Quand la science et l’industrie nous font croire n’importe quoi
Sur Armand Farrachi, Les Poules préfèrent les cages [*]
Le point de départ de ce pamphlet est une étude scientifique, publiée par l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) en 1994, qui affirme que les poules sont moins stressées et plus heureuses en cage qu'en liberté ! À partir de ce rapport, l'auteur étend sa démonstration en montrant comment la vocation de la science moderne n'est plus seulement de comprendre le monde physique et d'en maîtriser le fonctionnement mais aussi de justifier de façon « objective » l'enfermement, la violence, l'oppression... nous faisant accepter des conditions de vie inacceptables.
Sous un discours parfois très naturaliste qui dénonce « l'artificialisation » du monde (ou la Terre prend un « T » majuscule), l'auteur garde quand même un pied sur terre (avec un « t » minuscule). L'étude de l'INRA n'est pas seulement le point de départ à un pamphlet humaniste, l'argumentation est toujours étayée par des exemples où les animaux non humains gardent une place non négligeable. Ce mélange rend l'exploitation animale visible et présente une pointe égalitariste très appréciable.
Quelques extraits pour le plaisir : « Partout où la technique a triomphé, le choix de la vie, devenu choix de la survie, consiste à se déterminer par rapport à l'arbitraire, de gré ou de force, ainsi que nous y invite la propagande marchande : voici une voiture qui vous ressemble, "à vous d'inventer la vie qui va avec". Poules, voici la cage, la nourriture et l'éclairage qui vous conviennent, à vous d'inventer la vie qui va avec. Juifs, Indiens et Nègres, voici le camp, la réserve ou la soute que vous méritez : à vous d'inventer la vie qui va avec. Citoyens, voici votre emploi ou votre agence nationale pour l'emploi, votre studio-cabine, vos antidépresseurs, vos tapis roulants et vos programmes télévisés, à vous d'inventer la vie qui va avec. » (p.123-124)
On y retrouve même explicitement quelques passages antispécistes : « Car il va sans dire que l'élimination des animaux n'entraîne aucune pause dans le massacre des hommes, et qu'on profite généralement du désordre provoqué par le génocide "ethnique", c'est-à-dire humain, pour accélérer à la sauvette le génocide animal et l'avancée technologique. Himmler, ingénieur agronome dans le civil, avait d'ailleurs eu tout loisir d'exercer ses principes rationnels sur les volailles, dont il organisait l'élevage ou l'abattage en professionnel éclairé. Bien que les nazis n'aient pas inventé l'holocauste mais simplement sa forme industrielle et systématique, on croyait avoir atteint le comble de l'horreur pendant la deuxième guerre mondiale. On comprend aujourd'hui qu'il s'agissait d'un galop d'essai, d'ailleurs maladroit dans sa brutalité, que toutes les races, toutes les ethnies, toutes les espèces sont inférieures à la raison économique, et qu'il est question d'un génocide sans exclusive et permanent. Mais, aujourd'hui, haïr ne suffit plus. Il s'agit de prouver. Et la raison en blouse blanche sera toujours plus présentable que la haine en chemise noire. » (p.110-111)
Bien sûr, ce ne sont que des extraits et il y a beaucoup de passages qui traitent du « Grand Tout Cosmique », mais au moins ce livre a le mérite d'y inclure les animaux pour de vrai !
[*] Éd. Albin Michel, collection « Sciences sans frontières », 140p., 75F