L’OMC, l’Union européenne et quelques autres...
Aujourd'hui les animaux sont des marchandises et le marché est mondial. À des degrés divers, des législations nationales leur reconnaissent néanmoins des droits à être protégés contre certains abus. Il n'existe pas à ce jour d'accord régissant de façon claire ce que valent ces droits locaux lorsque les animaux deviennent objets de commerce international, ce qui crée une menace de nivellement par le bas.
Mais si l'on pense que les animaux ne devraient pas être des marchandises, et que la protection légale dont ils bénéficient ici ou là est ridiculement insuffisante, pourquoi s'intéresser à cela ? Pour deux raisons : d'une part, parce que cette protection, si mince soit-elle, limite des formes de maltraitance extrême, et que des milliards d'animaux sont concernés ; d'autre part, parce que l'émergence de la question animale dans les instances internationales est un pas vers son officialisation en tant que sujet qui mérite l'attention de la communauté des humains.
Le but du présent article est d'apporter quelques compléments sur le sujet traité par Peter Singer dans l'extrait de One World publié dans ce même numéro des Cahiers. Dans ce livre, Singer dressait un état des lieux inquiétant de l'attitude de l'Organisation mondiale du commerce envers les dispositions de protection animale, tout en concluant qu'une inflexion se dessinait peut-être dans la politique de l'Organisation.
En résumé, le problème est celui-ci : le GATT [article XX a) et b)] prévoit que l'adhésion d'un pays au processus de libéralisation des échanges internationaux ne l'empêche pas de prendre les mesures nécessaires à la protection de la moralité publique ou à la protection de la vie et de la santé des animaux [1]. Le texte de l'accord contient donc déjà une clause permettant à un pays de prendre des dispositions restreignant la libre circulation des marchandises lorsqu'il le juge nécessaire à la protection des animaux. Cependant, en pratique, les groupes d'experts chargés de trancher les différends entre membres de l'OMC ont systématiquement donné tort aux pays instaurant des limitations aux importations motivées par le souci de protéger des animaux. Ces limitations ont été traitées comme des obstacles injustifiés au commerce, et de cette jurisprudence est née une règle (qui n'est inscrite dans aucun accord) selon laquelle il est permis de restreindre les importations pour des raisons liées à la qualité intrinsèque des produits, mais non pour des raisons liées à leur processus de production. C'est la distinction dite « processus-produit ».
Singer montre comment le règlement de plusieurs différends par l'OMC conformément à cette règle a entravé des dispositions destinées à protéger des animaux sauvages. Le problème affecte aussi les milliards d'animaux élevés pour la consommation humaine en exerçant un effet dissuasif sur l'adoption de lois et règlements en leur faveur. En effet, si l'on impose des normes de bien-être animal aux producteurs nationaux, on les défavorise par rapport à la concurrence étrangère pour peu que le respect de ces normes entraîne un accroissement des coûts. On hésitera donc à le faire s'il est impossible d'assortir ces dispositions de mesures corrigeant ce désavantage. Le problème est que ces mesures correctrices ne peuvent être justifiées qu'en faisant référence à des différences de processus de production, justification que l'OMC n'a pas admise dans les jugements rendus avant 2001. Plusieurs organisations animalistes dénoncent les conséquences dramatiques de cette pratique, et font pression pour que l'OMC change de politique. On trouvera à titre d'exemple dans l'encadré ci-après les propositions du CIWF (Compassion in World Farming) en la matière.
Les informations ci-dessous sont tirées d'un texte de Peter Stevenson (responsable du CIWF) daté de novembre 2000 et disponible à cette adresse :
http://trade-info.cec.eu.int/doclib...
Ce texte contient à la fois une analyse claire du problème posé par l'attitude de l'OMC et une série de propositions qu'il faudrait amener l'Organisation à adopter, en particulier via la pression de l'Union européenne (et la pression des associations animalistes sur l'UE). Ces propositions sont destinées à permettre, contrairement à la pratique passée, les distinctions entre produits fondées sur le processus de production, et à inciter les producteurs à améliorer les condition de vie des animaux. En voici un résumé :
1. Favoriser le développement de labels obligatoires informant les consommateurs des conditions de production des biens qu'ils soient nationaux ou étrangers.
2. Revoir l'article XX du GATT de façon à ce que le bien-être animal figure explicitement parmi les exceptions générales. Remplacer le mot « nécessaire » par l'expression « se rapportant à » à propos de ces exceptions*. En effet, le mot « nécessaire » a reçu une interprétation beaucoup trop restrictive, obligeant un pays à démontrer qu'aucune autre mesure plus compatible avec l'esprit du GATT ne permet d'atteindre le même but.
3. Inclure les subventions que les États accordent aux éleveurs nationaux afin de promouvoir le bien-être des animaux dans la « catégorie verte » (c'est à dire dans la catégorie des aides à l'agriculture que les membres de l'OMC ne doivent pas s'engager à réduire).
4. Permettre les interdictions d'importer motivées par la nature du processus de production (son incompatibilité avec le respect de normes de bien-être animal). On pourrait établir un ensemble de règles destinées à éviter qu'on ne puisse recourir à de telles interdictions de façon abusive pour favoriser ses producteurs nationaux. Un exemple des règles suggérées (soumises à discussion) par Stevenson : exiger que la mesure adoptée par un État ait un fondement scientifique reconnu, c'est à dire que l'on puisse étayer par des arguments scientifiques que la mesure adoptée est appropriée pour atteindre l'objectif qu'on cherche à atteindre. Ou encore, on pourrait exiger que la mesure adoptée ait l'appui d'une partie significative (sinon majoritaire) de la population du pays.
5. L'UE devrait faire pression pour que le futur accord auquel parviendront les membres de l'OMC concernant l'agriculture permette une différenciation des droits de douane pour des produits qualitativement similaires : la position de l'UE pourrait être par exemple qu'elle est prête à consentir à une forte diminution des droits de douane sur les œufs ou la viande importés provenant d'animaux élevés dans des conditions respectant certaines normes de bien-être, alors qu'elle refuse d'abaisser ces droits (ou n'accepte de les réduire que très peu) pour la viande et les œufs en général.
* Il s'agit de l'article du GATT indiquant que ne sont pas contraires à l'Accord certaines restrictions au commerce international, sous réserve qu'elles ne soient pas discriminatoires, dont celles « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ».
L'attitude de l'OMC en ce domaine a-t-elle changé, ou du moins est-elle en voie de changement ? Il est difficile de se prononcer pour deux raisons :
- d'une part, depuis la parution de One World (rédigé en 2001 et paru en 2002), l'OMC n'a eu à se prononcer sur aucune plainte déposée contre un pays ayant interdit l'importation d'un produit parce que son processus de production nuit à certains animaux ; difficile dans ces conditions de savoir si les groupes d'experts trancheraient différemment que par le passé ;
- d'autre part, le cycle de négociations en cours, qui doit déboucher sur un nouvel accord entres pays membres de l'OMC, n'est pas achevé. Au programme des discussions figurent des « considérations autres que commerciales », auxquelles peut se rattacher le bien-être animal. Cependant, la conférence ministérielle de Cancun (du 10 au 14 septembre 2003), qui devait constituer l'étape de mi-parcours des négociations et dégager les points déjà acquis, s'est soldée par un échec. Les comptes-rendus de travaux postérieurs à la rencontre de Cancun disponibles sur le site de l'OMC ne dégagent aucune tendance claire sur les questions liées au bien-être animal.
À défaut de pouvoir prédire le contenu du futur accord, nous allons exposer quelles sont les propositions en cours de discussion (à l'initiative de l'Union européenne) dans les négociations actuelles. Nous évoquerons aussi deux exemples récents où des interdictions d'importer ont été décidées avec pour motif le refus de méthodes de production causant de graves souffrances aux animaux. Au-delà de leur contenu particulier, elles permettent une réflexion sur la façon dont on peut argumenter en faveur de telles mesures, en restant dans le cadre d'une économie de marché.
Dans le cycle de négociations en cours (dit « cycle de Doha »), l'Union européenne cherche à obtenir que le prochain accord contienne des dispositions permettant d'intégrer le bien-être animal au cadre de l'Organisation mondiale du commerce. (L'inclusion — ou non — de ces dispositions dans l'accord final dépend de la volonté — ou non — des autres pays membres de l'OMC de les soutenir.) Dès le 28 juin 2000, l'UE déposait une série de propositions auprès de la commission de l'agriculture de l'OMC [2]
L'UE pense qu'il y a des limites à la manière dont doit être produite son alimentation. L'UE a fixé ces limites à travers sa législation […]. Beaucoup d'autres pays ont aussi légiféré dans ce domaine. Mais les consommateurs, les producteurs, les organisations oeuvrant pour le bien-être animal sont de plus en plus préoccupés du fait que l'OMC […] ne fournit pas de cadre dans lequel traiter les questions relatives au bien-être. Ils craignent en particulier qu'en l'absence d'un tel cadre, les normes de bien-être animal, et notamment celles concernant les animaux d'élevage, soient compromises s'il n'y a pas moyen de s'assurer que les produits agricoles et alimentaires produits conformément aux normes domestiques de bien-être animal ne sont pas tout simplement remplacés par des produits importés obtenus selon des normes inférieures.
L'UE propose dans ce document que l'on cherche les moyens de concilier l'objectif de libéralisation des échanges avec le souci de certains pays d'assurer un niveau satisfaisant de bien-être animal par la combinaison de différentes méthodes, en particulier les deux suivantes :
- développer les étiquetages (ou labels), obligatoires ou volontaires, indiquant aux consommateurs si les animaux ont été élevés en respectant certains critères de bien-être, qu'ils s'agisse de produits domestiques ou importés ;
- permettre les aides publiques aux producteurs qui améliorent le bien-être animal, au prix d'un accroissement de leur coûts, sous une forme qui ne provoque pas de distorsions de la concurrence.
Ces mêmes propositions sont intégrées à un document plus général contenant l'ensemble des propositions de l'UE dans divers domaines, daté du 14 décembre 2000 [3]. Elles sont développées dans une Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européens du 18 novembre 2002 [4]. Toutes les informations ultérieures se rapportant aux travaux en cours sur le dossier agricole dans le cadre de l'OMC indiquent que ces propositions sont effectivement en discussion… et que pour l'instant on ne peut présager de l'issue puisque des positions contradictoires sont en présence.
Il existe aujourd'hui dans l'UE une seule forme d'étiquetage obligatoire relatif au bien-être animal : celui sur les œufs qui informe sur les conditions d'élevage des poules. Par ailleurs, il existe divers labels nationaux d'origine privée (en France, les labels « bio », « rouge », « fermier », etc.) qui apportent certaines garanties sur les conditions de vie des animaux élevés pour leur chair. Ces labels ne s'appliquent qu'aux produits domestiques.
Le développement de l'étiquetage permettrait en principe aux consommateurs carnivores qui accordent une certaine importance au bien-être animal d'avoir un comportement d'achat conforme à leurs convictions. Il ressort d'une enquête effectuée auprès d'un échantillon représentatif de consommateurs de l'UE publiée en juin 2005 [5] que :
- 43% des consommateurs déclarent penser souvent ou parfois au bien-être et à la protection des animaux quand ils achètent de la viande ;
- 51% déclarent ne jamais (ou rarement) pouvoir identifier d'après l'étiquetage si le lait, les œufs ou la viande ont été produits dans des conditions favorables au bien-être animal.
Ces chiffres suggèrent que le développement de l'étiquetage permettrait effectivement de déplacer une partie des achats vers les animaux élevés dans des conditions moins mauvaises, et cela d'autant plus que la sensibilité à la souffrance animale progresse chez les citoyens européens.
La technique a ses limites. Elles ne tiennent pas seulement au fait qu'elle ne permet pas de faire disparaître les formes les plus extrêmes de « mal-être » tant que certains consommateurs y restent indifférents. Le problème est aussi que la réalisation d'une intention de consommation plus éthique, même sincère, est malaisée à concrétiser si elle doit reposer principalement sur la lecture assidue des étiquettes. Dans une société où chacun effectue des centaines ou milliers d'actes d'achats par an, on peut difficilement attendre que chaque consommateur ait la patience de lire attentivement chaque étiquette, de s'informer de sa signification (qui sait en quoi un poulet « label rouge » a des conditions de vie différentes d'un poulet « fermier » ou d'un poulet issu de l'élevage industriel ordinaire ?), et de débattre avec lui-même pour prendre chaque fois la décision la plus conforme à ses véritables préférences. Les limites de l'aptitude à agir en consommateur informé (même quand l'information est disponible) sont d'ailleurs l'une des raisons qui peuvent être invoquées pour justifier le recours à la voie réglementaire. La réglementation en vigueur impose déjà aux producteurs de ne mettre sur le marché que des produits satisfaisant certaines normes de sécurité, plutôt que de laisser commercialiser des produits plus dangereux, sous réserve que l'étiquetage informe du risque encouru. On pourrait s'appuyer sur cet exemple pour pousser à l'adoption d'une réglementation interdisant les formes d'élevage et d'abattage les plus violentes, dès lors qu'une fraction conséquente de la société exprime une désapprobation pour de telles méthodes.
Malgré les facteurs limitant son impact, le développement d'un étiquetage (des produits domestiques et étrangers) orienté vers le bien-être animal serait un progrès. Cependant, cette proposition européenne suscite des réticences chez certains membres de l'OMC. Ceux-là tentent de la contrer en la rangeant dans la catégorie des obstacles techniques au commerce [6]. À terme, l'OIE (Organisation internationale des épizooties) pourrait jouer un rôle utile pour faire reculer la suspiscion de protectionnisme déguisé liée à l'étiquetage.
Créée en 1924, l'OIE compte au-jourd'hui 167 pays membres. Sa mission première est, comme son nom l'indique, la prévention des épizooties. Toutefois, elle intègre de plus en plus dans ses activités la question du bien-être animal. C'est ainsi que le 29 mai 2002, le Comité international de l'OIE a adopté une résolution (résolution n° XIV) recommandant à l'Organisation de s'investir de façon croissante dans la question du bien-être. On lit notamment dans les points 7 et 11 de cette résolution que :
Le Comité recommande que […]
7. L'OIE donne la priorité aux question relatives à la protection des animaux utilisés dans l'agriculture et dans l'aquaculture […]
11. L'OIE tienne compte des questions liées à la protection des animaux dans le cadre de ses principales missions et assume les rôles et fonctions spécifiques suivants :
- Élaborer des normes et lignes directrices conduisant à de bonnes pratiques en matière de protection des animaux […]
- Définir les éléments fondamentaux d'une organisation internationale efficace pour la protection des animaux, y compris les outils législatifs et juridiques […]
L'établissement de « critères de bonnes pratiques en matière de protection des animaux » par l'OIE pourrait faciliter l'acceptation de la proposition de l'UE concernant l'étiquetage. Si ces critères servaient de base à l'étiquetage requis par un pays (ou par l'UE) pour différencier les produits selon le niveau de protection assuré aux animaux qui les fournissent, il deviendrait moins facile de s'y opposer en arguant que ces dispositions constituent un protectionnisme déguisé, parce qu'elles auraient été sciemment choisies pour recouvrir les différentes méthodes de production déjà en vigueur sur le territoire national (ou communautaire), alors qu'elles demandent un effort d'adaptation aux producteurs étrangers.
L'agriculture constitue un dossier central des négociations en cours au sein de l'OMC [7]. Il s'agit d'un secteur où l'on est particulièrement loin d'un système de libre-échange et de non-distorsion de la concurrence. En effet, les pays riches, et en particulier les deux géants que sont les États-Unis et l'UE, ont établi des systèmes qui assurent un niveau de protection et de soutien élevé à leur agriculture par la combinaison d'aides à l'exportation, de droits de douane sur les importations et de subventions accordées aux agriculteurs. Les pays en développement dénoncent les dommages occasionnés par ces systèmes à leur propre agriculture et sont très attachés à ce que leurs intérêts en ce domaine soient pris en compte dans le contenu du futur accord.
L'obtention de réductions substantielles des tarifs, du soutien interne et des subventions à l'exportation est au cœur des négociations actuelles, lesquelles s'avèrent difficiles. Quoi qu'il en soit, le principe de recherche d'un progrès vers une plus grande libéralisation du commerce des produits agricoles est acquis [8]. Dès lors, au fil du temps, on pourra de moins en moins compter sur des droits de douane de niveau général élevé pour limiter l'entrée sur le territoire communautaire de produits obtenus sans considération pour le bien-être animal, de même qu'on pourra moins compter sur des subventions générales élevées à l'agriculture pour compenser le désavantage concurrentiel qu'occasionne aux producteurs domestiques l'imposition de normes de bien-être animal (quand elles accroissent les coûts de production) par rapport aux producteurs étrangers échappant à ces normes.
C'est pourquoi la proposition de l'Union européenne est d'inclure les aides aux producteurs qui améliorent le bien-être animal (aides spécifiquement destinées à compenser le surcoût que cela occasionne) dans la « catégorie verte ». Selon la terminologie de l'OMC, les subventions sont classées en trois catégories [9] : subventions de la catégorie rouge (interdites), de la catégorie orange (à réduire) et de la catégorie verte (autorisées).
Les aides vertes sont définies comme étant celles dont les effets de distorsion sur les échanges sont nuls ou minimes. Elles ne doivent pas avoir d'effets sur la production, ou des effets négligeables. Elles doivent être financées par des fonds publics et ne pas apporter un soutien des prix. Celles déjà classées comme telles ne concernent pas des produits particuliers, mais consistent en des subventions directement versées aux agriculteurs notamment pour leur participation à des programmes de protection de l'environnement. Concernant leur extension au domaine du bien-être animal, le calcul du surcoût subi par les éleveurs est délicat, mais le problème est surtout qu'au sein de l'OMC un certain nombre de pays se plaignent déjà des abus commis au titre de la catégorie verte : ils mettent en doute qu'elle n'ait pas d'effets de distorsion, et voudraient voir plafonné le montant des aides accordées sous cette rubrique. Le texte intermédiaire qui a fait l'objet d'un accord au sein de l'OMC le 1er août 2004 [10]
On trouve, tant dans les textes de la Commission européenne que dans ceux des organisations animalistes, des arguments faisant valoir que les dispositions proposées ne nuisent pas aux producteurs non communautaires, et en particulier que la volonté d'intégrer dans les négociations des « considérations autres que d'ordre commercial », dont le bien-être animal, va dans le sens des intérêts des agricultures des pays moins développés (entre autres parce que la part relative de l'élevage industriel intensif y est moindre). Mais la toile de fond qui explique les réticences face aux mesures proposées doit probablement moins au contenu de ces propositions lui-même, qu'à la volonté des pays moins développés de manifester leur volonté d'obtenir que les États-Unis et l'Union européenne abaissent sensiblement le soutien général qu'ils apportent à leur propre agriculture, au détriment de la leur. On peut rêver d'une issue où tous les moins favorisés seraient gagnants, parce que les pays riches cèderaient suffisamment sur les formes de protection de leur agriculture qui nuisent aux plus pauvres pour que ceux-ci cessent de se montrer suspicieux à l'encontre de mesures véritablement destinées à protéger les animaux. Mais rien ne garantit que le rêve se réalisera. De plus, les deux dispositions évoquées (étiquetage et catégorie verte) ont une signification moins forte que l'interdiction pure et simple de commercialiser des produits (domestiques ou importés) impliquant la maltraitance des animaux. Elles mettent l'accent sur le droit à l'information du consommateur ou sur le droit du producteur à un revenu satisfaisant. L'interdiction de produire et d'importer des marchandises impliquant une grande souffrance animale met quant à elle l'accent sur le droit des animaux à un minimum d'égards. Le fait qu'un pays l'inscrive dans ses lois manifeste le fait que la société reconnaît qu'un traitement plus éthique leur est dû.
Il n'apparaît dans les négociations en cours au sein de l'OMC aucune demande explicite de remise en cause l'usage qui s'est établi de ne pas permettre les interdictions d'importation motivées par la nature du processus de production. Est-ce à dire que même ceux qui en voient les inconvénients se sont résignés à se plier à cette règle (qui en fait n'est inscrite dans aucun accord signé par les membres de l'OMC) ? Une récente décision de l'Union européenne laisse espérer qu'il n'en est rien.
Le 27 février 2003 paraît au journal officiel de l'Union européenne la directive 2003/15/CE relative aux cosmétiques [11], modifiant la directive précédemment en vigueur notamment par l'insertion d'un article 4 bis. Cet article interdit (avec certaines dérogations) les tests sur animaux sur le territoire de l'UE concernant des produits cosmétiques (qu'il s'agisse des produits finis ou de leurs ingrédients) et la vente sur le territoire européen de produits testés. La directive contient donc une interdiction d'importation. Son entrée en vigueur est prévue selon un échéancier s'étageant de 2004 à 2013 [12].
Le 10 juin 2003, le gouvernement français introduit un recours auprès de la Cour de justice des Communautés Européennes contre le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen demandant l'annulation de l'article 4 bis au motif, entre autres :
des restrictions au droit d'exercer librement une activité professionnelle alors qu'elles ne répondent pas a un objectif d'intérêt général poursuivi par la Communauté, à savoir le bien-être des animaux, et, en tout état de cause, ces restrictions constituent, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable [13]
La France fait valoir que ces dispositions représentent un risque pour la santé humaine et conduisent à une discrimination entre les entreprises du secteur des cosmétiques « sans justification objective » qui désavantagera les industries européennes par rapport aux entreprises extra-communautaires. Le gouvernement français soutient que l'interdiction de commercialisation de produits testés sur le territoire de l'UE est contraire au principe du GATT. La France mise donc délibérément sur l'interprétation du GATT issue des jugements rendus par l'OMC (la distinction processus-produit), de même que sur l'argument, également invoqué dans certains de ces jugements, selon lequel une telle interdiction constituerait une ingérence extraterritoriale.
Le 17 mars 2005, l'avocat général, L.A. Geelhoed, rend ses conclusions (défavorables à la France).
Le 24 mai 2005, la Cour de justice suit l'avis de l'avocat général et arrête que le recours de la France est rejeté et que la France est condamnée aux dépends.
Toutes les citations qui vont être faites sont extraites des conclusions de Maître Geelhoed. Elles se présentent sous la forme d'un texte divisé en 124 paragraphes numérotés. Elles contiennent notamment l'exposé des arguments avancés par les parties en présence, et l'analyse de l'avocat général proprement dite. Les arguments opposés à la France sur la question de l'importance du bien-être animal, et sur la compatibilité de la directive avec les règles de l'OMC sont particulièrement intéressantes.
Voici la position du Conseil de l'Union européenne telle que rapportée par l'avocat général (§ 47) :
En toute hypothèse, affirme le Conseil, toute restriction du principe de libre exercice d'une activité professionnelle serait justifiée par un intérêt essentiel de la Communauté, à savoir le bien-être des animaux. (Souligné par nous)
Et voici l'analyse de l'avocat général sur le même thème (§ 96 et 97) :
…la suppression de la souffrance animale est un objectif commun à toutes les parties concernées par ce problème. Cet objectif correspond à des exigences éthiques relatives au respect de la vie, soutenues par l'opinion publique, et aux souhaits exprimés par le Parlement européen. […] Il ne fait aucun doute qu'il s'agit là d'un objectif valable de la législation communautaire.
L'analyse du procureur conteste l'incompatibilité avec le GATT en renvoyant à l'article XX b) de cet accord qui autorise les exceptions à la libéralisation des échanges « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux », sous réserve qu'elles ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire et injustifiable entre les pays [14]. Il est intéressant que, malgré une pratique qui tendait à en réduire la portée à néant, cet article continue d'être invoqué comme justification légitime d'une interdiction d'importer. Le signal envoyé par l'OMC à travers le traitement des différends successifs, sommant de ne recourir à l'interdiction d'importer qu'en dernier recours, est entendu puisque l'avocat général expose qu'il n'y a pas d'autre moyen disponible de parvenir au résultat recherché. Mais, parallèlement, il est clairement dit que l'objectif poursuivi a une valeur suffisante pour qu'on ne diffère pas sa réalisation jusqu'au moment où il pourrait être atteint par une technique plus conforme au libre-échange :
« Bien que la Commission doive s'efforcer de convaincre l'OCDE d'accepter les méthodes alternatives validées par ECVAM, l'expérience a montré qu'il faut parfois plusieurs années pour qu'une méthode donnée soit acceptée par tous les membres de l'OCDE. Dans ces conditions et compte tenu de l'importance que revêt, sur le plan moral, le bien-être des animaux, il n'est pas possible d'attendre cette acceptation par l'OCDE [15]. » (§ 122, souligné par nous)
Sur le même sujet, un aspect de la réponse du Conseil de l'Union européenne aux arguments du gouvernement français introduit une idée supplémentaire :
Enfin, en ce qui concerne les arguments avancés par le gouvernement français au sujet de la pertinence des règles de l'OMC pour la présente affaire, le Conseil soutient que les produits cosmétiques qui n'ont pas fait l'objet d'une expérimentation animale ne sont pas « similaires » aux produits cosmétiques qui ont fait l'objet d'une expérimentation animale au sens de l'article III.4 du GATT, en raison des différentes préférences des consommateurs pour chaque catégorie. (§ 51, souligné par nous)
Ce passage contient, de fait, la contestation de la pertinence de la distinction processus/produit issue de la jurisprudence de l'OMC : les préférences du consommateur ne concernent pas uniquement la composition intrinsèque du produit, parce qu'elles résultent de l'ensemble de ses valeurs. Souligner que deux produits de composition similaire ne sont pas identiques s'ils diffèrent par leurs conditions de production est une façon très judicieuse de critiquer la distinction processus/produit, parce qu'elle s'appuie sur l'analyse ordinaire du marché par les économistes [16]. Dans celle-ci, la demande d'un individu pour un produit dépend de son utilité – c'est à dire de sa désirabilité - pour cet individu [17]. L'utilité n'est pas une propriété des marchandises, mais du rapport entre un individu particulier et un produit ; la psychologie de cet individu en est un déterminant inéliminable. Puisque ce n'est pas une propriété des objets vendus et achetés, il n'y a aucune raison de ne prendre en considération que la composition intrinsèque, physique, des produits. Dès lors que deux produits physiquement similaires ont des conditions de production différentes, et que l'individu a une éthique relative à ces conditions de production, il s'agit effectivement pour lui de deux produits différents. Ils n'ont pas la même utilité, ce qui devrait se traduire par des comportements de demande différents.
On peut en conclure au minimum que cela justifie un étiquetage différencié informant les consommateurs des propriétés invisibles des marchandises auxquelles ils accordent une importance (certains aspects de leurs conditions de production). Mais n'est-ce qu'en refusant la logique du marché qu'on peut demander plus : l'interdiction pure et simple du recours à certaines méthodes de production ? Une décision récente de l'État de Californie rappelle qu'il n'en est rien.
Le 19 février 2004, l'assemblée (parlement) de l'État américain de Californie a voté une loi interdisant la production et la vente de foie gras sur son territoire à compter de 2012 [19].
Le texte de loi proprement dit est suivi d'un certain nombre de commentaires qui en explicitent le sens. L'un d'entre eux, intitulé « La liberté du marché », est rédigé comme suit :
… les concepts de libre jeu du marché et de liberté de choix supposent un public pleinement informé, mais le public, dans sa grande majorité, n'est certainement pas pleinement informé de la cruauté et de la souffrance qu'impliquent la production de foie gras. De plus, les valeurs de liberté du marché et de liberté de choix qu'a notre société n'ont jamais été exemptes de contraintes morales, y compris en ce qui concerne la nourriture. Ce n'est certainement pas la première fois que le corps législatif californien dit au marché et au public qu'ils peuvent acheter, vendre et manger comme ils veulent, mais seulement dans la mesure où leurs actions ne sont pas inhumaines. L'assemblée a déjà fait de la vente de viande de cheval, chat et chien pour la consommation humaine une violation du code pénal. Interdire la vente de foies produits dans des conditions qui causent de terribles souffrances aux oiseaux n'est qu'un minuscule pas de plus.
La principale raison avancée pour justifier la décision (et sa compatibilité avec la liberté du marché) n'est pas le manque d'information du consommateur. Il est dit que certaines pratiques sont interdites car contraires à la morale. Il est intéressant de noter que de tels interdits peuvent être justifiés « de l'intérieur » de la pensée libérale car, que l'on pense du bien ou du mal de l'économie de marché, sa disparition n'est pas pour demain.
Le libéralisme ne se définit pas chez ses partisans comme « la loi de la jungle », ni comme la défense absolue du principe « chacun fait ce qu'il veut ». Le libéralisme est, certes, la doctrine qui soutient que, dans beaucoup de cas, l'état du monde résultant d'une grande liberté individuelle est le meilleur [20]. Mais personne ne soutient que l'organisation sociale peut reposer sur la seule liberté individuelle, ni que son exercice conduit dans tous les cas à la meilleure situation. Il est exclu d'entreprendre ici un tour d'horizon de la pensée libérale. On s'en tiendra à deux courtes réflexions à l'appui de cette affirmation : une incursion dans la pensée de John Stuart Mill et une remarque d'ordre général sur les liens entre marché et institutions.
John Stuart Mill (1806-1876) est connu tant comme économiste que comme philosophe. Il fait partie du courant libéral, en ce sens qu'il a fait valoir l'intérêt de laisser une grande liberté aux individus dans la vie économique, politique ou personnelle. Dans son essai On Liberty (1859), il établissait une distinction entre deux domaines :
- le domaine de la liberté individuelle où il ne devrait pas être permis d'interférer par la contrainte avec les choix de l'individu : ils s'agit des actes dont les conséquences n'affectent que l'individu lui-même [21] ;
- le domaine qui relève de la juridiction de la société : celui des actes individuels qui ont des conséquences potentiellement nocives sur autrui. Dans ce domaine, il est souhaitable de recourir à la contrainte sociale ou légale si nécessaire, en contrariant, le cas échéant, le libre choix de l'individu.
Dans le chapitre 5 de On Liberty, Mill affirme sans la moindre ambiguïté que l'économie relève du second domaine. Dire que les pouvoirs publics peuvent intervenir se signifie pas qu'ils doivent le faire systématiquement. En tant que libéral, Mill estime au contraire que, souvent, il vaut mieux ne pas user de la contrainte publique dans le domaine économique, parce que la liberté donne de meilleurs résultats. Mais en tout cas, il y a lieu d'examiner si elle le fait, et il est légitime de la restreindre dans les cas où elle provoque plus de dommages qu'elle n'apporte de bienfaits :
Encore une fois, le commerce est un acte social. Quiconque entreprend de vendre des biens quelconques au public, agit d'une façon qui affecte d'autres personnes et la société en général ; et donc sa conduite relève en principe de la juridiction de la société. […] Les restrictions sur le commerce, ou sur la production destinée à la vente […] n'affectent que cette partie de notre conduite que la société a la compétence de restreindre, et ne sont mauvaises que parce qu'elles ne produisent pas réellement les résultats qu'on en espère. Le principe de liberté individuelle n'est pas en cause dans la doctrine du libre jeu du marché [the doctrine of Free Trade]. Il ne l'est pas non plus dans la plupart des questions qui se posent concernant les limites de cette doctrine, par exemple quand il s'agit de savoir quel degré de contrôle public est admissible pour prévenir les fraudes liées à la vente de produits frelatés ou jusqu'à quel point on doit forcer les employeurs à mettre en place des précautions sanitaires, ou des mesures destinées à protéger les ouvriers exécutant des travaux dangereux [22].
Si nous rapprochons cette analyse du commentaire de la loi californienne, nous voyons qu'on peut effectivement justifier, en restant dans la tradition libérale, des entraves à la liberté de produire et de vendre. La raison qui justifie la restriction de la liberté de certains, ce sont les dommages causés à autrui, des torts qui sont sans commune mesure avec les gains qu'on peut espérer du libre jeu du marché. Or, ici, les torts sont ceux causés aux canards. Il n'y a aucune autre lecture possible. Donc cette loi dit que les canards font partie des « autrui », qu'ils comptent, même si ce n'est que dans une faible mesure, parmi les membres de la société, puisque la société à travers la loi impose aux humains des contraintes dont les canards sont bénéficiaires. On parvient à la même conclusion à partir d'une analyse du rapport entre marché et institutions.
Le marché ne se conçoit que dans le cadre d'institutions, dont l'une est centrale : le droit de propriété. Pour pouvoir produire et échanger, il faut qu'on sache qui est propriétaire de quoi, et que les propriétaires ne puissent être dépossédés par la force. Posséder un objet, c'est avoir le droit de décider de son allocation (le consommer, le vendre, le donner, le détruire…) et être protégé contre les tentatives faites par des tiers d'en disposer à notre place. Au-delà du droit de propriété au sens usuel (sur des marchandises), beaucoup de droits servent à déterminer qui est décideur en un certain domaine, qui est celui dont la préférence est prioritaire quand il y a conflit sur la décision à prendre. En quelque sorte, ils donnent la propriété sur des pouvoirs. Le droit à l'intégrité corporelle dit que l'individu humain est propriétaire de son propre corps, que sa préférence pour le garder entier est prioritaire sur la préférence d'un tiers de le découper pour en faire un fournisseur d'organes pour des greffes par exemple. (Dans notre droit, il s'agit d'une forme de propriété restreinte, car nous ne sommes pas libres d'aliéner notre corps de notre vivant). Le droit à la liberté religieuse dit que la préférence de A à pratiquer la religion lambda prime sur la préférence de B d'interdire la religion lambda ou la pratique de toute religion.
Le consommateur libre sur le marché libre ne peut pas librement manger autrui, si autrui est propriétaire du droit de ne pas être mangé (un chien, humain, chat ou cheval en Californie). Il n'est pas libre de manger le foie stéatosé d'autrui si autrui est propriétaire du droit de ne pas être rendu malade par le gavage (les canards et oies en Californie à partir de 2012).
L'allocation des droits y compris sur sa propre personne se fait essentiellement par les lois nationales (parfois dérivées de traités ou déclarations internationales). Que le marché mondial ne soit pas assorti d'institutions politiques mondiales ayant les pouvoirs d'un État crée dans beaucoup de domaines une incertitude sur qui a autorité pour allouer quoi, ce à quoi tentent de pallier partiellement les institutions internationales et les négociations menées en leur sein. Mais interdire l'importation d'animaux élevés dans des conditions particulièrement mauvaises n'est certainement pas le sujet qui soulève les difficultés les plus notables d'ingérence extraterritoriale de la part d'un État national. À l'intérieur des frontières de la Californie, les chiens jouissent du droit de ne pas être mangés. Cela s'applique aux chiens californiens « de souche » comme aux chiens venus de l'étranger. Donc il est interdit de produire et d'importer de la viande de chien. Si les résidents humains de Californie reconnaissent, à travers leurs lois, le droit des canards à ne pas être gavés, ils s'obligent par là même à respecter ce droit. Donc on n'importe pas de foie gras.
La distinction processus-produit, née de la jurisprudence de l'OMC, menace, si elle reste en usage, de compromettre le progrès vers une meilleure protection des animaux. Mais cette distinction n'est en rien consubstancielle à la vocation de l'Organisation. Il n'y pas d'incompatibilité structurelle entre la mise en place de limitations ou d'interdits concernant l'exploitation des animaux et l'économie de marché. Il n'y en a pas davantage avec cette composante particulière de la pensée libérale qui plaide en faveur du libre-échange (la disparition des obstacles à la libre circulation des marchandises entre pays, dans des conditions de concurrence non faussée). Le libre-échange n'est qu'une valeur instrumentale, pas un but en soi. Ses partisans le défendent parce qu'ils estiment qu'il est plus favorable à la prospérité économique des pays qui le pratiquent que le protectionnisme [23]. La « prospérité » en question ne concerne que les humains – le niveau de vie des humains des pays qui participent à l'échange.
La similitude entre le volet social et le volet animal du processus de libéralisation des échanges n'est qu'apparente. On pourrait à première vue songer à mettre sur le même plan l'interdiction d'importer des œufs de poules élevées en batterie, et l'interdiction d'importer du textile fabriqué dans un pays où les salaires sont très faibles puisque, dans les deux cas, il s'agit du refus de la production réalisée par des individus plus défavorisés que ceux résidant sur le territoire national. Cependant, l'adhésion à la doctrine libre-échangiste interdit d'adopter la seconde mesure en invoquant l'intérêt des travailleurs du tiers monde [24], puisque celle-ci soutient que la libéralisation des échanges profite aussi aux pays pauvres : elle leur permet de tirer parti de leur avantage comparatif (une main d'œuvre bon marché), d'élargir dans un premier temps leurs débouchés pour les produits issus de secteurs de technologie intermédiaire exigeant beaucoup de main d'œuvre, et d'entamer ainsi un processus de développement qui à terme conduira à la hausse du pouvoir d'achat des ménages.
Il est clair que le même argument ne peut être transposé aux poules. On ne connaît aucune théorie soutenant qu'importer des oeufs pondus par des poules en batterie, alors qu'on a interdit à l'intérieur de ses frontières cette forme d'élevage, contribue à terme à améliorer le sort des poules élevées à l'étranger. Il est clair par contre que, sauf mesures correctrices, cela amenuise la compétitivité des élevages nationaux, si l'interdiction d'élever en batterie implique un surcoût. Pour les poules nationales ou étrangères, la libre circulation d'œufs indifférenciés car « intrinsèquement » similaires est un jeu perdant-perdant, alors que, du point de vue des humains, la doctrine libérale l'annonce comme gagnant-gagnant.
Beaucoup de pays commencent à inclure les animaux parmi les agents dont le bien-être est à prendre en compte dans l'évaluation des conséquences des activités économiques. Cela crée une situation nouvelle que la théorie qui sous-tend la libéralisation des échanges ne traite pas du tout. Les « tribunaux » de l'OMC ont tranché les différends liés à des dispositions de protection des animaux en ignorant ce fait, appliquant le refus du protectionnisme comme un dogme, un but en soi. Pourtant, il est légitime de considérer que la recherche du bien-être animal est un problème spécifique qui appelle des solutions adaptées. Cette demande de solutions spécifiques a maintenant dépassé le cadre des juridictions de l'OMC pour atteindre le niveau politique puisqu'elle s'exprime désormais dans le cadre des négociations en cours. Par ailleurs, quelques mesures d'interdiction d'importer motivées par le bien-être animal ont été prises ici ou là malgré la menace qu'elles soient compromises si une plainte était déposée auprès de l'OMC, et que celle-ci persiste à trancher dans la ligne de sa jurisprudence passée. Il y a donc quelque espoir que les animaux finissent par compter un peu parmi les habitants du monde dont il s'agit de régler la cohabitation. Le cadre institutionnel des organisations internationales comme l'OMC finira par bouger, comme le font peu à peu les législations nationales. Mais combien de temps faudra-t-il ?
[1] Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international.
[2] On peut accéder au texte intégral de ces propositions à partir de la page « Documents » du site de l'OMC (wto.org) en demandant le document G/AG/NG/W/19.
[3] Document intitulé « European Communities Proposal. Animal Welfare and Trade in Agriculture », disponible sur le site de l'OMC (wto.org), sous la référence G/AG/NG/W/90.
[4] « Communication sur la législation applicable au bien-être des animaux d'élevage dans les pays tiers et sur son incidence pour l'UE », texte intégral disponible à cette adresse : http://europa.eu.int/comm/food/anim...
[6] Les premiers cycles de négociations conduits dans le cadre du GATT à partir de la fin de la seconde guerre mondiale s'étaient surtout attachés à obtenir des abaissements des droits de douane. Puis, on a accordé une attention croissante à la lutte contre diverses formes de protectionnisme déguisé. Une des techniques du protectionnisme sournois consiste à multiplier les normes à respecter pour les produits commercialisés sur le territoire national (en invoquant des raisons techniques, de santé, de sécurité…). L'astuce consiste à spécifier ces normes non pas en fonction de pures considérations techniques ou sanitaires, mais de façon à ce qu'elles correspondent à ce que font déjà les producteurs nationaux, alors que les producteurs étrangers doivent entreprendre des investissements coûteux pour s'y conformer.
[7] C'était déjà un des dossiers importants, et conflictuels, de l'Uruguay Round qui s'est achevé en 1996 dans le cadre du GATT.
[8] En Europe, la réforme de la politique agricole commune dont les principes ont été adoptés en juin 2003 va déjà sensiblement modifier les modalités de financement communautaire de l'agriculture. Voir http://europa.eu.int/comm/agricultu...
[9] Les subdivisions sont un peu différentes concernant l'agriculture, mais on laissera de côté ce détail qui n'a pas d'importance pour notre sujet.
[11] Texte intégral disponible à cette adresse : http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr...
[12] Le détail de cet échéancier peut être consulté à cette adresse : http://www.eceae.org/francais.cosme.... Les dispositions les plus importantes ne doivent entrer en vigueur qu'en 2009 et 2013 :
2009 : interdiction de tester des ingrédients et combinaisons d'ingrédients dans l'UE. Interdiction de vendre des produits et ingrédients testés sur les animaux. Toutefois, trois types de tests échappent à l'interdiction : toxicité à doses répétées, toxicité pour la reproduction et toxicocinétique.
2013 : interdiction de vendre des produits et ingrédients testés recourant aux trois derniers tests autorisés. Cette interdiction pourra être retardée si les méthodes substitutives pour ces trois tests ne sont pas encore disponibles.
[13] Les trois documents relatifs à cette affaire (le recours de la France, les conclusions du procureur et l'arrêt de la Cour sont disponibles sur le site de La Cour de justice (http://www.curia.eu.int/). Faire la recherche en utilisant le numéro de l'affaire : C-244/03.
[14] D'où les développements consacrés par l'avocat général à montrer qu'elles ne le sont pas.
[15] L'avocat général cite ici un texte de la Commission de 2000.
ECVAM : European Centre for the Validation of Alternative Methods (organisme dépendant de l'UE)
OCDE : organisation regroupant 30 pays (principalement des pays développés, dont des pays hors UE, comme les Etats-Unis, eux aussi grands producteurs de cosmétiques).
[16] Celle de la théorie dite « néoclassique » qui est dominante en la matière.
[17] Elle dépend évidemment aussi du budget de l'individu et de l'ensemble des prix, mais ce n'est pas ce qui nous importe ici.
[18] Le texte intégral de cette loi est disponible sur : http://www.stopgavage.com/sb1520.php
[19] On ne connaît pas à ce jour de cas où l'OMC ait eu à se prononcer sur une interdiction d'importer concernant, comme ici, un bien dont la production est également interdite sur le territoire national. Il s'agit néanmoins d'une interdiction motivée par un processus de production. En juin 2005, le Conseil national suisse a décidé d'interdire l'importation de peaux de chiens et chats. Sur cet autre cas d'interdiction d'importer un produit pour lequel il n'y a pas de production nationale, le chef du Département fédéral de l'économie, Joseph Deiss avait mentionné le risque d'enfreindre les accords de l'OMC.
[20] « Meilleur » au regard de critères d'ailleurs divers selon les auteurs et les courants.
[21] Cette position anti-paternaliste ne découle pas chez Mill de l'adhésion a priori à un principe absolu de respect d'une sphère privée. Il argumente en sa faveur selon la logique utilitariste qui est la sienne, faisant valoir que le recours à la contrainte légale ou sociale en la matière présente pour l'individu et pour la société des conséquences plus nocives que bénéfiques.
[22] J.S. Mill, On Liberty and Other Essays, Oxford University Press, 1991, p. 105-106.
[23] Mon propos n'est pas d'évaluer la pertinence de cette doctrine, mais d'en voir les implications pour la question animale, en se plaçant à l'intérieur du cadre qu'elle propose.
[24] L'OMC permet, sous certaines conditions et limites, de restreindre les importations pour sauvegarder l'industrie et les emplois nationaux. De façon générale, les accords du GATT et de l'OMC n'établissent pas une situation de libre-échange total. Ils ont conduit à abaisser le degré de protectionnisme dans les échanges internationaux. Il n'en reste pas moins que les bienfaits attendus de cette politique reposent sur l'analyse fournie par les doctrines libre-échangistes.