Le Projet Grands singes anthropoïdes est : une déclaration, un livre et une organisation. La déclaration est celle dont on trouvera la traduction française à partir de la page 29 de ce numéro des CAL. Elle demande l'inclusion de tous les grands singes anthropoïdes [1] dans la communauté des égaux, communauté qui aujourd'hui comprend tous les individus de l'espèce humaine et eux seuls, et à l'intérieur de laquelle sont reconnus en particulier les trois droits fondamentaux énumérés en début de la déclaration.
Le livre, support de la déclaration, a été publié le 14 juin dernier à Londres. Il s'intitule The Great Ape Project: Equality Beyond Humanity, c'est-à-dire : « Le Projet Grands Singes anthropoïdes : l'égalité au-delà de l'humanité ». Au-delà de l'humanité, en un double sens : il s'agit de porter pour la première fois l'égalité au-delà de l'espèce humaine, et de porter la militance animaliste dans la sphère politique en dépassant ainsi « l'humanité », le sentiment humanitaire, en exigeant le respect pour des individus non humains non en fonction d'une compassion qu'on peut avoir ou non, mais en fonction du droit d'autres égaux. Le livre, outre la déclaration, contient une trentaine de textes de 300 pages au total rédigés par les premiers signataires et apportant une argumentation scientifique et éthique à l'appui de la déclaration.
L'organisation, qui est en train de se mettre en place à un niveau international, a pour but de rassembler les énergies afin de faire aboutir le projet en obtenant la reconnaissance générale des principes qui y sont énoncés. Une branche française se formera sans doute prochainement.
L'initiative du projet est due à Paola Cavalieri et Peter Singer, deux militants connus de libération animale. Pour un militant de libération animale, les limites du projet sont évidentes :
- il ne concerne qu'un petit nombre d'espèces, ne correspondant qu'à quelques centaines de milliers d'individus ;
- il argumente l'égalité en se fondant sur la présence chez les grands anthropoïdes de caractéristiques proches de celles de l'humain typique (intelligence, langage...), plutôt qu'en termes de sensibilités.
Se polariser sur ces points négatifs serait ne pas voir la force centrale que possède à mon sens le projet : la frontière de l'espèce humaine a pris aujourd'hui une valeur quasi-magique, et la traverser, en son point le plus faible comme le demande le projet, revient à saper définitivement la crédibilité du spécisme. Le projet ne demande pas de cesser de manger de la viande : en obtenant de ce fait plus facilement l'adhésion d'un grand nombre de scientifiques et d'autres personnalités reconnues ainsi que du public en général, il fonctionne comme un cheval de Troie. L'argumentation en faveur de l'inclusion des grands singes anthropoïdes paraît très difficile à réfuter, étant donné les connaissances éthologiques actuelles dont bon nombre sont exposées dans le livre (les aptitudes linguistiques décrites m'ont moi-même étonné). Le projet a de fait bénéficié d'un retentissement international important, dont témoigne la sélection de coupures de presse que nous reproduisons pp. 32 à 35. Il a également bénéficié du prix principal de £1 000 décerné à Londres par l'Institute for Social Inventions.
[1] Singe anthropoïde (ape en anglais) = les sept espèces de singes sans queue, dont cinq sont les grands singes anthropoïdes (l'humain, les deux chimpanzés, le gorille et l'orang-outan).