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Cahiers antispécistes n°27 - octobre 2006

Poules pondeuses en batterie : rien ne manque à leur bonheur

Le texte ci-après est tiré du chapitre 30 de L’INRA au secours du foie gras (éditions Sentience, 2006) intitulé « Les poules sont bien en cages, les cochons sur le béton… ». Il n’en reproduit qu’un extrait (les pages 199 à 203). Deux notes ont été omises.

« les cages en usage sont de dimensions suffisantes » pour les poules en batterie

Plus de quarante millions de poules sont utilisées pour produire des œufs en France [1]. Environ 80% d'entre elles sont enfermées en cages de batterie [2] :

Source : Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF)

La claustration des poules est l'une des pratiques d'élevage qui fait l'objet de réglementations européennes. Une directive adoptée en 1999 [3] a ainsi imposé le passage des 450 cm2 en vigueur jusqu'alors à une surface minimale de 750 cm2 par poule. Le rapport du Comité scientifique de la Commission européenne – qui a servi de base à l'élaboration de cette directive – constate l'impossibilité de chiffrer « l'espace adéquat » par poule, mais fournit cependant des éléments d'appréciation de ce que doit être « l'espace minimal requis » :

Il est difficile de répondre à la question de savoir quel est l'espace adéquat pour le bien-être des poules. […] Il y a cependant une tendance claire à un comportement moins perturbé lorsque plus d'espace est alloué aux poules (Cunningham et al., 1987 ; Hansen, 1976 ; Hughes et Black, 1974 ; Nicol, 1987 ; Zayan et Doyen, 1985). […] Malgré un examen détaillé des données scientifiques, il n'est pas possible de donner des chiffres pour les besoins en espace. La meilleure estimation de ce que peut être l'espace minimal requis est, sous certaines conditions, celui qui permet à chaque oiseau tous les mouvements normaux, sachant que le partage de l'espace est important.

Commission européenne – Comité scientifique de la santé et du bien-être des animaux, Report on the Welfare of Laying Hens, 1996, pages 30-31 et 41, souligné par nous

Source : Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF)

Les producteurs d'œufs de batterie s'opposent à cette directive et financent des études de l'INRA sur le bien-être des poules en cage [4]. Malgré l'existence du rapport européen – un document de 147 pages citant plus de 450 références scientifiques – les producteurs français soutiennent que les nouvelles normes « ne reposent sur aucune justification scientifique » :

Francis Damay, président du CNPO, a interpellé Gisèle Rossat-Mignod, conseillère technique d'Hervé Gaymard [alors ministre de l'agriculture] : « Vous connaissez notre opposition à ces normes qui ne reposent sur aucune justification scientifique. Elles présentent, selon les premiers travaux de recherche, des inconvénients majeurs et notamment une dégradation de la qualité des œufs. Sur le plan économique, de telles normes aboutiront à casser notre compétitivité et donc à favoriser les importations de produits qui ne supporteront jamais les mêmes contraintes. Nous espérons parvenir à une révision de la directive et souhaitons que la France nous épaule dans ce combat essentiel à l'avenir de notre production d'œufs ».

Armelle Puybasset, « Le CNPO espère une révision de la directive bien-être », Réussir Aviculture, numéro 102, décembre 2004, pages 4-5, souligné par nous

Gérard Guémené, le chercheur de l'INRA dont nous avons analysé les prises de position sur le foie gras (cf. parties précédentes), tient les mêmes propos que le président du CNPO :

« La surface de 750cm2 par poule de la directive a été établie arbitrairement sans qu'aucun résultat scientifique n'en étaye les bénéfices en termes de bien-être, » rappelle Daniel Guémené.

Armelle Puybasset, « Le bien-être des poules évalué par l'INRA », Réussir Aviculture, numéro 104, mars 2005, pages 32-33, souligné par nous

On ignore si Daniel Guémené possède des résultats scientifiques pour étayer les bénéfices en termes de bien-être qu'il y a à maintenir les poules à une densité de 450 cm2 par individu. Au moment de l'élaboration de la directive, son collègue Jean-Michel Faure soutenait en tout cas que la taille des cages est déjà suffisante et que leur aggrandissement n'apporterait rien aux oiseaux :

Il faut aussi noter que l'amélioration des conditions d'élevage est une décision qui est du domaine politique puisqu'il faut mettre en balance, d'une part le bien-être des animaux, et, d'autre part, le coût qui devra être supporté par le producteur ou par le consommateur. Dans ce domaine, la Commission des communautés européennes et le Conseil de l'Europe ont un rôle de leader. Leurs décisions manquent cependant souvent de bases scientifiques. Ainsi le dernier projet de l'Union européenne (projet Mac Sharry VI/2327/92) ferait passer la surface minimale par poule de 450 cm2 à 800 cm2 et la hauteur de la cage de 40 à 60 cm. Le volume à prévoir par individu est multiplié par 2,7. Le surcoût est donc considérable alors que, comme nous l'avons vu précédemment, une cage vaste n'est pas une condition du bien-être de ces volailles, dont les cages en usage sont de dimensions suffisantes.

J-M. Faure, A.D. Mills, « Bien-être et comportement chez les oiseaux domestiques [5] », INRA Productions Animales, volume 8, numéro 1, février 1995, pages 57-67, souligné par nous

Nous avons vu que les protocoles expérimentaux employés par ces chercheurs pour aboutir à la conclusion que « les cages en usage sont de dimensions suffisantes » ont été critiqués d'un point de vue scientifique par certains de leurs confrères (cf. chapitre 10).

Les poules peuvent prendre leur « bain de poussière sur le grillage des cages » pour éviter « un dispositif coûteux de distribution de sciure »

Outre l'augmentation de la surface par poule, la directive européenne de 1999 contraint les producteurs à munir les cages d'équipements permettant aux animaux d'exercer certaines activités. La photo suivante donne un exemple de ce type de cages dites « cages aménagées » :

« Petit groupe (8 poules) […] dans une cage aménagée avec un perchoir en bois, un bac latéral pour la ponte avec tapis de type “Astroturf” et un bac de litière à bain de poussière au dessus du nid. »

Groupe scientifique sur la santé animale et le bien-être des animaux de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), Welfare aspects of various systems for keeping laying hens [6], 2004, figure 3.3

Une zone avec litière est l'un des équipements rendus obligatoires par cette directive. Des chercheurs de l'INRA – ceux-là mêmes qui contestent le besoin d'espace des poules – mettent en doute l'intérêt de cet aménagement :

Actuellement, les éleveurs privilégient l'élevage des poules en cage alors que les protecteurs des animaux y sont farouchement opposés. La cage est surtout critiquée pour le manque d'espace disponible et l'absence de litière. Ces deux facteurs ne semblent cependant pas essentiels pour la poule.

J-M. Faure, A.D. Mills, op. cit.

Ces scientifiques avancent en particulier l'argument selon lequel, bien que « les poules préfèrent très nettement la litière au grillage », elles n'en ont pas réellement « besoin » :

Les « protecteurs » critiquent fortement l'absence de litière pour la poule sur grillage en cage. […] Mais la poule est-elle d'accord avec cette critique ? A-t-elle un comportement montrant que la litière est nécessaire à son bien-être ? À l'occasion d'une série d'expériences relativement sophistiquées, H. Lagadic et J.-M. Faure ont montré en 1987 et 1991 que les poules préfèrent très nettement la litière au grillage. En revanche, elles ne sont pas prêtes à « payer » – en affrontant un stimulus déplaisant comme un vent à vitesse variable ou en effectuant un « travail » d'appui sur un bouton – pour accéder à la litière plutôt qu'au grillage. Pour les chercheurs, il y a l'expression d'une préférence, mais pas d'un besoin.

« La poule n'a pas de besoin pour une plus grande cage », Filières Avicoles, janvier 1997, pages 52-53

Les conclusions des chercheurs de l'INRA n'ont semble-t-il pas convaincu leurs collègues scientifiques européens, membres du groupe d'experts [7] qui a rédigé le rapport de la Commission européenne sur le bien-être des poules :

Les poules préfèrent de loin les sols avec litière aux sols en grillage (Dawkins, 1981, 1982 ; Dawkins et Beardsley, 1986 ; Appleby et al., 1988). […] Lorsque la litière est disponible, elle est intensivement utilisée par les poules pour gratter et picorer. […] Dans une situation expérimentale (Lagadic et Faure, 1987) ou dans un conflit de motivation (Faure et Lagadic, 1994), l'élasticité de la demande de litière chez les poules est forte, ce qui implique que la litière n'est pas une haute priorité pour elles. Cependant, dans une autre situation expérimentale, Matthews et al. (1993) ont trouvé que les oiseaux sont prêts à travailler pour obtenir de la litière et que l'élasticité de la demande est faible, ce qui implique que la litière est une haute priorité pour eux. […] La litière est donc un substrat que les poules préfèrent au grillage et elle est nécessaire à l'expression normale de certains comportements […].

Commission européenne – Comité scientifique de la santé et du bien-être des animaux, op. cit., pages 35-36

Notons que lorsqu'il s'agit d'argumenter contre l'agrandissement des cages, Jean-Michel Faure soutient qu'il est plus important d'enrichir l'environnement de la poule :

Pour J.-M. Faure, ces résultats ne signifient pas que la cage soit un environnement parfait pour la poule. Mais si la poule est perturbée en cage, la cause n'est pas l'espace disponible. D'après ses expériences, « il semble beaucoup plus probable que la pauvreté de l'environnement (et donc des stimulations reçues) soit un facteur plus important que l'espace pour le bien-être de la poule [8] ». À Bruxelles, on fait donc fausse route en se focalisant sur la taille et la surface de la cage pour améliorer le bien-être de la pondeuse.

« La poule n'a pas de besoin pour une plus grande cage », op. cit.

Mais lorsque la directive européenne impose la présence d'un bac de litière, précisément pour enrichir cet environnement, le même Jean-Michel Faure se demande alors s'il est « bien utile d'imposer la présence dans ces cages d'un dispositif coûteux de distribution de sciure » :

En cages aménagées, les poules ne sont pas très motivées pour prendre des bains de poussière dans le bac mis à leur disposition à cette fin, a observé Vanessa Guesdon (Inra-SRA de Tours). Dès lors, est-il bien utile d'imposer la présence dans ces cages d'un dispositif coûteux de distribution de sciure, qui de surcroît a pour inconvénients d'augmenter les quantités d'effluents d'élevage et la présence de poussières dans l'air ambiant ? C'est la question que pose Jean-Michel Faure (Inra-SRA), qui a encadré cette étude. Il relève en outre que les poules parviennent en revanche à exprimer un tel comportement de bain de poussière sur le grillage des cages standards.

Yves Montjoie, encadré « Également glané aux JRA [Journées de la Recherche Avicole] », page 69 de l'article de Nicolas Nativel, « Bien-être des volailles, mal-être des éleveurs ? », op. cit.

Daniel Guémené – un collègue de Jean-Michel Faure – met quant à lui en doute le « caractère indispensable » de l'ensemble des équipements imposés par la directive européenne :

« Les différents aménagements (nids, perchoirs, mangeoires, zone de grattage) sont bien utilisés par les poules, constate Daniel Guémené. Cependant, ces observations ne préjugent pas de leur caractère indispensable, puisqu'à l'opposé, certains animaux ne les utilisent pas, en dépit de leur disponibilité. »

Armelle Puybasset, op. cit.

En somme, selon ces chercheurs de l'INRA, rien ne prouve que les aménagements prévus par la directive améliorent vraiment le sort des poules, ni que celui-ci ait besoin d'être amélioré. Les conclusions toutes scientifiques de ces experts se trouvent coïncider avec celles toutes économiques des professionnels de l'aviculture.

[1] Pour l'année 2004, le tableau « X – Effectifs des animaux » donne un effectif de 44 412 000 pour les « poules pondeuses d'oeufs de consommation » (7 370 000 pour les « poules pondeuses d'oeufs à couver » et 17 787 000 pour les « poulettes ») ; ministère de l'agriculture – Service central des enquêtes et études statistiques, Statistique agricole annuelle – Résultats 2004, octobre 2005, page 157. Cette publication peut être commandée sur http://agreste.agriculture.gouv.fr/....

[2] « En 2004, l'élevage des poules pondeuses en bâtiments totalement fermés regroupe 36 des 42 millions de places disponibles pour ces poules. [...] En 2004, les bâtiments dotés des cages aménageables aux nouvelles normes regroupent 11 millions de places. On en compte près de 23 millions dans des cages non aménageables, et 2,5 millions dans des élevages au sol sur béton ou terre battue. [...] L'élevage des poules pondeuses avec accès à un parcours, c'est-à-dire dans un bâtiment avec des trappes ouvrant sur un parcours herbeux ou une volière, offre 5,9 millions de places en 2004. […] Le champ de l'enquête représente, dans le recensement agricole 2000, 85% des poules pondeuses d'oeufs de consommation » ; ministère de l'agriculture – Service central des enquêtes et études statistiques, « Les éleveurs adaptent leurs bâtiments à leurs production », Agreste Primeur, numéro 165, juillet 2005, pages 1-4, http://agreste.agriculture.gouv.fr/....

[3] Directive 1999/74/CE du Conseil du 19 juillet 1999 établissant les normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses, http://europa.eu.int/eur-lex/fr/con....

[4] Cf. par exemple les remerciements qui apparaissent à la fin de l'article de Vanessa Guesdon, Christine Leterrier, Paul Constantin, Daniel Guémené, Michel Couty, Jean-Michel Faure, « Humeral quality and adrenal responsiveness in laying hens reared in standard and furnished cages », Animal Research, volume 53, numéro 3, mai-juin 2004, pages 235-243 : « This project was supported financially by the CNPO (Centre national pour la promotion de l'oeuf), the DGAL (Direction générale de l'alimentation) and the OFIVAL (Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage et de l'aviculture) », http://www.edpsciences.org/articles....

[7] Jean-Michel Faure était lui-même l'un des membres de ce groupe d'experts.

[8] L'article contient cette note : « NDLR : Les citations sont extraites d'un article de J.-M. Faure, “Besoins en espace chez la poule” publié dans Comportement et bien-être animal aux Éditions de l'Inra, 1994. »

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