyalisme, diarrhée, émission d'urine, piloérection |
Système nerveux central | Abattement, prostration, position assise tête haute, regard fixe, tête penchée, dépression sévère, toilettage excessif, rongement des extrémités, palpitations, irritabilité, comportement hostile (agressivité ou réactions de défense), crainte, confusion mentale, activités anormales |
Système nerveux sensoriel | Hypersensibilité à la douleur, réflexes comportementaux accrus ; hyperesthésie, nystagmus, phonation |
Système neuromuscul. | Activité accrue ou diminuée, fasciculation, tremblements, convulsions, ataxie, prostration, queue dressée, faiblesse et douleur des membres postérieurs, réflexes des membres postérieurs absents ou diminués, opisthotonos, tonus musculaire, mort |
Appareil cardiovasculaire | Rythme cardiaque modifié, cyanose, vasoconstriction, vasodilatation, hémorragies |
Appareil respirat. | Hypopnée, dyspnée, halètement, apnée |
Oeil | Mydriase, myosis, pleurs, ptosis, nystagmus, cycloplégie, réflexe pupillaire |
Appareil digestif et urinaire | Ptyalisme, nausées, diarrhées, urine et selles sanglantes, constipation, écoulement nasal, vomissements, miction et défécation involontaires |
Peau | Piloérection, frissons, érythème, œdème, nécrose, gonflements |
Pour pouvoir observer chez les animaux ce catalogue de souffrances, il faut, bien sûr, qu'ils ne soient pas anesthésiés. Cela est d'ailleurs la règle en toxicologie, un des domaine de recherche qui utilise le plus de sujets.
J.H. Draize est un toxicologue américain qui a standardisé depuis les années 1950 divers tests sur animaux, mais dont le nom est surtout resté attaché à un « test d'irritation oculaire ». Le but en est d'évaluer l'effet irritant ou corrosif de toute substance pouvant venir en contact avec les yeux, entre autres des produits ménagers et cosmétiques - ce test est donc très utilisé par les fabricants de ces produits.
On utilise le lapin, parce que ses yeux produisent peu de larmes. Citons encore F.C. Lu, Toxicologie, éd. Masson, Paris, 1991, chapitre 15 :
Le test décrit par Draize et Kelley (1952) a été une procédure standard pour tester l'irritation oculaire. Il nécessite l'utilisation de neuf lapins ; dans un œil de chaque lapin, on instille 0,1 ml du produit à tester ; chez trois animaux, le produit est ensuite lavé avec 20ml d'eau tiède 2 secondes après l'instillation, et pour trois autres, 4 secondes après l'instillation ; chez les trois derniers, le produit est laissé au contact de l'œil. Les réactions oculaires sont appréciées à l'œil nu ou à l'aide d'une fente lumineuse pendant 1, 2, 3, 4, et 7 jours après le traitement. Les réactions de la conjonctive (rougeur, chémosis et sécrétion), de la cornée (degré et ampleur de l'opacité) et de l'iris (congestion, gonflement et conjonctivite injectée de la région péricornéenne) sont mesurées selon un barème. Une série de vues en couleurs, fournie initialement par l' « U.S. Food and Drug Administration » (1965) comme guide pour une évaluation graduée de l'irritation oculaire a été reproduite par McDonald et coll. (1987).
En France, le Journal Officiel publie aussi une échelle de cotation.
Pendant les jours que dure le test, les lapins sont immobilisés, et ne sont pas anesthésiés. Dans le cas des produits effectivement irritants, l'œil se trouve sévèrement endommagé.
Un point dans ce passage m'a intrigué : pourquoi l'œil des lapins est-il examiné « 1, 2, 3, 4 et 7 jours après le traitement » ? À quelle nécessité scientifique, expérimentale, voire épistémologique, répond cette séquence ? Eh bien, je crois l'avoir devinée : si l'œil reçoit le produit lundi, son état d'évolution sera examiné mardi, mercredi, jeudi et vendredi, puis à nouveau lundi. Pratique. Draize et Kelley, bon bougres, respectent, à défaut des yeux de lapins, les week-ends de leurs collègues.
Cette présence du week-end comme critère méthodologique exprime bien le mépris de ceux qui pratiquent ces tests pour la souffrance non humaine. Celle-ci ne semble pas beaucoup émouvoir F.C. Lu lui-même, mais il note toutefois :
Devant les réactions défavorables du public pour l'utilisation des animaux dans les tests d'irritation oculaire, de nombreux tests in vitro ont été développés (...), mais [ils] nécessitent souvent un plus grand raffinement technique et demandent à être soigneusement validés.
Ainsi, quand un chercheur dit « on ne peut se passer de telle ou telle expérience », il faut souvent comprendre plutôt : « ça nous ferait revenir le week-end », ou : « ça coûterait plus cher », ou : « on n'a pas l'habitude ».
Rappelons enfin que l'Oréal, firme cosmétique dont le siège est en France, est un grand consommateur de lapins et fait l'objet d'un boycott international pour la forcer à abandonner les tests sur animaux. Ce boycott s'étend aux sous-marques : Vichy-Phas, Guy Laroche, Lancôme, Helena Rubinstein, Jeanne Piaubert, Garnier, Mennen, Scad, Biotherm, Diparco.
[1] Dans Des animaux et des hommes, Rémy Chauvin, éd. Seghers, Paris, 1989, p. 64. Passages mis en italique par R. Chauvin.
[2] H.F. Harlow, Learning to Love, éd. Aronson, New York, 1974, p. 38 ; cité par Gruen et Singer dans Animal Liberation : A Graphic Guide, Gruen, Singer, Hine, éd. Camden Press, Londres, 1987, p. 81.
[3] P. Singer, Animal Liberation, éd. Jonathan Cape, Londres, 1990, p. 33.
[4] Animal Liberation, p. 34.
[5] Des animaux et des hommes, p. 34.