Éva Salabert donne ici son point de vue sur la critique par Philippe Moulhérac du livre d’Eugen Drewerman, De l’Immortalité animale, parue dans les Cahiers antispécistes n°9 sous le titre « Théologie radicale ou lieux communs ». Philippe Moulhérac répond à la suite de ce texte.
Ayant, à ma première lecture été tout d'abord enthousiasmée par cet ouvrage de Drewermann De l'immortalité animale, le pensant, à tort dois-je le reconnaître, comme une remise en cause radicale de la position anthropocentrique de l'église catholique par un théologien qui plus est, j'ai dû effectivement me rendre compte de mon erreur - je ne dirais pas de jugement car c'est probablement le sens qui m'a fait alors défaut - éclairée justement par cette critique « Théologie radicale ou lieux communs » de Philippe Moulhérac.
En effet, la critique cible des points bien précis, et très justes d'une part, à savoir que Drewermann dans son livre n'appelle pas à une réelle prise en compte de l'animal en tant qu'être individuel, et donc, comme fin en soi, mais plutôt comme une sorte de marche-pied de l'évolution de l'Homme, conception propre au cadre de pensée de la religion officielle, largement - ou plutôt étroitement - établi et déterminé par Thomas d'Aquin dont la seule motivation contre certaines formes de cruauté envers l'animal n'avait d'autres fondements que la préservation d'une virtuelle dignité humaine.
Cependant, et c'est là l'objet essentiel de cette lettre, je pense qu'il ne faut pas tout confondre et adopter une position aussi agressive à l'encontre de toute dimension spirituelle que celle qu'exprime ce « farouchement anti-religieux ».
S'il est vrai que j'adopte moi-même une attitude de rejet vis-à-vis de l'Église catholique où les gens viennent chanter des louanges à la gloire de Dieu sur des hymnes d'Amour universel, puis s'en retournent, peut-être en sortant, à la boucherie du coin, et, qu'également j'éprouve un profond dégoût devant le nouveau catéchisme qui n'est qu'un tissu d'horreur et d'hypocrisie bien représentatif du pape bénissant d'une main les animaux et de l'autre les toréadors ou autres, je refuse cependant une assimilation aussi catégorique et sans discernement entre cette institution historique, sociale, et humaine et la croyance intemporelle et originelle en une évolution du monde transcendant à un monde physique qui dès lors n'en serait que la manifestation sensible.
Le terme « religion » veut tout et rien dire. Pris dans son sens courant, il s'agit, à mon sens, d'une institution humaine édifiée sur une interprétation arbitraire et donc orientée des textes bibliques, eux-mêmes constitués en un canon officiel érigé en universelle vérité.
Dans un cadre de pensée purement anthropocentrique et spéciste, seul l'Homme a le pouvoir de rejoindre son créateur par son immortalité virtuelle, donc seul l'homme est au centre de tout ; et, toute préoccupation de surface pour les animaux, laquelle en effet s'intègre dans celle, plus large et donc insaisissable, pour la nature, au nom d'un respect pour la création, ne peut effectivement que rejoindre éternellement et se ramener essentiellement au seul statut de l'Homme.
Dans son sens premier et étymologiquement religion vient de « religare » = relier la terre et le ciel, la matière et l'esprit...
Il s'agit dès lors d'une recherche intérieure, personnelle, individuelle, pouvant emprunter les chemins les plus divers de l'ésotérisme chrétien au bouddhisme, en passant par la Rose-Croix, la Franc-maçonnerie... par laquelle l'Homme, éclairé de l'intérieur par un enseignement intemporel, par une connaissance originelle transmise depuis l'aube des temps à travers toutes les civilisations, à savoir la Gnose, cherche à comprendre son origine, son devenir, sa place relative dans l'Ordre de l'Univers, et, par là, en éveillant sa conscience à cette réalité transcendante et immanente, à déchiffrer l'involution et l'évolution de l'Esprit, Dieu, Absolu ou Infini à travers la spirale descendante et ascendante de la création.
Cette dernière perspective, qui est aussi la mienne - mais résulte d'une lente évolution et réflexion puisque ma démarche et ma position relatives à la libération animale, en premier lieu mon adoption définitive du végétarisme, n'ont pas et jamais été motivées par une quelconque volonté d'élévation ou de pureté personnelle mais je dirai par une prise de conscience quasi viscérale d'une injustice absolue et insupportable - demeurant sur un plan intérieur qui certes a aussi pour but final son application concrète dans notre vie quotidienne, ne va aucunement en contradiction avec les principes fondamentaux de la libération animale, en ce sens qu'elle ne correspond pas à l'édification idéologique et culturelle d'un système arbitraire et totalitariste et à l'institution de dogmes ou plus généralement de normes de comportement... et n'interfère pas sur la démarche du mouvement de libération animale.
Il est certain que certaines écoles gnostiques (Rose-Croix par ex.) ou certaines religions proscrivent l'alimentation carnée, voire le meurtre des animaux dans le seul but d'une élévation spirituelle et personnelle, d'une pureté individuelle.
L'essentiel reste de ne pas s'enfermer dans aucun système et d'user de cette liberté de penser que nous aliénons la plupart du temps à des structures extérieures, des normes...
Par exemple la macrobiotique, en majeure partie végétalienne mais pas strictement car pour d'autres raisons que la libération animale, m'intéresse malgré tout parce qu'elle est reliée à une perspective spirituelle, ou plutôt cosmologique, visant à l'équilibre dynamique entre le Yin et le Yang, entre la matière et l'esprit... ; mais les animaux ne sont pas pris en compte autrement que comme une étape de l'évolution qui, à la limite, serait acceptable dans la mesure où l'Homme également ne représente qu'une étape d'un processus transcendant qui le dépasse et dans lequel il s'intègre dans une continuité ontologique.
Dans la pratique, qui seule intervient dans la démarche de la libération animale, il n'en reste pas moins que chaque être doit être considéré comme fin en soi. Je conçois beaucoup mieux le point de vue de Thomas Regan qui attribue à chaque être une valeur intrinsèque que celui de la philosophie utilitariste.
La libération animale procède d'une action, relative à notre environnement socio-culturel, politique, économique - et religieux ! - de libération, dans le monde, posée comme une solution concrète à une oppression et au meurtre, légalisés et légitimés - aussi et surtout par la religion ! - dans le cadre de la société, et, surtout, d'un cadre de pensée idéologique, culturel, ... sur lequel s'est érigé le système oppresseur.
Il s'agit dès lors de faire éclater ce cadre anthropocentrique et spéciste d'une société basée de fait sur la domination du plus fort, alors que sa mission originelle et son institution, relevant de la culture - comme ce qui s'ajoute à la nature - devrait pallier, par l'instauration d'une égalité de droit, inaliénable à chaque être, par delà les limitations et différences physico-biologiques... à une inégalité de fait.
Quand bien même, je tiens à le préciser, la libération animale repose sur une éthique rationaliste et objective, penser, croire en une âme individuelle de l'animal - dont la reconnaissance ou non ne doit cependant pas motiver notre démarche - et, ce, non plus à travers une perspective écologiste où la préservation des espèces est là pour légitimer et perpétuer ces massacres au nom d'abstractions stériles et déculpabilisantes, ne va aucunement à l'encontre de la philosophie de la libération animale - qui d'ailleurs chez Thomas Regan est sous-tendue par une spiritualité diffuse et implicite.
D'ailleurs la première et fondamentale motivation de mon rejet de l'église catholique se retrouve assez justement dans cette critique de Philippe Moulhérac.
Au niveau de l'action reste à ce que n'affleure pas ce qui correspond à une pensée personnelle, entre autre spirituelle et gnostique. Mais l'inverse est également valable.
Notre démarche doit, ainsi que le dit Regan, être structurée, disciplinée et objective.
Cela étant, il n'en reste pas moins que la libération animale doit également à mon sens (et c'est pourquoi sa base et son principe fondamental sont absolument en accord avec ceux qui fondent et motivent ma démarche) suivre une ligne directrice, selon laquelle le cadre de pensée est ainsi en quelque sorte épuré de tout subjectivisme et donc de ce qui serait extérieur (et donc relié indirectement à l'Homme, ou plus largement à un idéal transcendant), garantissant ainsi la reconnaissance d'une injustice absolue, conférant à chaque être des droits inaliénables et épurés de tout sentimentalisme - lequel revient inévitablement à ne prendre en compte l'animal, sa souffrance, son exploitation, qu'en fonction de notre sensibilité personnelle.
Thomas Regan est sans doute l'exemple parfaitement représentatif d'une démarche qui se veut rationnelle et objective bien qu'issue d'une pensée non anti-religieuse, voire même spiritualiste.
Reste que toute intégration à l'intérieur d'un système préétabli conduit effectivement au sectarisme, au totalitarisme, à l'intolérance, et peut difficilement - ainsi que l'article semble vouloir le démontrer - accepter l'extension à une notion nouvelle sans remise en cause fondamentale de ses fondements, d'autant plus difficile dans le cas de la religion qui précisément a toujours cautionné, si ce n'est elle-même édifié, les massacres, l'exclusion, et, l'exploitation de groupes donnés, considérés alors inférieurs.
Les Cahiers antispécistes doivent, me semble-t-il, suivre cette ligne directrice de la raison et de l'éthique, et, je préfère le « non-religieux » de David Olivier à ce « farouchement anti-religieux ».
Il s'agit dans ce cas de ne pas rejeter agressivement - mais seulement de s'en distancer - tout ce qui participe d'une croyance non pas en « quelques principes merveilleux » mais en un sens profond de l'existence, à partir du moment où bien entendu cela ne remet pas en cause l'exigence de l'égalité animale dans son principe.
Reste que ces Idées n'interfèrent pas dans des discours spécifiques à la libération animale, et, plus généralement, dans notre démarche extérieure et sociale.
La question et le motif de la libération animale ne se posent pas en termes spirituels ou ésotériques mais purement éthiques, à partir du moment où l'action envisagée reste limitée et se situe sur un plan concret, social... duquel toute déviation devient inopérante et source de conflit, d'intolérance et d'incohérence.
Ces deux axes ou dimensions de la pensée - qui orientent ma réflexion personnelle mais aussi celle de plusieurs amis anti-spécistes - n'en demeurent pas moins, si ce n'est en harmonie et continuité à terme, tout au moins distincts à un niveau proprement concret et actuel.