Je réponds rapidement aux observations de David sur mon article « Toutes les flèches de notre arc ».
La crainte de voir l'emploi d'argumentations scientifiques contre la vivisection en parallèle avec les argumentations éthiques engendrer une « multiplication des faiblesses » me semble franchement peu fondée. Car justement, pour les raisons que j'ai exposées dans la première partie de mon article (et avec lesquelles David semble d'accord), nul n'est tenu d'être convaincu de l'inutilité scientifique de l'expérimentation animale pour être un partisan déterminé de l'antivivisection. Il est parfaitement légitime, possible et plausible d'être un antivivisectionniste purement éthique, sans que cela n'implique en soi le moindre affaiblissement des positions des personnes qui soutiennent également l'antivivisectionnisme scientifique [1]. Même en admettant (ce qui reste discutable) que seule une petite minorité des antispécistes partagent les idées des personnes qui combattent l'expérimentation animale au moyen d'arguments scientifiques, cela n'affaiblirait en rien le front antivivisectionniste, relativement à la situation où celui-ci ne s'approprierait que les thèses éthiques. Cela n'entraînerait éventuellement que l'impossibilité pour le front antivivisectionniste d'optimiser sa capacité à combattre l'expérimentation animale. Par ailleurs, je ne comprends pas pour quelle raison rationnelle David, tout en partageant mes vues sur le rapport entre argumentations éthiques et empiriques, a considéré au début de son engagement antispéciste ne pas pouvoir militer pour les droits des animaux à cause de son désaccord concernant l'antivivisectionnisme scientifique.
Il me semble par contre tout à fait pouvoir partager l'observation de David selon laquelle la conviction que peut avoir une personne de l'inutilité de la vivisection n'implique absolument pas qu'elle s'engage activement comme militante antivivisectionniste. Mais à nouveau je ne crois pas que cette objection puisse démontrer qu'il soit inopportun d'utiliser aussi une argumentation scientifique. Je suis d'accord sur le fait qu'on peut difficilement mobiliser les masses contre la vivisection en les convaincant uniquement que celle-ci est une fraude scientifique ne servant qu'à enrichir une bande de fripons avec l'argent des contribuables. Beaucoup de gens objecteraient - et j'aurais du mal à les blâmer - que les États gaspillent des millions de milliards et que si l'on voulait manifester contre chaque source de gaspillage d'argent public, nous passerions littéralement notre vie dans la rue à crier des slogans et à porter des banderoles contre la corruption et l'idiotie des politiciens. Cependant, ceci ne démontre nullement que soutenir l'antivivisectionnisme scientifique soit contre-productif, mais tout au plus qu'il est contre-productif de combattre la vivisection sur la seule base de son inutilité.
Personnellement, je n'ai jamais souhaité un mouvement antivivisectionniste composé seulement de scientifiques, mais je répète que, pour les raisons déjà exprimées dans mon article précédent, les scientifiques et leurs argumentations peuvent agir de manière synergique avec l'antispécisme pour obtenir l'abolition de l'expérimentation animale. S'il est vrai qu'aujourd'hui tout le monde n'accepterait pas de bon gré de devenir antispéciste à cent pour cent et de renoncer aux bienfaits hypothétiques de la vivisection par respect pour les droits fondamentaux des cobayes, il me semble tout à fait défendable et raisonnable de penser que ceux qui ne veulent pas embrasser sans réserve l'antispécisme seraient pour le moins bien mieux disposés à accepter les thèses abolitionnistes des antispécistes s'ils étaient réellement convaincus de l'inutilité de l'expérimentation animale. Avoir moins d'opposants, ou des opposants moins convaincus, est aussi important qu'avoir plus d'alliés.
[1] À condition, bien entendu, de ne pas transformer sa propre militance antivivisectionniste en une militance contre l'antivivisectionnisme scientifique !