Si le végétarisme et l'antispécisme intéressent de plus en plus de gens dans les milieux alternatifs, il n'en reste pas moins que nombreux sont ceux qui restent résolument hostiles au mouvement de libération animale.
Ainsi, la revue antifasciste Réflex a publié dans son numéro 40 (octobre 1993) un article de trois pages, non signé, et intitulé « Nous ne mangeons pas d'antispécistes pour ne pas tuer d'animaux », qui attaque violemment le mouvement antispéciste [1]. Nous savions qu'un texte contre la libération animale allait paraître dans cette revue, et lui avions même dès lors envoyé un exemplaire des CAL, et nous aurions bien aimé que cet article permette d'engager une discussion sérieuse. Mais il nous a fallu déchanter, car là n'était pas son but : les idées n'y sont pas discutées du tout, elles y sont seulement qualifiées tout à fait gratuitement de « délirantes », « mystiques », « messianiques », « sectaires »... et si l'on trouve un certain nombre de citations de la brochure Nous ne mangeons pas de viande... ou des CAL, elles sont coupées de leur contexte, ou bien le sens en est détourné sans vergogne ; nos propos sont déformés, quand ils ne sont pas inventés pour l'occasion ! Sans compter des insinuations diverses (et malveillantes), des comparaisons hors de propos (avec un texte de la Ligue Française Contre la Vivisection, ou avec l'idéologie pré-fasciste du musicien végétarien Wagner). Et, last but not least, la volonté constante de ridiculiser.
Bref, plutôt qu'engager une discussion, il s'agissait de faire de la désinformation ; le texte est paru dans la rubrique « Humeurs » : il va de soi que les « histoires d'animaux » ne sauraient être sérieuses, ni donc nécessiter de véritables discussions (et une telle véritable discussion, publique et contradictoire, n'a pratiquement jamais pu avoir lieu jusqu'à présent dans le mouvement alternatif - ni ailleurs non plus, hélas - parce que la quasi-totalité de nos détracteurs la boycottent d'office).
Si nous avions tant bien que mal pris l'habitude d'être confrontés dans des discussions à beaucoup de mauvaise foi, et à ce ridicule dont on sait son caractère fondamentalement répressif (et cela déjà est grave), c'est la première fois que l'antispécisme est attaqué avec une telle malhonnêteté par écrit, dans un texte public, publié dans une revue jusqu'alors relativement estimée : et cela est plus grave encore, parce qu'un texte témoigne de plus de préméditation que des paroles échangées lors d'une discussion orale.
Du coup, cet article de Réflex est intéressant à plus d'un titre : d'une part, il utilise vraiment les ficelles de la désinformation et du mensonge journalistiques, et pourrait avec profit être étudié dans les écoles comme un monument du genre (en faisant l'hypothèse que l'enseignement dans les écoles voudrait - et pourrait - se donner pour but un éveil de la conscience critique). D'autre part, la publication d'un tel article est très révélatrice d'un malaise persistant au sein d'une partie du milieu alternatif (sans parler du reste de la population !) au sujet de la libération animale : nos arguments ne sont pas discutés, il n'y a pas de débat libre, et il y a au contraire une volonté très claire d'évitement. Sans doute est-ce parce que le mouvement se développe malgré le blocus idéologique dont il fait souvent l'objet, qu'est finalement paru un texte aussi offensif - mais qui se condamne à rester malhonnête en voulant faire l'économie d'une véritable controverse.
Fort heureusement (pour l'antispécisme, pour l'antifascisme, pour la revue Réflex), cet article a soulevé une grande vague d'indignation : d'après un membre de la revue, celle-ci aurait reçu des centaines de lettres de protestation (250 !), et pour notre part, nous savons que des gens ont résilié leur abonnement, que d'autres refusent dorénavant de diffuser la revue tant qu'elle n'aura pas publié de réponses, et que d'autres encore la diffusent en y joignant des textes de mise au point. Nous savons aussi que plusieurs, qui ne sont ni antispécistes ni végétariens, ont été révoltés par les procédés de cet article, et l'ont fait savoir (et ont notamment écrit à Réflex) ; mais une telle attitude est restée minoritaire ; les autres, hélas, ont souvent apprécié l'article : ceux-là sont-ils donc prêts à acquiescer à n'importe quoi, et à avaliser tous les procédés, jusqu'aux plus staliniens, dès lors qu'il s'agit de s'attaquer à la remise en cause du spécisme ?
[1] Nous ne le reproduisons pas ici, parce que trop long, mais on peut se le procurer à notre adresse contre l'envoi d'un timbre. On peut se procurer la revue Réflex, et/ou lui écrire, au 14 rue de Nanteuil, 75015 Paris.