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Cahiers antispécistes n°33 - novembre 2010

Théologie animale d’Andrew Linzey

Paru aux éditions One Voice en mai 2010

Théologie animale (246 pages, 20 euros) est vendu sur la boutique en ligne de l’association One Voice.
La Rédaction

Oxford, 1970

Norm Phelps dans The Longest Struggle (Lantern books, 2007), retrace la naissance du mouvement moderne de libération animale, dont le premier foyer fut l'Angleterre.
En 1964, Ruth Harrison publie Animal Machines, un essai consacré à l'élevage industriel. Son ouvrage devient une référence pour ceux qui en appellent à une réforme de l'élevage, comme pour d'autres qui en souhaitent la disparition, au même titre que celle de la chasse ou l'expérimentation animale.
A la fin des années 60 et au tout début des années 70, à l'Université d'Oxford, se rencontrent sur ces thèmes une poignée d'intellectuels, dont des étudiants, parmi lesquels figurent de grands noms de ce qui allait devenir le mouvement des droits des animaux. Ce qu'on nomma plus tard « le groupe d'Oxford » comprenait entre autres, Richard Ryder, Peter Singer, Stephen Clark et Andrew Linzey. Ce dernier était alors étudiant en théologie et secrétaire de l'Association végétarienne d'Oxford.


En 1971, paraît un ouvrage collectif émanant du groupe d'Oxford intitulé Animals, Men and Morals (parmi les personnes citées précédemment, seuls Ryder et Harrison comptent parmi les 13 co-auteurs). Dans l'introduction de cet ouvrage, on lit : « Une fois l'évaluation morale rendue explicite dans toute sa force, le meurtre [killing] des animaux ne peut plus recevoir aucune excuse rationnelle, qu'on les tue pour l'alimentation, pour la recherche ou par pur plaisir personnel. »
En avril 1973, Singer publie dans la New York Review of Books un commentaire de ce livre et forge à cette occasion l'expression « libération animale », qui deviendra le titre de l'ouvrage qu'il publiera aux Etats-Unis en 1975. L'année suivante (1976), paraît à Londres Animal Rights : A Christian Perspective d'Andrew Linzey.
Non seulement Linzey compte parmi les pionniers modernes des droits des animaux, mais il n'a jamais cessé jusqu'à ce jour de publier, d'enseigner et de favoriser la recherche sur ce thème. Depuis 2006, il le fait notamment dans le cadre de l'Oxford Centre for Animal Ethics, dont il est le fondateur et directeur.

Quarante ans plus tard

Il faudra pourtant attendre 2010 pour qu'un des livres de Linzey soit disponible en français. Grâce au courage éditorial de l'association One Voice, on peut désormais lire Théologie animale, traduit par Marc Rozenbaum : un écrit majeur de Linzey, dont l'édition anglaise remonte à 1994. L'auteur a rédigé une nouvelle préface pour l'édition française, dans laquelle il est question de René Descartes et de Victor Hugo.

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Le lecteur qui a déjà parcouru les écrits d'autres auteurs marquants de l'éthique animale contemporaine se trouvera en terrain à la fois familier et inconnu en découvrant Linzey.
Chez lui, comme chez d'autres, il est question des ravages du chauvinisme humain, de droits des animaux, de végétarisme, de mise en cause de la chasse ou de l'expérimentation animale, ou encore de nos interrogations morales face à la prédation.
Mais Linzey a des références et sources d'inspiration qui lui sont propres, ou qui sont plus rarement évoquées ailleurs, et une manière personnelle de réfléchir et d'argumenter. On le perçoit dès le premier chapitre de Théologie animale, intitulé « Respect de la vie, responsabilité et droits », qui s'ouvre par une discussion de la vision d'Albert Schweitzer confrontée à celle de Karl Barth (un théologien suisse du XXe siècle), avant qu'entrent en scène Aristote, la scholastique médiévale, Humphry Primatt (auteur, en 1776, d'une Dissertation on the Duty of Mercy and the Sin of Cruelty to Brute Animals), Richard Griffith (auteur de The Human Use of Animals, 1982) et Linzey lui-même.
La pensée s'appuie ainsi sur d'abondants écrits argumentatifs, anciens et modernes. On voit surgir aussi au fil des pages la citation de poèmes, l'évocation de romans, ou encore celle du film Entretien avec un vampire : ici, le dilemme de Louis, écartelé entre la soif de sang inhérente à sa nature et sa réprobation du meurtre, sert d'introduction à une réflexion sur la consommation de chair animale.
Le style et la manière de raisonner sont assez éloignés de ceux de textes très analytiques, où la comparaison et le décorticage des arguments, et la recherche des cohérences ou failles logiques, jouent un rôle de premier plan. D'ailleurs, lorsque Linzey s'avance sur ce terrain, il lui arrive d'être moins performant que lorsqu'il procède à sa manière. C'est ainsi qu'au chapitre 2, il introduit une distinction entre le « paradigme de l'égalité » (ou de l'égale considération), présent chez beaucoup de penseurs de la libération animale, et « le paradigme de la générosité », qu'il défend. A mon sens, l'auteur tend à exagérer la distance entre les deux point de vue, en imputant à tort aux tenants de l'égalité l'idée que ce principe demanderait l'égale répartition entre les sujets de ressources désirables, sans considération pour le fait que les besoins des uns peuvent être plus impérieux que ceux des autres.

Un théologien

Par rapport à d'autres grandes figures de l'éthique animale, la singularité de Linzey tient au fait que son approche est théologique. Pour lui, les droits des animaux sont affaire de justice divine. Les humains ne peuvent pas disposer à leur guise des animaux. La valeur des bêtes ne tient pas à la commodité que les hommes trouvent à s'en servir, mais au fait qu'elles ont de la valeur aux yeux du Créateur. Dieu aime toutes les créatures.
Selon Linzey, le courant dominant de la chrétienté (contesté depuis l'origine par des courants dissidents) s'est mépris sur le sens de la domination sur les animaux octroyée par Dieu aux hommes. Si l'espèce humaine est spéciale, ce n'est pas parce qu'elle serait la seule dont Dieu se soucie, ou celle qu'il aurait désignée pour tyranniser toutes les autres, mais parce qu'elle est l'espèce servante : celle qu'il a invitée à prendre soin avec lui des autres créatures. La priorité morale des faibles et l'amour par le don de soi qui ressortent de l'enseignement et de la vie du Christ doivent s'exercer aussi au bénéfice des bêtes.
Dans le chapitre 1 de la Genèse, Dieu donne l'herbe, les semences et les fruits comme nourriture aux humains et aux animaux. Le parasitisme, la prédation et la consommation humaine de chair animale appartiennent au monde déchu. De l'observation de la nature, nous n'avons pas à déduire que la prédation est belle ou moralement indifférente. Plutôt que de croire en un dieu boucher qui a voulu et béni un système de mort, il faut prêter attention à la dimension eschatologique de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ils portent l'espérance d'une rédemption du monde et de l'avènement d'un royaume de paix.

Aimerez-vous Théologie animale ?

Avant d'acheter (ou non) ce livre, vous pouvez faire un test gratuit qui vous aidera à savoir s'il a des chances de vous plaire. Lisez des extraits d'un autre ouvrage de Linzey, Evangile animal, paru en 1998 : on en trouve la traduction en ligne sur le site des Cahiers antispécistes, dans le numéro 28 de la revue.
Attention : il ne s'agit pas du même livre et ce ne sont que des extraits. Par ailleurs, dans les deux ouvrages, Linzey ne se limite pas à discuter d'interprétations des Ecritures. Il traite aussi de questions du monde d'aujourd'hui telles que la chasse, les manipulations génétiques, l'alimentation carnée ou la mission des Eglises. Cependant, les extraits d'Evangile animal parus dans le numéro 28 des Cahiers donnent un bon aperçu des thèmes centraux de la pensée de Linzey, qui apparaissent dans beaucoup de ses écrits, et sont particulièrement développés dans Théologie animale.

Un livre « pour chrétiens » ?

Ceux qui se reconnaissent dans la foi chrétienne seront probablement plus à même de profiter au premier degré de la vision de Linzey (quoi que « foi », « se reconnaître » et « premier degré » puissent bien vouloir dire dans cette phrase filandreuse). Pour autant, il n'est pas dit que les autres n'y trouvent aucun intérêt, ou que cet intérêt se borne à se réjouir qu'un théologien leur offre des munitions pour persuader plus aisément des chrétiens qu'ils ont des devoirs de justice et de charité envers les animaux.
Les mythes sont universels dans la pensée humaine. Nul n'est dénué de la faculté de comprendre ou d'imaginer à travers eux. Si l'on croit qu'aucune entité surnaturelle n'a contribué à forger ces récits du commencement de toute chose, pourquoi leur origine purement humaine leur ôterait-t-elle toute valeur et pouvoir d'inspiration ?

Sommaire abrégé de Théologie animale

Première partie – Principes de théologie

1. Respect de la vie, responsabilité et droits
2. La priorité morale des faibles
3. L'espèce humaine dans le rôle de serviteur
4. Une théologie de la libération pour les animaux
5. Les droits des animaux et la prédation

Seconde partie – Bousculer nos habitudes morales

6. Les expériences sur les animaux, des sacrifices pas très religieux
7. La chasse comme antiévangile de la prédation
8. Le végétarisme comme idéal biblique
9. Les manipulations génétiques comme maltraitance des animaux

Article mis en ligne le 13 août 2010

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