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Le texte auquel André Méry a répondu dans les pages qui précèdent faisait partie d'un débat portant sur les relation entre l'antispécisme et l'écologisme. Mais André Méry n'a pas tenu compte du thème de ce débat ; ces relations entre l'écologisme et l'antispécisme sont pourtant déterminantes dans la position que je défends. D'autre part, André Méry n'a répondu que sur un seul point, la prédation animale, en le développant beaucoup plus longuement que je ne m'étais permis de le faire avec aucun des nombreux thèmes que j'avais abordés.
Mon texte était essentiellement motivé par le souci de ne pas entraver l'action du mouvement écologiste. Les écologistes mènent en effet une lutte bien concrète et d'une urgence extrême. Il me paraît donc particulièrement inopportun de leur chercher querelle sur un thème qui ne relève que de la spéculation philosophique à long terme, celui de la prédation animale.
En effet, le problème de la prédation animale n'est pas vraiment concret dans la mesure où les antispécistes n'ont pour l'heure aucune solution envisageable à lui proposer. D'autre part, si la prédation animale n'était pas inéluctable, cela signifierait qu'il ne serait jamais trop tard pour lui trouver une solution, elle n'aurait donc aucun caractère d'urgence par rapport aux fléaux combattus par les écologistes, la contamination radioactive et la perte de la biodiversité par exemple. Ces deux fléaux déjà à l'oeuvre sont en effet irréversibles, du moins à l'échelle humaine.
Si nous avions tout notre temps pour repenser le monde, le débat serait posé en des termes différents, mais ce n'est pas le cas. Avant de le repenser, il faudrait peut-être tout simplement cesser de le détruire, faute de quoi il n'y aura bientôt plus rien à repenser.
Or il y a quelques années mon expérience de militant antispéciste m'a mis en rapport avec des personnes qui n'hésitaient pas à faire du mouvement écologiste la principale cible de leurs actions, comme si ce mouvement était le pire ennemi de l'antispécisme, ce qui m'a paru profondément insensé. Les choses ont aujourd'hui un peu évolué, mais il en reste des traces perceptibles. L' « ordre naturel » est encore souvent considéré comme un ennemi aussi sérieux que les multinationales de l'agroalimentaire. C'est une façon de se détourner des problèmes réels pour affronter des moulins à vent.
Je n'ai aucun a priori contre la spéculation philosophique à long terme, mais à condition qu'elle ne soit pas une fuite devant la gravité de la situation réelle. Or ce qui me choque lorsque j'entends certainEs antispécistes gamberger sur le thème de la prédation animale, c'est qu'elles/ils ne semblent pas toujours accepter la complexité du problème, ni même envisager qu'il puisse un jour se poser en termes concrets. Les antispécistes ne sont par exemple pas toujours informéEs ni méfiantEs sur les dangers des manipulations génétiques. Elles/ils semblent souvent planer un peu et cela me fait peur. Je crois que les écologistes sont plus réalistes dans l'ensemble, plus pragmatiques, plus concrètEs. On peut qualifier mon « excès » de prudence de paralysie psychique, mais je crois que gamberger joyeusement sans vouloir regarder en face les problèmes réels est une autre forme de paralysie psychique.
J'ajoute qu'André Méry tente d'un bout à l'autre de son texte d'amener le débat sur le terrain du devoir moral, de l'éthique et du droit, terrain sur lequel je ne le suivrai certainement pas [1].
Tout système moral se fonde en effet sur des prémisses, censées correspondre aux choix fondamentaux des adeptes de cette éthique. Supposons que ces prémisses correspondent réellement aux choix et à la volonté des personnes qui adoptent l'un quelconque de ces système moraux, l'utilitarisme par exemple. Dans ce cas, les moralistes ne nous parleraient jamais de devoir moral : elles/ils ne parleraient que de désir moral ou de volonté morale. Car il serait toujours possible d'établir un lien de causalité entre les prémisses, qui correspondraient aux désirs profonds des adeptes de cette morale, et les consignes morales lancées aux adeptes. Ces consignes n'apparaîtraient alors que comme les conséquences des choix initiaux, de la volonté profonde, de toutE adepte de cette morale. Or les moralistes ne cessent au contraire de parler de droits et de devoirs. C'est bien la preuve que les systèmes moraux possèdent en réalité une autorité dogmatique qu'ils ne répugnent pas à utiliser, et que l' « argument moral » n'est donc en réalité qu'un dogme, c'est-à-dire le contraire d'un argument. Aucun système moral, et pas davantage l'utilitarisme qu'un autre, ne parvient donc à éviter le dogmatisme.
Or les dogmes n'ont à ma connaissance jamais favorisé l'émergence d'une quelconque prise de conscience. L'antispécisme constitue pour moi le résultat d'une prise de conscience et c'est sur ce terrain de la prise de conscience que je choisis pour ma part de situer mon action militante.
[1] Je m'en explique dans la brochure L'antispécisme, la morale et l'écologisme, disponible contre 4 timbres à 3F chez Philippe Laporte, 3 rue de Bruxelles, 69100 Villeurbanne.