Enfin, une revue antispéciste grand public, à prix abordable et attractive ! Facile à lire, Pour l’égalité animale ne manque pourtant pas d’ambition, son objectif étant tout simplement celui qu’affiche son titre. En à peine plus d’un an, elle a déjà publié quatre numéros, dont nous rendons brièvement compte ici.
Dès le premier numéro (décembre 1996) était soulevée la question de l'importance politique à donner au sein du mouvement pour l'égalité animale au véganisme (refus individuel de consommation de tout produit impliquant une souffrance animale). Cette question a également souvent déjà été débattue au sein des Cahiers et du Bulletin intérieur de la Fédération antispéciste. Pour l'égalité animale prône le véganisme en faisant le pari que cela n'occultera pas pour autant la lutte politique. À nous, au contraire, il semble préférable [1] de ne pas trop insister sur le véganisme, en tout cas dans sa version « pure et dure » : la lutte antispéciste, pensons-nous, doit se donner pour but la révision à l'échelle de la société tout entière de la façon de considérer les animaux, et nous craignons que progressivement le mouvement n'en vienne à ne plus mettre l'accent que sur la façon dont, personnellement, chaque individue humaine peut lutter contre (ou simplement ne pas cautionner) l'oppression spéciste. Cette prudence n'est pas insensée : c'est ce qui s'est passé dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne et c'est ce à quoi le mouvement français est sans cesse confronté. Mais Pour l'Égalité animale explique clairement dans le numéro 2 ne pas vouloir tomber dans ce travers, et cette prudence devient plus évidente encore dans le numéro 3.
Le numéro 2 de la revue aborde une multitude de thèmes (l'avortement, le naturalisme, la difficulté sociale lorsqu'on est enfant à rester végétalienne, les petites exploitations fermières, les arguments du mouvement...). On y trouve aussi des débats contradictoires sur plusieurs sujets - tels le capitalisme ou cette question de la place à accorder au véganisme - et une revue de presse informée et critique.
Ce numéro nous apprend aussi l'existence d'un petit groupe de personnes se revendiquant de la libération animale tout en arborant un naturalisme triomphant et particulièrement réactionnaire, puisqu'elles veulent que nous suivions les prétendues « lois de Nature ». C'est en leur (saint) nom qu'elles condamnent le carnage pour la viande - les humaines étant censées être naturellement herbivores ; mais aussi des actes aussi divers que l'avortement, l'industrie capitaliste, l'homosexualité... Elles se revendiquent du courant international dit hard-line. Leur brochure s'appelle (en anglais) Retour en Eden, et est présentée comme suit : « Ce mouvement doit être libre de toutes inconsistances et contradictions, pur et rigoureux, et ne se basant pas sur notre propre opinion, mais (...) sur la Nature elle-même. » Comme le souligne à juste titre Pour l'Égalité animale, on retrouve facilement des idées semblables dans des groupes écologistes radicaux comme « Earth First ! » qui, eux, se sont fait leur place un peu partout au sein de la gauche (tout particulièrement en Allemagne et dans les pays anglo-saxons).
Le numéro 3 est un modèle de vulgarisation réussie : toujours explicitement égalitariste, il conjugue informations diverses avec des textes critiques de l'humanisme, du naturalisme ou bien encore de la défense animale tout à fait abordables. On y peut lire aussi un article de Virginie, membre de l'ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité), intitulé Qu'est-ce qu'un individu ? et qui questionne de façon très pertinente la notion d'humanité.
Le numéro 4 devient plus théorique et très polémique. Sa parution est encore trop récente pour qu'on en puisse d'ors et déjà en tirer le bilan politique. Toujours est-il qu'il ouvre de nombreuses pistes de réflexion passionnantes en ne se laissant pas arrêter par quelque tabou que ce soit. Le numéro 3 avait repris en page de couverture une phrase d'Isaac Bashevis Singer, prix Nobel de littérature : « Dans leur comportement envers les créatures, tous les hommes [sont] des nazis » ; cela avait suscité, on s'en doute, de nombreuses réactions. Le numéro 4 consacre donc trois articles très intéressants à I.B. Singer, à cette citation et à la critique de l'antisémitisme et de sa dénégation au sein de la gauche. Toute la famille d'I.B. Singer ayant été exterminée par les nazis, « lorsqu'il compare le massacre des Juives et Juifs à celui des animaux non-humains, ce n'est pas une parole innocente, hasardeuse, provocatrice. » La rédaction du journal conclut néanmoins que la référence au nazisme, même si elle a du sens, est dangereuse ; d'une part elle conforte aisément un antisémitisme latent, d'autre part elle valide l'usage idéologique nauséabond qui est fait du nazisme comme étalon de l'horreur permettant de démoniser nos ennemis et de blanchir nos propres atrocités. De façon générale ce numéro est consacré en grande partie à une attaque réglée contre l'idéologie humaniste, que ce soit comme version laïcisée du christianisme, que ce soit en critiquant le mépris humaniste des handicapées, ou bien encore en rendant compte de façon détaillée du nouveau livre de Peter Singer, Questions d'éthique pratique, dont les thèses morales sont trop rationnelles pour ne pas heurter nos reliquats de religiosité. On y peut lire aussi une critique des mouvements anglo-saxons (et particulièrement australiens) qui rejoint celle que nous publions dans ce numéro des CA en page 72, mais aussi divers courriers des lecteurs, un test Es-tu spéciste ? à la fois drôle et dur (il fallait oser !), et la présentation des derniers autocollants antispécistes de choc !
Les deux premiers numéros, tirés à 500 exemplaires chaque, sont pratiquement épuisés, mais les numéros 3 (oct. 97) et 4 (février 1998), publiés à 2000 exemplaires, restent disponibles.
Pour l'Égalité Animale constitue un bon support pour aborder l'antispécisme et est parfaite pour les tables de presse. La revue est ouverte à la participation de toutes. Son prix est de 10F (15F port compris) ; il est préférable de s'abonner, ce qui aide financièrement la revue, et on peut également la commander pour la diffuser ou la mettre en dépot en librairies :
Pour l'Égalité Animale, Mas Champion, 30580 Saint Just et Vacquières (l'adresse parisienne qui a été donnée dans le numéro 4 n'est finalement pas à utiliser) ; e-mail : julien.muel@hol.fr.
[1] Par contre, nous avons trouvé criticable la lettre que Pour l'Égalité animale n°1 propose d'envoyer aux organismes de financement de la recherche médicale contre le cancer. Cette lettre argumente simplement que l'expérimentation animale serait « cruelle et inutile ».