Le texte ci-dessous a été rédigé à notre demande par des militants d’ATEA [1] afin de présenter leur association aux lecteurs des Cahiers. Nous publions à la suite le Manifeste pour les vaches rédigé et diffusé par cette même association.
La rédaction.
L'activité d'ATEA débute en 1994, impulsée par des personnes qui militaient déjà depuis des années pour la défense animale. Ses objectifs, comme ceux de beaucoup d'autres groupes similaires, sont de lutter contre tout type de violence, abus, ou exploitation injustifiée commis par l'homme envers les autres animaux. Les domaines où ces situations se produisent sont très divers et vont de celles qui sont à peu près familières au grand public (abondons d'animaux ou mauvais traitements lors de festivités) jusqu'à des réalités que les gens n'associent pas à des actes préjudiciables, telles que le cirque, les compétitions sportives ou la publicité.
Notre organisation soigne particulièrement le message qu'elle diffuse dans la société à travers les media. Dans les communiqués et conférences de presse, outre le traitement de thèmes spécifiques, nous cherchons toujours à faire passer des messages généraux, tels que l'idée qu'il n'existe pas une souffrance " humaine " et une autre " animale ", que le même degré de souffrance chez un individu devrait impliquer de notre part la même considération morale théorique, indépendamment de son espèce, ou encore l'idée que notre lutte s'inspire des mêmes principes que celle des associations humanitaires : la solidarité et la compassion. Enfin, en complément du travail permanent d'information et de critique mené par ATEA, nous tentons de valoriser une lutte très dépréciée de nos jours. En effet, la société continue à voir les défenseurs des animaux comme des excentriques, ne trouvant pas mieux à faire de leur temps libre que de le gaspiller dans une idéologie absurde, alors qu'ils pourraient consacrer leurs efforts à aider les êtres humains. Dans ce contexte, nous pensons que seul un message construit, dur et sans équivoque peut de quelque manière contrecarrer la dévastatrice idéologie anthropocentrique et spéciste.
On ne doit pas se faire d'illusions. Les choses ne changeront pas du jour au lendemain ; les agresseurs ne connaîtront pas une sorte d'illumination éthique soudaine. Il est douteux que la réforme morale radicale que nous proposons se produise si nous ne provoquons pas au préalable un large débat social engagé et sérieux.
En Espagne, les résultats concrets du mouvement de défense animale sont décevants, à tel point que nous n'avons même pas réussi à faire comprendre à l'ensemble de la société que nous ne sommes pas nécessairement des gens qui aimons les animaux ou des écologistes. Lorsque nous affirmons que l'idéologie écologiste actuelle peut même s'avérer nocive pour notre cause, les journalistes reçoivent cette assertion avec étonnement et perplexité. Par ailleurs, l'existence de corridas dans notre culture constitue un double fléau. D'une part pour les victimes directes du spectacle (chevaux et taureaux), et parallèlement aussi pour l'idéologie elle-même. Bien que la majorité des défenseurs des animaux, collectivement et individuellement, se consacrent en grande partie à lutter contre cet aspect du problème animal, la tauromachie est aujourd'hui un phénomène social au moins aussi solide qu'il y a vingt ans, lorsque le mouvement commençait à peine. S'il est certain que la charge symbolique des corridas requiert qu'on y accorde plus d'attention que ne le justifierait leur importance statistique, se consacrer de façon obsessionnelle à ce domaine constitue un gaspillage d'énergie, surtout quand les résultats ne suivent pas. Nous autres militants animalistes devrions faire preuve de davantage d'autocritique et de moins de complaisance envers nous-mêmes.
Des événements dramatiques comme ceux que les autorités politiques et sanitaires désignent par l'expression aseptisée de " crises alimentaires " révèlent de la façon la plus crue le statut moral que nous continuons à accorder aux animaux non humains : celui de simples choses, de chiffres froids reflétés par les indicateurs économiques, alors qu'en vérité la pratique de l'élevage est une forme contemporaine d'esclavage à grande échelle, objectivement plus dévastatrice que les pires situations de soumission institutionnalisée qu'ait jamais connues l'histoire de l'humanité. Le nombre d'individus impliqués et le niveau de la violence exercée sur eux ne laissent pas place au doute.
Le message public d'ATEA inclut ces affirmations et d'autres similaires et, aussi surprenant que cela paraisse, les media l'acceptent assez naturellement, ce qui renforce notre conviction que le discours de l'idéologie animaliste doit prendre appui sur une heureuse réalité : l'acceptation tacite générale dans la population des principes des Droits humains. Selon nous, il faudrait adopter sans complexes non seulement leurs fondements théoriques, mais aussi leur vocabulaire spécifique, et l'incorporer à notre cause. Il faudrait également s'employer à détruire l'image attachée à cette entité collective fictive que nous appelons " animaux ". En réalité, cette entité n'existe pas, du moins en tant que groupe naturel homogène. Il s'agit en pratique d'un ensemble d'êtres disparates, qui ne possède pas un seule caractère pertinent sur le plan moral qui soit à la fois commun à tout ses membres et absent chez les êtres humains.
Nous vivons dans une société intellectuellement anesthésiée par le pouvoir médiatique, qui décide quand une chose est à la mode et qui détermine le politiquement correct du moment. Le plus terrible de tout est que cette société est spéciste. Aujourd'hui, il n'est pas commode d'être animaliste, dans la mesure où l'on est amené à aborder des questions qui entrent clairement en conflit avec des valeurs et traits culturels aussi sacralisés que les loisirs, le droit à la consommation et la démocratie. La tâche qui nous attend n'est pas facile, mais notre condition d'animaux éthiques constitue précisément le point d'inflexion qui peut faire changer cet enfer que constitue aujourd'hui la société humaine pour les animaux.
[1] ATEA - Asociación para un trato ético con los animales (Association pour un traitement éthique des animaux) - peut être contactée à l'adresse postale suivante : ATEA, Apartado de Correos 581, 01080 VITORIA-GASTEIZ, Espagne ; ou par courrier électronique : atea@wanadoo.es.