Ce texte est paru le 1er juillet 1992 dans la section « Science » du quotidien italien La Stampa.
Un certain nombre de spécialistes reconnus de bioéthique ont souligné la distinction entre le fait d'être « humain » au sens biologique - c'est-à-dire membre de l'espèce Homo sapiens - et « humain » au sens philosophique - c'est-à-dire rationnel, autonome, et ainsi de suite. Non seulement Peter Singer, auteur du livre Animal Liberation, mais aussi Michael Tooley et James Rachels, ont remis en discussion la croyance enracinée selon laquelle le simple fait d'appartenir à une espèce différente de la nôtre constituerait une différence moralement pertinente.
Le babouin qui devait fournir son cœur pour la transplantation récemment envisagée sur un enfant (voir la section Science du 17 juin) est un être capable de souffrir, possédant conscience de soi, hautement doué d'un point de vue mental et émotionnel. Son utilisation dans le contexte médico-scientifique lui a probablement déjà causé la perte de tout lien familial et social, de la liberté et de tout ce qui pourrait être assimilé à une vie décente ; si la transplantation se réalise, elle lui causera une mort prématurée, et vraisemblablement du stress et de l'angoisse, à défaut de douleur.
Eh bien, nous ne retenons pas comme licite de traiter de cette façon un humain du même niveau de sensibilité et d'intelligence. Nous estimons que les autres êtres humains ne sont pas des moyens pour nos fins, et nous considérons comme tellement inadmissible l'idée de les utiliser comme instruments de recherche ou comme réserves d'organes que nous nous posons des problèmes éthiques même s'il s'agit d'un cas comme celui de Valentina, la fillette née anencéphalique et par conséquent totalement privée de conscience.
Mais si l'espèce n'est pas en elle-même moralement pertinente, qu'est-ce qui justifie la différence de traitement ? Depuis Aristote, on reconnaît comme règle fondamentale du raisonnement moral la norme selon laquelle les cas similaires doivent être traités de façon similaire. Qu'est-ce qui différencie le babouin choisi pour le prélèvement du cœur, à part le fait qu'il n'est pas membre de notre espèce, d'un être humain de même niveau mental, par exemple, d'un attardé mental sévère ?
Le principe formel de justice ne dit pas comment les êtres doivent être traités, mais implique que toute différence dans leur traitement doit être justifié. Quiconque veut continuer à soutenir qu'il est licite d'utiliser les animaux comme instruments, et en même temps qu'il ne l'est pas de faire de même dans le cas des membres attardés de notre espèce, est confronté à deux possibilités. Soit il doit argumenter que l'appartenance d'espèce suffit pour fonder la discrimination, auquel cas il aura ensuite des problèmes pour contrer la discrimination basée sur d'autres caractéristiques biologiques, comme la race ou le sexe ; soit il doit dégager une caractéristique moralement pertinente que possèdent tous les humains, y compris les enfants comme Valentina, sans que ne la possède aucun animal, y compris les chimpanzés.
Si, comme je le crois, aucune des ces deux voies n'est praticables, la seule qui reste ouverte pour celui qui accepte une bioéthique laïque sera celle de la reconsidération radicale du statut moral du babouin - et de tous les non humains.