Le texte ci-dessous a été présenté par Gary Francione dans le cadre d’un colloque qui s’est tenu à l’Université de Chicago les 28 et 29 octobre 2005. Il a été publié dans les actes de ce colloque (The University of Chicago Legal Forum, volume 2006). Nous remercions Valéry Giroux d’avoir porté cet article à notre connaissance et Gary Francione d’en avoir autorisé la publication dans les Cahiers.
Le thème de ce colloque – (Le droit et la vie : définitions et prises de décisions – est l'occasion pour moi de répondre à certains des commentaires émis par le professeur Cass R. Sunstein dans sa critique de mon livre (Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog [1] ? L'argument central de ce livre est que nous ne pouvons justifier le fait de traiter les animaux nonhumains comme nos propriétés et de les utiliser pour nos fins, même si cela est fait d'une manière dite « humaine ». Sunstein, au contraire, soutient qu'il est acceptable moralement d'utiliser des animaux pour nos fins, même lorsque celles-ci ne peuvent être considérées comme nécessaires, du moment que, ce faisant, nous ne faisons pas souffrir les animaux indûment. Les défenseurs des animaux, soutient Sunstein, devraient consacrer leur énergie à essayer d'obtenir la prohibition « des pratiques les moins défendables [2] » plutôt que d'exiger l'abolition de toute utilisation des animaux, comme je le propose.
Ma mésentente avec Sunstein sur le rôle de la défense animale est liée à notre désaccord fondamental sur la question de savoir si les animaux ont, ou non, un intérêt à vivre – ou, en d'autres termes, un intérêt à persévérer dans leur être – distinct de, et s'ajoutant à, leur intérêt à ne pas souffrir, qui n'est plus guère contesté. Si les nonhumains ont effectivement un intérêt à vivre, alors l'utilisation que nous en faisons, et non seulement la manière avec laquelle nous les traitons lorsque nous les utilisons, soulève un problème moral fondamental. Dans cet article, j'explore notre désaccord.
Dans la section qui suit, je décris brièvement les principales idées de mon livre et les critiques particulières que m'adresse Sunstein à ce propos. Je discute ensuite de la thèse selon laquelle les animaux n'auraient pas intérêt à persévérer dans leur existence, de même que de certains autres aspects de la critique de Sunstein.
Dans Introduction to Animal Rights, je constate qu'à peu près tout le monde considère qu'il est moralement inacceptable d'infliger une souffrance « non nécessaire » aux animaux nonhumains [3]. En fait, cette règle morale fait à ce point l'unanimité qu'elle est inscrite dans nos lois anti-cruauté ainsi que dans les autres lois qui réglementent notre traitement des nonhumains [4]. Or, pour que l'interdiction d'infliger une souffrance non nécessaire ait un minimum de sens, il faut qu'il soit au moins interdit de faire souffrir un animal par simple plaisir, amusement ou convenance. Pourtant, la quasi-totalité de la souffrance que nous infligeons aux animaux ne peut être justifiée que par des intérêts humains futiles [5]. Non seulement nous utilisons des animaux pour des fins qui ne peuvent être qualifiées de nécessaires, mais nous infligeons à ces animaux, ce faisant, une douleur et une souffrance considérables et les traitons de manières qui seraient considérées comme de la torture, si elles concernaient des humains.
L'utilisation d'animaux pour le divertissement dans les cirques, le cinéma ou les rodéos, et pour la chasse sportive ne peut, par définition, être considérée nécessaire. Par ailleurs, l'immense majorité des animaux que nous exploitons – approximativement 10 milliards chaque année aux États-Unis seulement – le sont pour l'alimentation. Or, non seulement il n'est pas nécessaire de manger de la viande ou de consommer des produits laitiers pour être en bonne santé [6], mais les recherches tendent de plus en plus à démontrer que les aliments provenant d'animaux sont carrément mauvais pour la santé humaine [7]. De plus, l'élevage est incontestablement dommageable pour l'environnement, en raison, d'abord, de la quantité de ressources que consomment les animaux et, ensuite, de la pollution de l'air et de l'eau, ainsi que de l'érosion des sols que cette forme d'agriculture entraîne [8]. Nous mangeons des animaux parce qu'il est dans notre tradition de le faire et parce que nous en apprécions le goût ; aucune nécessité n'intervient dans ce comportement. La seule forme d'exploitation animale qui, à première vue, ne semble pas aussi frivole est celle qu'implique la recherche biomédicale visant à obtenir des connaissances utiles pour remédier à d'importants problèmes de santé humaine. Même dans ce domaine pourtant, l'invocation de la « nécessité » paraît suspecte [9].
Lorsqu'il s'agit des intérêts des animaux, nous souffrons d'une forme de « schizophrénie morale ». Nous disons prendre les intérêts des animaux au sérieux, mais nous ne le faisons pas. Je soutiens que notre schizophrénie morale est largement liée au statut de propriétés des animaux. Même si nous prétendons accorder de la valeur morale aux intérêts des animaux, la réalité est que les animaux ne sont pour nous rien d'autre que des marchandises n'ayant qu'une valeur extrinsèque, et nous les considérons donc comme de simples moyens d'atteindre nos propres fins [10].
Parce que les animaux sont des propriétés, nous ne nous demandons même pas s'il est nécessaire de les utiliser ; nous nous focalisons uniquement sur la façon de les traiter, prétendant chercher un « équilibre » entre leurs intérêts et les nôtres pour déterminer si on les traite « humainement ». Le statut de propriétés des animaux, pourtant, nous empêche de peser équitablement les intérêts en présence, puisque même les plus triviaux des intérêts d'un propriétaire l'emporteront toujours face aux intérêts des animaux. L'interdiction d'infliger une souffrance non nécessaire se limite donc à interdire d'infliger plus de souffrance qu'il est nécessaire pour utiliser les animaux de manière économiquement avantageuse, à des fins qui pour la plupart ne peuvent être justifiées par autre chose que le plaisir, l'amusement ou la convenance. Voilà qui, en pratique, signifie généralement que nous ignorons les intérêts des animaux dès lors que nous en tirons un avantage économique.
En traitant les animaux comme des propriétés, nous nous trouvons nécessairement dans l'impossibilité d'accorder de l'importance morale à leurs intérêts. La morale requiert que nous appliquions aux animaux le principe d'égale considération – ou l'exigence selon laquelle les cas semblables doivent être traités de manière semblable [11]. Même s'il peut y avoir de considérables différences entre les humains et les nonhumains, nous reconnaissons l'importante similarité que constitue le fait qu'ils sont tous deux sensibles et qu'ils diffèrent en cela de tout le reste de l'univers. Peut-être ne savons-nous pas si les insectes sont sensibles, et peut-être ne comprenons-nous pas exactement comment fonctionne l'esprit nonhumain, mais nous n'avons aucun doute sérieux quant au fait que la plupart des nonhumains que nous exploitons de manière routinière – les vaches, cochons, poulets, rongeurs, poissons, etc. – sont capables de faire l'expérience de la douleur et de la souffrance. Tous les êtres sensibles sont, par définition, comparables en ce qu'ils ont tous intérêt à ne pas souffrir.
Nous ne protégeons pas les humains de toute souffrance, mais nous refusons fermement que certains humains soient traités exclusivement comme des moyens, pour d'autres, d'atteindre leurs propres fins, et nous accordons à chacun un droit de base, le droit pré-légal de ne pas être traité exclusivement comme une ressource [12]. C'est parce que nous reconnaissons ce droit fondamental que l'esclavage humain nous paraît inacceptable, même s'il est pratiqué « humainement ». La question est donc : pourquoi n'étendons-nous pas ce droit aux nonhumains ? Pourquoi refusons-nous de protéger par un droit l'intérêt des animaux à ne pas être utilisés comme de simples ressources, ce qui interdirait de négliger cet intérêt au nom de considérations conséquentialistes ? Je soutiens que nous ne devons pas fournir une réponse qui élude la question, une réponse qui relèverait du spécisme (exclure les nonhumains de la communauté morale sur la seule base de leur espèce [13]).
Reconnaître que nous ne pouvons légitimement justifier l'exploitation institutionnalisée des nonhumains, qui se fonde sur le statut de propriétés des animaux, exige que nous abolissions cette exploitation, plutôt que de simplement la réglementer. Nous devrions nous soucier de ces nonhumains que nous avons volontairement amenés à exister pour servir nos fins, mais nous devrions cesser de faire naître d'autres animaux domestiques parce que cette pratique est à l'origine de faux conflits entre les humains et les nonhumains et parce qu'elle ne peut être justifiée [14].
La théorie que je présente dans Introduction to Animal Rights exige seulement que les animaux soient sensibles pour être membres de la communauté morale. Aucune autre caractéristique cognitive n'est requise ; en fait, c'est précisément parce que nous avons associé à tort la valeur morale aux caractéristiques typiquement humaines, que nous traitons les animaux comme des ressources dont nous pouvons disposer à notre guise [15]. Finalement, je soutiens que l'abolition de l'exploitation institutionnalisée, plutôt qu'une meilleure réglementation, devrait être exigée par toute théorie – qu'elle soit déontologique ou conséquentialiste – qui accorde une valeur morale aux intérêts des animaux, puisque ces intérêts sont condamnés à être systématiquement dévalués ou ignorés, tant et aussi longtemps que les animaux seront nos propriétés [16].
Dans la critique qu'il fait de mon livre, Sunstein présente trois principaux arguments. Premièrement, il soutient que je n'ai pas démontré que l'utilisation de nonhumains – par opposition à leur mauvais traitement – est en soi moralement contestable, ou que le statut de propriété est incompatible avec une amélioration du traitement des animaux ou avec la reconnaissance de leur valeur morale [17]. En fait, il soutient au contraire que le statut de propriétés « procure aux animaux certaines formes importantes de protection [18] ».
Deuxièmement, Sunstein dit douter de la possibilité de fonder une théorie des droits des animaux exclusivement sur la sensibilité [19]. Il soutient que les théories qui se focalisent sur la sensibilité sont conséquentialistes et non déontologiques, et que les théories des droits exigent plutôt que les animaux soient de véritables agents moraux.
Troisièmement, il argumente que, même si les nonhumains avaient des droits, ces droits pourraient être mis de côté si cela permettait d'obtenir des bénéfices considérables, de la même manière que les droits humains peuvent être soumis à des limitations de type conséquentialiste [20].
Dans la section qui suit, j'analyse les arguments avancés par Sunstein et y réponds.
Sunstein ne croit pas que nous ayons l'obligation morale de cesser d'utiliser des animaux pour des fins humaines, même si cette utilisation n'est pas nécessaire [21]. Par exemple, il pose la question : « si des mesures pouvaient être prises pour nous assurer que la vie des animaux élevés pour l'alimentation est décente, […] pourrions-nous si clairement soutenir que la consommation de viande est indéfendable [22] ? » Il affirme qu'en ce qui concerne l'utilisation d'animaux, je n'ai pas « démontré que l'utilisation des animaux par des humains est moralement inacceptable si les animaux en question sont traités aussi bien que possible et peuvent, autant que possible, jouir d'une vie décente [23]. » Sunstein n'offre toutefois aucun détail quant à ce qu'il entend par « autant que possible » et ne dit mot du fait que la plupart des gens qui exploitent des animaux affirment déjà leur procurer des « vies décentes », compte tenu de leur statut de propriétés et des réalités économiques qui en découlent.
Sunstein remarque que Jeremy Bentham et Peter Singer, « ardents défenseurs des animaux et utilitaristes, ne s'opposent pas à la consommation de viande [24]. » Il rappelle que Bentham et Singer affirment que les nonhumains, contrairement aux humains, ne sont pas conscients d'eux-mêmes et, donc, que « ce sont les peines et plaisirs éprouvés de leur vivant qui importent – et non pas le fait qu'ils continuent à vivre [25]. » Sunstein approuve cette approche, puisqu'il déclare que « Bentham a absolument raison. Parce que les animaux souffrent, ils devraient être protégés, beaucoup plus qu'ils ne le sont maintenant, contre la douleur et la détresse [26]. »
Sunstein est d'accord pour dire que le statut de propriétés des animaux « va à l'encontre de la conception la plus raisonnable qu'ont les gens de leur relation avec d'autres créatures vivantes [27] », mais il affirme que le statut de propriété « ne signifie pas nécessairement que les animaux seront traités comme des moyens ou que leurs droits légaux seront, en pratique, réduits à néant [28]. » Il argumente que l'égale considération et la reconnaissance de la valeur intrinsèque des animaux possédés ou appropriés est possible, même s'il cela peut être difficile, et que tout problème créé par le statut de propriété est contingent et non nécessaire. À plusieurs reprises dans sa critique, Sunstein soutient que, bien que j'aie raison de dénoncer notre manière d'ignorer systématiquement les intérêts des animaux, je commets l'erreur de ne pas reconnaître que nous pourrions mieux traiter les animaux que nous le faisons maintenant même si ceux-ci demeuraient nos propriétés, et qu'une meilleure réglementation de l'exploitation institutionnalisée, plutôt que son abolition, doit être notre « priorité actuelle [29] ».
Sunstein a raison de souligner que Bentham et Singer distinguent entre l'utilisation des animaux et leur traitement, et jugent que l'utilisation, en soi, ne soulève aucun problème moral. La position utilitariste telle qu'elle est exprimée par Bentham et Singer veut que le principe d'égale considération soit appliqué aux animaux et que les intérêts similaires – et particulièrement l'intérêt des animaux à ne pas souffrir – soient traités de manière similaire [30]. Les utilitaristes disent rejeter l'idée selon laquelle la souffrance animale n'a pas de valeur morale significative parce que les animaux ne possèdent pas l'une ou l'autre des caractéristiques typiquement humaines, comme la conscience de soi, la rationalité ou la capacité à communiquer par un langage symbolique [31]. Par exemple, Bentham croit que les animaux ont été « réduits au niveau des choses [32] » parce qu'ils ne présentent pas certaines caractéristiques semblables à celles de l'être humain, comme la capacité à réfléchir de manière rationnelle ou l'utilisation du langage humain. Il note que :
un cheval ou un chien adultes sont incomparablement plus rationnels, et plus aptes à communiquer, qu'un enfant âgé d'un jour, d'une semaine, ou même d'un mois. Mais même s'il n'en était pas ainsi, qu'est-ce que cela changerait ? La question n'est pas « Peuvent-ils raisonner ? » ni « Peuvent-ils parler ? » mais, « Peuvent-ils souffrir [33] ? »
Il ne s'agit pas de dire que Bentham niait l'existence de différences empiriques entre les humains et les animaux, ou qu'il refusait d'admettre que ces différences puissent être pertinentes en ce qui a trait à nos obligations morales et légales à l'endroit des animaux. Il tenait ces propos dans le contexte d'une discussion sur la question de savoir s'il est moral ou non de manger des animaux. Bentham savait certainement qu'il n'est pas nécessaire pour les humains de manger des nonhumains, mais il ne croyait pas que manger de la viande pose en soi un problème moral, parce qu'il pensait que les animaux ne sont pas conscients d'eux-mêmes et n'ont pas de sens du futur. Or, concluait-il, cela signifie que les nonhumains n'ont pas intérêt à ne pas être utilisés comme nourriture. Selon Bentham,
Si le fait d'être mangé était le seul en cause, il y a une très bonne raison pour laquelle il devrait nous être permis de manger ceux des animaux dont nous apprécions la chair : nous nous en trouvons mieux et eux ne s'en trouvent jamais plus mal. Ils n'ont aucune de ces anticipations à très long terme des malheurs futurs que nous avons [34].
Bentham soutenait que les animaux « ne se trouvent jamais plus mal du fait d'être morts [35] » mais que nous avons une obligation morale de ne pas « les tourmenter [36] ». Conséquemment, et parce qu'il ne croyait pas que les animaux ont un intérêt à rester en vie, Bentham ne remettait pas en question notre utilisation des animaux en tant que telle, mais seulement notre manière de les traiter.
Singer, qui reprend la position de Bentham, soutient que nous devons traiter les intérêts similaires de manière similaire, mais il soutient que la plupart des animaux ne sont pas conscients d'eux-mêmes et n'ont ni « existence mentale continue », ni désirs à propos du futur [37]. Un animal peut avoir un intérêt à ne pas souffrir mais, parce qu' « il ne peut saisir qu'il a “une vie”, du moins pas de manière à comprendre ce en quoi consiste le fait d'exister pendant une certaine période de temps », l'animal n'a pas d'intérêt à continuer à vivre ou à ne pas être utilisé comme ressource ou comme propriété des humains [38]. Les animaux seraient indifférents au fait que nous les élevions et les mettions à mort pour l'alimentation, que nous les utilisions dans le cadre d'expérimentations, ou que nous les exploitions comme ressources de toute autre manière, du moment qu'ils peuvent jouir d'une vie raisonnablement plaisante. Selon Singer, parce que les animaux ne possèdent aucun intérêt à rester en vie en soi, « il n'est pas facile d'expliquer pourquoi la perte subie par un animal tué ne pourrait pas, d'un point de vue impartial, être compensée par la création d'un nouvel animal, appelé à vivre une vie également plaisante [39]. »
Singer condamne sévèrement les pratiques liées à l'élevage intensif parce qu'il croit que la somme de douleur et de souffrance que les animaux subissent dans ces conditions dépasse largement tous les bénéfices que peuvent en tirer les humains [40]. Il dit rejeter l'idée que les animaux n'ont de la valeur qu'à titre de commodités économiques, mais il n'en conclut pas que la consommation d'animaux pour l'alimentation est, en soi, moralement inacceptable ; au contraire, il soutient qu'il peut être moralement justifié de manger des animaux « qui ont une existence plaisante dans une groupe social adapté à leurs besoins comportementaux, et qui sont ensuite tués rapidement et sans douleur [41]. » Il affirme qu'il « peut respecter les personnes consciencieuses qui se soucient de ne manger que de la viande provenant de tels animaux [42]. »
Même si Sunstein prétend accepter que la sensibilité est la seule caractéristique requise pour qu'un animal ait une valeur morale, il juge, comme Bentham et Singer, que l'utilisation d'animaux n'est pas, en elle-même, moralement condamnable. Sunstein n'affirme pas expressément que les animaux n'ont pas intérêt à rester en vie. Par contre, il soutient que Bentham a « entièrement raison [43] » dans son analyse, et il reconnaît que la thèse selon laquelle les animaux n'ont pas intérêt à persévérer dans leur existence est au fondement de la position de Bentham selon laquelle l'utilisation des animaux n'est pas moralement condamnable en soi. De toute façon, il est impossible d'interpréter de manière sensée l'approche générale de Sunstein sans lui attribuer ces convictions benthamiennes.
La thèse selon laquelle l'utilisation des animaux n'est pas moralement condamnable en soi, parce que les animaux n'auraient pas intérêt à continuer à vivre, est problématique. En effet, comme je l'ai expliqué en détails dans Introduction to Animal Rights, il semble que le seul fait d'être sensible implique un intérêt à persévérer dans son existence [44]. Être un individu sensible signifie être en mesure de faire l'expérience de son propre bien-être. En ce sens, tous les êtres sensibles ont un intérêt qui touche non seulement la qualité de leur vie, mais aussi la quantité de leur vie. Les animaux sont peut-être incapables de penser au nombre d'années qui leur reste à vivre, mais parce qu'ils ont intérêt à ne pas souffrir et qu'ils peuvent faire l'expérience du plaisir, ils ont intérêt à rester en vie. Ils préfèrent ou désirent ou veulent rester en vie.
La sensibilité n'est pas une fin en soi ; elle est un moyen au service de la fin qu'est la survie. Les êtres sensibles utilisent les sensations de douleur et de souffrance pour échapper aux situations qui menacent leur vie, et les sensations de plaisir pour rechercher les situations qui rendent leur existence meilleure. Tout comme les humains qui peuvent tolérer une douleur extrême, si cela leur permet de rester en vie, les animaux non seulement endurent une telle douleur, mais se l'infligent souvent eux-mêmes, afin de sauver leur vie. Par exemple, il est bien connu que des animaux pris dans les pièges des trappeurs se rongent une patte avec les dents afin de se libérer. L'évolution a produit la sensibilité pour augmenter les chances de survie de certains organismes complexes. Nier qu'un être ayant évolué de manière à développer une conscience de la douleur et du plaisir a un intérêt à rester en vie revient à soutenir que les individus conscients n'ont pas intérêt à demeurer conscients.
Par ailleurs, et comme je l'ai aussi expliqué dans Introduction to Animal Rights, même si nous ne pouvons pas connaître la nature précise de la conscience de soi des animaux, il semble que tout être qui est conscient au niveau des perceptions doive être conscient de lui-même et doive avoir une existence mentale continue [45]. Donald Griffin note que, si les animaux possèdent une quelconque forme de conscience, alors « pour l'animal, son propre corps et ses propres actions doivent appartenir au champ de sa conscience perceptuelle [46]. » Mais nous nions que les animaux sont conscients d'eux-mêmes parce que nous croyons qu'ils ne peuvent pas « avoir des pensées du type “c'est moi qui suis en train de courir, ou de grimper à cet arbre, ou de chasser cet insecte [47].” » Griffin soutient que :
lorsqu'un animal perçoit consciemment la course, l'escalade ou la chasse aux insectes d'un autre animal, il doit aussi avoir conscience de qui fait cela. De même, si l'animal est conscient des perceptions de son propre corps, il est difficile d'exclure qu'il ait conscience que c'est lui qui est en train de courir, de grimper, ou de chasser [48].
Griffin conclut que « si les animaux sont capables de conscience perceptuelle, leur refuser un certain degré de conscience de soi semble une restriction arbitraire et injustifiée [49]. »
Même s'il est clair (parce qu'il s'agit là du résultat de l'évolution et parce que cette hypothèse est confirmée par l'éthologie cognitive) que des animaux autres que les humains possèdent certaines caractéristiques cognitives qui sont au moins équivalentes à celles que l'on croit généralement propres aux humains, je ne suis pas prêt à exiger que les animaux aient un esprit similaire à celui des humains – mis à part le fait d'être sensibles – pour appartenir pleinement à la communauté morale [50]. En pratique, il s'agit là d'un jeu dont les animaux ne peuvent jamais sortir gagnants. Si proche que soit leur esprit du nôtre, la similitude sera toujours insuffisante pour les rendre « comme nous ». Après tout, nous reconnaissons depuis déjà longtemps que les chimpanzés et les humains présentent de remarquables similarités et pourtant nous continuons à les utiliser dans le cadre d'expériences scientifiques et les exposons toujours dans les zoos.
D'un point de vue théorique, je m'oppose à ce que j'appelle la « théorie de la similitude mentale », c'est-à-dire la théorie selon laquelle le statut moral des nonhumains dépend du fait que ceux-ci présentent des caractéristiques cognitives semblables à celles des êtres humains [51]. J'admets volontiers que, même si l'esprit des nonhumains est similaire à celui des humains, il y aura toujours certaines différences entre eux, parce que la cognition chez les humains est fortement liée au langage et qu'il est possible que l'aspect prédicatif des états intentionnels des nonhumains soit différent du nôtre. Même si les nonhumains sont conscients d'eux-mêmes, cela ne signifie pas qu'ils soient en mesure de se reconnaître dans un miroir, qu'ils puissent tenir un journal intime ou qu'ils puissent anticiper le futur en scrutant l'horloge ou le calendrier. Même si les nonhumains sont capables de raisonner ou de penser de façon abstraite, cela n'implique pas qu'ils puissent maîtriser l'algèbre.
Il y a au moins deux raisons connexes pour lesquelles l'absence de caractéristiques cognitives de type humain ne peut fournir une base moralement valable et non arbitraire pour justifier que nous continuions à utiliser les animaux comme de simples ressources. Premièrement, toute tentative, qui serait fondée sur le fait que les animaux ne possèdent pas telle ou telle caractéristique cognitive humaine, nous obligerait à questionner la présomption selon laquelle ces caractéristiques sont spéciales et justifient une différence de traitement. Ma chienne est peut-être incapable de se reconnaître dans un miroir, mais elle est capable de reconnaître sa propre odeur en reniflant le gazon sur lequel elle est déjà passée, et elle peut distinguer son propre passage de celui de mes autres compagnons canins. Qu'est-ce qui fait de la reconnaissance de soi dans un miroir une capacité moralement plus significative que la reconnaissance de soi à l'odeur ? La réponse, bien sûr, est que nous disons qu'il en est ainsi. Mais il ne peut s'agir là d'une bonne raison de traiter les animaux comme des ressources.
Deuxièmement, même si aucun nonhumain ne présentait une certaine caractéristique cognitive (outre la sensibilité), ou si les nonhumains ne la possédaient qu'à des degrés différents ou de manière différente des humains, il n'y aurait aucun lien logique entre cette absence ou cette différence et le traitement des animaux comme des ressources. Les différences entre les humains et les nonhumains sont certainement pertinentes à plusieurs égards, comme le sont les différences entre humains. Par exemple, un être humain qui souffre d'amnésie globale temporaire, même s'il n'a pas le sens du passé ou du futur, a un sens de soi au présent. Une telle personne a un intérêt à vivre et à ne pas être traitées exclusivement comme un moyen pour d'autres d'atteindre leurs propres fins, même si elle n'a pas le même degré de conscience de soi que les adultes normaux. En ce sens, une personne atteinte de ce type d'amnésie se trouve dans une situation similaire à celle des autres êtres humains sensibles, qui ont intérêt à être traités comme des fins en soi, quelles que soient leurs caractéristiques particulières. À certains égards ce handicap constitue peut être une caractéristique pertinente, mais certainement pas lorsqu'il s'agit de déterminer si l'on peut traiter un individu comme une simple ressource, du moment que cela nous est profitable, au mépris de ses intérêts fondamentaux, dont celui à ne pas souffrir et à rester en vie.
Il y a peut-être des gens qui déclarent sans problème que les amnésiques ont moins de valeur que les humains normaux. Mais peu d'entre eux se sentiraient à l'aise s'ils devaient prendre la décision de prélever le foie d'un amnésique pour le transplanter sur un humain qui n'a pas perdu la mémoire. Nous reconnaissons que, toute autre considération morale mise à part, de tels raisonnements mèneraient à une forme d'élitisme qui pourrait justifier que l'on accorde plus de valeur morale aux intérêts fondamentaux des personnes les plus intelligentes, ou à celles qui présentent quelque caractéristique que nous aurions déclarée spéciale. Si nous pouvons forcer un amnésique à donner un organe afin d'améliorer la santé de quelqu'un qui ne souffre pas d'amnésie, pourquoi ne pourrions-nous pas tuer et utiliser les organes des personnes les moins intelligentes pour sauver la vie des personnes les plus intelligentes ?
Si les nonhumains ont intérêt à vivre, nous ne pouvons pas appliquer le principe d'égale considération aux animaux qui ont le statut de propriétés parce qu'ils ont intérêt à ne pas être traités comme des ressources, de la même manière que les humains ont intérêt à ne pas être traités comme des esclaves. Les formes d'esclavage les plus brutales sont pires que les formes moins brutales, mais nous interdisons l'esclavage en général parce que toutes les formes d'esclavage permettent, à des degrés divers, que les intérêts des esclaves soient ignorés lorsque cela permet à leurs maîtres d'en tirer profit. Les humains ont intérêt à ne pas souffrir de la violation de leurs intérêts fondamentaux (y compris celui de rester en vie), simplement parce que cela profite à quelqu'un d'autre et ce, même s'ils sont traités « humainement [52] ». Nous protégeons les humains de la possibilité d'être utilisés exclusivement comme des moyens au service des fins d'autrui ; nous accordons à tous les humains le droit de ne pas être appropriés par d'autres ; mais nous n'accordons pas le même type de protection aux intérêts similaires des nonhumains ; c'est pourquoi nous négligeons nécessairement d'appliquer le principe d'égale considération aux animaux [53].
Concernant le traitement – par opposition à l'utilisation en tant que telle – Sunstein soutient que le statut de propriétés des animaux ne nous empêche pas forcément de mieux les traiter, ni de reconnaître qu'ils ont « une valeur intrinsèque et que leur bien-être est un bien en soi [54]. » Je suis certainement d'accord avec Sunstein sur la possibilité d'accorder plus de considération aux animaux que nous le faisons aujourd'hui même s'ils demeurent nos propriétés ; je n'ai jamais suggéré l'inverse. Je pense, toutefois, qu'il sous-estime gravement la difficulté pratique d'y arriver. Dans Animals, Property, and the Law j'ai formulé pour la première fois l'idée que le statut de propriétés des animaux fait que la protection que leur assurent les lois concernant leur bien-être est faible ou nulle [55]. Depuis la parution de ce livre – il y a plus de dix ans – les lois sur le bien-être animal n'ont connu aucun progrès significatif, du moins aux États-Unis [56]. De plus, comme je l'ai expliqué dans Rain Without Thunder : The Ideology of the Animals Rights Movement, aucune preuve empirique ne vient étayer la croyance qu'une meilleure réglementation de l'exploitation animale peut mener à son abolition [57].
Même si nous accordions aux animaux un meilleur traitement, il est difficile de comprendre comment nous pourrions donner suite aux exigences de la théorie utilitariste et assurer une égale considération aux nonhumains qui sont des propriétés. Par exemple, les problèmes impliqués dans les comparaisons interspécifiques visant à évaluer le degré de similarité des intérêts seraient, en pratique, et pour de nombreuses raisons, insurmontables et ne pourraient être évités même si nous ne nous focalisions que sur l'intérêt des animaux à ne pas souffrir, sans considérer leur intérêt à persévérer dans leur existence [58]. Ces problèmes sont largement exacerbés par le statut de propriétés des animaux, qui agit comme des œillères nous empêchant même de percevoir que leurs intérêts sont comparables aux nôtres, parce que toute limitation des droits des propriétaires est vue comme la cause d'une « souffrance » humaine significative. Même dans les cas où la similarité des intérêts humains et animaux est reconnue, les animaux perdront toujours lorsque leurs intérêts seront mis en balance avec ceux des humains, parce que leur statut de propriétés est toujours une bonne raison pour refuser de leur accorder un traitement similaire, à moins que cela ne bénéficie à leur propriétaire. Les intérêts des esclaves ne seront jamais perçus comme similaires à ceux de leurs propriétaires [59]. Les intérêts des animaux qui sont des propriétés ne seront jamais perçus comme similaires à ceux des humains qui en sont propriétaires.
Bien que Sunstein affirme que nous pouvons accorder aux intérêts des animaux une valeur morale significative même si les animaux restent la propriété des humains, il semble pourtant que, pour reconnaître que les animaux ont une « valeur intrinsèque » et que le respect de leurs intérêts est une « bonne chose en soi », il soit nécessaire de renoncer au statut de propriété, parce que nous n'accordons aux propriétés qu'une valeur extrinsèque. Reconnaître la valeur intrinsèque des animaux exigerait d'imposer des limites sur la façon de les traiter. Et ces limites ne doivent pas être liées à la valeur instrumentale qu'elles peuvent présenter pour nous, en tant que propriétaires.
Sunstein affirme non seulement que le statut de propriétés des animaux ne nous empêche pas de reconnaître leur valeur intrinsèque, mais qu'en fait ce statut est avantageux pour les nonhumains eux-mêmes. Sunstein soutient que les propriétaires d' « animaux de compagnie n'ont pas tendance à se représenter leurs animaux comme de simples marchandises [60] » et que ces propriétaires ont toutes les chances de se percevoir eux-mêmes comme ayant « le type de droits et devoirs qu'il est raisonnables d'attribuer à des êtres humains à qui est confié le soin de créatures vivantes [61]. » Sunstein va plus loin et soutient que « le statut de propriétés procure même une protection significative aux animaux » parce que les propriétaires sont moralement et légalement obligés de protéger leurs animaux. De plus, les personnes qui ne sont pas propriétaires ont l'obligation de ne pas endommager la propriété animale d'autrui, et « cela diminue le risque que de tels dommages soient causés [62]. » Il soutient que le bien-être des animaux domestiques (et non pas l'intérêt des humains) exige que nous ayons le droit et le devoir légal de contrôler la vie de ces animaux.
Voici trois réponses à la thèse de Sunstein sur les avantages supposés d'être approprié. Premièrement, Sunstein fait ces observations à l'égard d'un seul type de relation humain-nonhumain : la garde par des humains d'animaux de compagnie. Notre relation avec nos animaux de compagnie est le seul domaine dans lequel au moins certains d'entre nous ne conçoivent pas les nonhumains comme de « simples marchandises ». En effet, c'est précisément parce que plusieurs d'entre nous considèrent leurs animaux de compagnie comme des membres de la famille alors même qu'ils plantent leur fourchette dans d'autres nonhumains, comme les porcs, vaches, poulets, etc., qui ne sont pas différents de nos compagnons, que je diagnostique, dans notre attitude à l'égard des animaux, une schizophrénie morale.
Deuxièmement, même dans ce contexte limité, qui ne concerne qu'une faible part des nonhumains que nous exploitons, nous ne pouvons soutenir que le statut de propriétés est avantageux pour les animaux. Nous pouvons certainement choisir de bien traiter nos animaux de compagnie, mais si nous ne le faisons pas, leur statut de propriétés protège notre décision. Si nous choisissons de garder notre chien enchaîné au fond de la cour et l'ignorons sauf lorsqu'il s'agit de lui fournir de la nourriture et de l'eau, cela est permis. Si nous faisons souffrir notre chien en le disciplinant de manière à ce qu'il garde plus efficacement la maison, cela est aussi permis. Nous pouvons finalement choisir d'apporter notre animal en pleine santé chez le vétérinaire pour le faire tuer, parce qu'il ne convient plus à notre style de vie.
Même si certains traitent correctement leurs animaux de compagnie, nombreux sont ceux qui les négligent. Aux États-Unis, par exemple, de nombreux chiens sont conduits à la fourrière, transférés à un nouveau propriétaire, ou abandonnés. Certains de ceux qui disent aimer leurs animaux de compagnie les mutilent sans raison en faisant couper leurs oreilles, raccourcir leur queue, ou enlever leurs griffes, pratique impliquant l'amputation douloureuse du dernier segment de leurs doigts, afin de protéger les meubles de la maison. En fin de compte, parce que les animaux sont nos propriétés, nous jouissons d'une grande latitude lorsqu'il s'agit d'évaluer leurs intérêts.
Troisièmement, en soutenant que le statut de propriétés est avantageux pour les nonhumains, Sunstein omet de répondre à un des arguments principaux de Introduction to Animal Rights. Si nous voulons prendre les intérêts des animaux au sérieux, nous devons tout simplement cesser de faire naître des animaux domestiques [63]. Car dans l'état actuel des choses, nous interprétons toutes les occasions d'utiliser des nonhumains comme des situations où nous faisons face à un choix comparable à celui auquel nous serions confrontés s'il nous fallait choisir qui sauver d'une maison en flamme – l'enfant ou le chien [64] ? Notre discours moral à propos de la relation humain-nonhumain cherche à résoudre des conflits entre humains et animaux. Mais c'est nous-mêmes qui créons ces conflits en faisant naître des animaux dans le seul but de les tuer ensuite, ou de les utiliser exclusivement comme les moyens de servir nos propres fins. Par ailleurs, dans leur immense majorité, les animaux sont utilisés pour servir des intérêts humains futiles comparés à ceux des animaux concernés. Lorsque nous reconnaîtrons que les animaux ont intérêt à persévérer dans leur être, que cet intérêt est nécessairement ignoré parce qu'ils sont nos propriétés, et qu'il est impossible de justifier moralement le traitement des nonhumains comme des propriétés, nous abolirons l'exploitation animale institutionnalisée et arrêterons de produire des nonhumains pour des fins humaines. Ainsi, nous éliminerons la plupart de ces faux conflits où nous sommes supposés « peser équitablement » les intérêts humains et nonhumains – exercice rendu, à l'avance, impossible par le statut de propriétés des nonhumains.
Bien sûr, nous devons prendre soin des nonhumains domestiques déjà nés, ceux qui existent à cause de ce système qui en fait des marchandises, mais nous devons cesser d'en faire naître de nouveaux, y compris les chiens, chats et autres animaux utilisés comme animaux de compagnie.
Les seuls conflits restants entre humains et nonhumains concerneraient des animaux sauvages et notre devoir moral serait alors, pour les résoudre, d'appliquer le principe d'égale considération. De difficiles questions pratiques continueraient sans doute à se poser, mais le nombre de ces questions serait substantiellement diminué.
Sunstein soutient aussi que je franchis « l'étape compliquée et inhabituelle » consistant à « mélanger l'idée du bien-être animal avec celle des droits des animaux, en affirmant que c'est parce qu'ils souffrent que les animaux ont des droits [65]. » Il doute que cette tentative puisse aboutir parce que « l'importance de la souffrance, dans un cadre utilitariste, est inextricablement liée à l'importance prépondérante des conséquences » et il n'est « pas sûr que [je] puisse insister sur le caractère central de la souffrance et sur le droit de ne pas souffrir, tout en argumentant que les conséquences générales ne comptent pas [66]. » Sunstein soutient que, dans un cadre déontologique, « l'idée que les conséquences ne comptent pas est inextricablement liée à l'affirmation que les êtres humains sont des agents moraux [67]. » Il conclut qu'il ne voit pas comment je « pourrais insister pour ne pas considérer les conséquences tout en refusant de me prononcer sur la question de savoir si les animaux sont des agents moraux et en quel sens ils le sont [68]. »
Je suis certainement d'accord avec Sunstein sur le fait que les théories des droits sont généralement basées sur l'agence morale [**]. Emmanuel Kant et John Rawls en sont les exemples les plus frappants, et je discute les vues de ces auteurs et celles d'autres théoriciens des droits dans Introduction to Animal Rights, où je rejette l'idée selon laquelle la protection par les droits doit être liée aux capacités morales [69]. L'agence morale, tout comme certains types particuliers de conscience de soi, est peut-être pertinente à certains égards, mais elle ne l'est pas lorsqu'il s'agit de déterminer si l'intérêt d'un humain ou d'un nonhumain à ne pas être traité comme une ressource devrait être protégé par un droit. Nous l'admettons déjà s'agissant d'humains. Si un être humain ne peut être considéré comme un agent moral, cette caractéristique est sans doute pertinente pour évaluer si nous devons permettre à cette personne de prendre des engagements contractuels, mais elle ne l'est absolument pas lorsqu'il s'agit de décider si nous pouvons la forcer à exécuter des numéros de cirque ou s'il est acceptable d'en faire l'esclave d'agents moraux.
Je reconnais également que Singer et les autres utilitaristes, qui associent la valeur morale à la sensibilité exclusivement, rejettent la notion de droits. Il n'y a, pourtant, aucun lien conceptuel ou logique entre la sensibilité et les théories conséquentialistes. En fait, et comme je l'ai expliqué précédemment, l'égale considération des intérêts des animaux, qui est considérée par les utilitaristes comme l'objectif du mouvement de défense du bien-être animal, sera impossible à respecter tant que les animaux seront la propriété des humains. Il en est ainsi, d'une part, parce que l'intérêt des animaux à continuer à vivre est nécessairement ignoré à cause de leur statut de propriétés et, d'autre part, parce qu'il est à peu près certain que l'intérêt des animaux à éviter la souffrance ne peut recevoir une égale considération lorsqu'ils sont des propriétés. Par conséquent, pour que les intérêts des animaux aient une valeur morale – pour que le principe d'égale considération s'applique à eux – nous devons impérativement arrêter de les considérer comme nos propriétés et ce, même dans un cadre utilitariste. Voilà qui oblige les utilitaristes à accepter la nécessité de l'abolition du statut de propriétés des nonhumains, plutôt que de se contenter d'exiger l'amélioration du traitement de nos propriétés animales et signifie que les utilitaristes, autant que les déontologistes, devraient être en faveur de l'abolition de toute exploitation institutionnalisée [70]. Il ne s'agit pas de confondre les mouvements pour les droits et pour le bien-être des animaux, mais plutôt de reconnaître que toute théorie admettant la valeur morale des intérêts des animaux devrait logiquement exiger l'abolition de toutes les formes d'exploitation animale institutionnalisée, exploitation qui s'oppose toujours et nécessairement à l'application du principe d'égale considération des intérêts [71].
Finalement, Sunstein soutient que, même si les animaux ont une valeur inhérente et méritent la considération morale, il ne s'ensuit pas que nous ne devions pas les exploiter. Par exemple, Sunstein pense que j'ignore le fait que, dans plusieurs situations, nous jugeons acceptable de traiter des humains comme de simples moyens d'atteindre certaines fins. L'auteur remarque que « lorsque vous engagez un plombier, un avocat, un architecte, ou quelqu'un pour nettoyer la maison, vous les traitez comme des moyens, et non comme des fins [72]. » Sunstein omet de reconnaître une distinction que je souligne explicitement dans Introduction to Animal Rights – la distinction entre traiter autrui comme le moyen d'atteindre une fin et traiter autrui exclusivement comme le moyen d'atteindre une fin :
Il y a un « feu rouge » qui […] limite notre façon d'utiliser et de traiter les humains. Nous pouvons considérer un plombier comme un moyen d'atteindre la fin qu'est la réparation de notre robinet, et il est correct de payer plus cher un bon plombier qu'un moins bon plombier. Mais si, un jour, nous jugeons que cet individu ne peut plus nous être utile, ni à titre de plombier, ni d'aucune autre manière, nous ne pouvons tout de même pas le traiter comme une simple denrée économique ; nous ne pouvons l'asservir et le forcer à travailler dans un camp ; nous ne pouvons le manger, l'utiliser pour des expériences, ou le transformer en une paire de chaussures [73].
Notre exploitation des animaux pour l'alimentation, l'habillement, le divertissement, l'expérimentation et autres, est qualitativement différente du type d'utilisation que nous jugeons acceptable lorsqu'il s'agit d'humains.
De même, Sunstein soutient que, même si les nonhumains ont des droits, il ne s'ensuit pas que leurs droits ne peuvent être enfreints, puisqu'il peut être de leur intérêt qu'il en soit ainsi, comme c'est quelquefois le cas pour les enfants :
lorsque l'enjeu est suffisamment important, le gouvernement peut omettre de respecter certains droits, même des droits constitutionnels. La liberté d'expression et la liberté de mouvement peuvent être restreintes en temps de guerre. En fait, il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'une situation d'urgence ; on peut vous interdire d'écrire des graffitis sur des monuments nationaux et de vous regrouper dans certains secteurs pour exprimer vos doléances à l'égard des autorités gouvernementales. Si les conséquences peuvent ainsi être pertinentes lorsqu'il s'agit des droits des humains, alors elles peuvent aussi l'être lorsqu'il s'agit d'animaux [74].
Sunstein soutient que j'accorde trop d'importance à l'intuition morale selon laquelle nous ne devrions pas soumettre des humains non consentants à des expériences biomédicales, même si cela permettait d'obtenir des bénéfices collectifs considérables.
Comme en rend compte l'analogie de Sunstein concernant notre contrôle des enfants, il paraît évident que les enfants et les compagnons nonhumains ne devraient pas avoir le droit de prendre des décisions qui les mettraient en danger. Et comme Sunstein, selon qui les droits peuvent être soumis à l'évaluation des conséquences, je reconnais que les droits humains ne sont pas absolus, et qu'il est quelquefois difficile de déterminer l'étendue des intérêts protégés par un droit. De manière générale toutefois, il entre dans la définition même d'un droit fondé sur le respect que l'intérêt qu'il protège ne peut être négligé sur la base de considérations exclusivement conséquentialistes [75].
Dans Introduction to Animal Rights, j'explique que, même s'il y a d'importantes controverses entourant l'identification des intérêts qui devraient être protégés par des droits, nous admettons que l'intérêt fondamental d'un être à ne pas être traité comme une ressource doit être protégé par un droit pour que cet être soit considéré comme un membre de la communauté morale [76]. En fait, même si les utilitaristes rejettent généralement les droits moraux, certains ont reconnu le droit à l'égale considération, ce qui peut expliquer pourquoi Bentham rejetait l'esclavage et pourquoi Singer estime que les humains normaux ne devraient pas être considérés comme des ressources remplaçables [77]. Je soutiens que le statut de ressource est incompatible avec l'égale considération. Un droit à l'égale considération devrait écarter la possibilité d'être traité exclusivement comme un moyen, pour d'autres, d'atteindre leurs propres fins. Il devrait notamment interdire de transiger, pour des raisons conséquentialistes, sur la protection de l'intérêt fondamental à la sécurité physique (dont l'intérêt à rester en vie est une composante primordiale).
Sunstein omet de faire la distinction entre le droit moral (pré-légal) de base de ne pas être traité comme une ressource et les droits légaux, qui peuvent être fondés soit sur la politique (et être soumis à des restrictions conséquentialistes) soit sur un principe de respect (et être moins vulnérables à de telles restrictions). Par exemple, même si l'interdiction d'apposer des graffitis sur les monuments nationaux est une restriction du droit à la liberté d'expression issue de considérations conséquentialistes (et non pas d'une réflexion concernant l'étendue de ce droit fondée sur la distinction entre discours et conduite), il ne s'agit pas d'une situation où l'on estime que les conséquences justifient de traiter les individus comme de simples ressources. Le fait que Sunstein juge qu'un tel exemple est pertinent dans le présent contexte indique combien il est éloigné des réalités de l'exploitation animale.
La conscription est le seul cas où l'on invoque les conséquences pour justifier que des humains soient traités comme de simples moyens au service des fins d'autrui ; elle est à cet égard analogue à l'utilisation d'humains non consentants dans des expériences biomédicales. Mais nombreux sont ceux qui contestent la conscription, précisément parce qu'elle implique de traiter les individus comme de simples ressources. Notre intuition morale déontologique est similaire dans les deux cas, exactement pour les mêmes raisons.
En fin de compte, Sunstein soutient que nos obligations morales se réduisent à traiter les animaux « le mieux possible » et à leur permettre « dans la mesure du possible de vivre des vies décentes [78] ». Il n'explique pas cependant ce qu'il faut entendre par traiter sa propriété animale « aussi bien que possible », ni en quoi consiste une vie « décente ». Son approche ne nous incite pas tellement à limiter notre utilisation des animaux et ne pave la route d'aucune réforme future. En effet, Sunstein ne pourrait trouver un seul vivisecteur, exploitant d'élevage industriel, ou organisateur de rodéos qui soit en désaccord avec lui. Ils affirmeraient – et c'est ce qu'ils font déjà – traiter leurs animaux « aussi bien que possible » et assureraient que leurs animaux mènent des « vies décentes ».
Voilà près de 200 ans que nous admettons qu'il faut traiter nos animaux « aussi bien que possible », mais, comme la réalité de l'exploitation animale en témoigne clairement, il s'agit là d'un principe moral creux. Tant que les animaux seront nos propriétés, nous serons incapables de reconnaître leur valeur intrinsèque. Aussi longtemps que nous nierons le fait que les nonhumains, comme les humains, ont intérêt à vivre, nous continuerons à discuter de nos obligations morales à l'égard des animaux d'une manière qui passe complètement à côté des principaux enjeux et qui ne provoque aucun changement significatif du paradigme actuel.
[*] ©2006 Gary L. Francione. Tous droits réservés.
« Nonhumain » et « animal » sont utilisés de manière interchangeable tout au long de cet article, bien qu'il faille se rappeler que les êtres humains sont aussi des animaux.
Gary Francione : Distingué professeur de droit, Rutgers University School of Law de Newark, au New Jersey. J'aimerais remercier Anna E. Charlton pour ses commentaires sur une version précédente de cet article. De plus, je remercie, pour leurs commentaires, Taimie Bryant, Darian Ibrahim, Jeff Leslie, Bonnie Steinbock, ainsi que d'autres participants au Legal Forum Symposium de l'Université de Chicago, tenu les 28 et 29 octobre 2005. Je souligne finalement le support du fond de recherche du Doyen de la Rutgers University School of Law de Newark.
[1] Cass R. Sunstein, « Slaughterhouse Jive », New Republic 40, 29 janvier 2001 ; Sunstein commente Gary L. Francione, Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ?, Temple, 2000 (ci-après Introduction to Animal Rights).
[2] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 43.
[3] Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. xxii-xxiii.
[4] Id., pp. 7-9.
[5] Pour une discussion de la nécessité d'utiliser des animaux, voir id., pp. 9-49.
[6] Les tribunaux ont explicitement reconnu que l'interdiction d'infliger des souffrances « non nécessaires » et de tuer « inutilement » devait être interprétée en fonction des formes institutionnalisées d'exploitation qui, elles, ne sont pas nécessaires, comme l'utilisation des animaux pour l'alimentation :
La viande des animaux n'est pas nécessaire pour la subsistance des êtres humains, du moins dans notre pays, et certaines personnes n'en consomment plus. Jusqu'à présent toutefois, nous ne pouvons nier que la mise à mort du bétail pour l'alimentation est légale. Les poissons ne sont nécessaires pour personne, pas plus que ne l'est la variété d'animaux sauvages qui sont tués et vendus sur le marché ; cependant, leur capture et leur mise à mort sont réglementées par la loi. L'expression « sans nécessité » et « inutilement » doivent recevoir une interprétation raisonnable, et non absolue ou littérale. State –vs- Bogardus, 4 Mo App 215, 216-17 (1877).
[7] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., p. 14.
[8] Voir id., pp. 14-17.
[9] Voir id., pp. 31-49 (sur la supposée nécessité de l'expérimentation animale). Voir aussi, sur ce sujet, Gary L. Francione, « The Use of Nonhuman Animals in Biomedical Research : Necessity and Justification », 35 J L Med & Ethics (à paraître en 2007). Je soutiens que, même si certaines formes d'utilisation des animaux dans ce contexte peuvent être considérées comme « nécessaires », celles-ci ne peuvent être moralement justifiées.
[10] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 50-80 (sur le statut de propriétés des animaux). Pour une discussion générale des problèmes posés par le statut de propriétés des nonhumains, voir Gary L. Francione, Animals, Property, and the Law, Temple, 1995.
[11] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 81-86, 98-100 (sur l'application du principe d'égale considération aux animaux).
[12] Voir id., pp. 90-96. « Une autre manière d'exprimer la même idée est de dire que nous reconnaissons que tous les êtres humains ont une valeur inhérente égale ». Voir id, pp. 96-98. Par là, je veux simplement dire que, pour que les intérêts d'un être soient sérieusement considérés, cet être doit avoir plus qu'une valeur extrinsèque. N'avoir qu'une valeur extrinsèque, c'est être une chose ou une marchandise. Voir également note 61 (sur la valeur intrinsèque).
[13] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 103-29 (à propos des différentes raisons avancées pour dénier aux animaux le droit fondamental de ne pas être traités comme des choses).
[14] Voir ‘id., pp. 151-66 (sur les implications de l'extension aux nonhumains du droit de ne pas être une ressource).
[15] Voir id., pp. 116-29, 133-42 (discussion sur la pertinence des facultés cognitives dépassant la sensibilité sur le statut moral des nonhumains). Voir également notes 50-51 et le texte qu'elles accompagnent (sur l'approche selon laquelle les nonhumains doivent avoir une structure mentale similaire à celle des humains pour compter au plan moral).
[16] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. xxxiv, 146-48 (sur le fait que la théorie utilitariste, comme la théorie des droits, exige que les animaux ne soient pas traités comme des propriétés).
[17] Voir Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., pp. 44-45.
[18] Id., p. 44.
[19] Voir id., pp. 44-45.
[20] Voir id., p. 45.
[21] Sunstein soutient que j'analyse « insuffisamment » le concept de nécessité lorsque j'aborde la souffrance nécessaire parce que « peu de choses sont “nécessaires” au sens littéral. Lorsque nous disons d'un acte qu'il est nécessaire, nous voulons habituellement dire qu'il est clair qu'il devrait être accompli. » (Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 43.) Sunstein ignore l'argument selon lequel l'interdiction d'imposer de la souffrance non nécessaire ne peut avoir quelque sens que ce soit (peu importe notre interprétation du concept de nécessité) si la souffrance d'un animal ou sa mort ne peut être justifiée que par le plaisir de l'être humain, son amusement, ou sa convenance.
[22] Id., p. 44.
[23] Id., p. 45.
[24] Id., p. 44.
[25] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 42
[26] Id., p. 45.
[27] Id., p. 44.
[28] Id.
[29] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 43
[30] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 130-50 (sur les arguments de Bentham).
[31] Voir id., pp. 5-6, 133-34. Pour une discussion plus approfondie des positions de Bentham et Singer sur le lien entre la valeur morale et les caractéristiques cognitives humaine, voir Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal of Animal Law and Ethics, vol. 1, 2006.
[32] Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Hafner, 1948, p. 310.
[33] Id., p. 311.
[34] Id.
[35] Id.
[36] Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, op. cit., p. 311, note 1.
[37] Peter Singer, Animal Liberation, 228, Random House, 2e edition, 1990, p. 228.
[38] Id., pp. 228-29.
[39] Id., p. 229.
[40] L'argument de Singer à l'encontre de l'élevage intensif fonctionne seulement si l'on accepte son évaluation nécessairement imprécise et subjective des utilités relatives. Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 144-45.
[41] Singer, Animal Liberation, op. cit., pp. 229-30.
[42] Id., p.230. Pour une discussion plus approfondie de la position de Bentham et de Singer selon laquelle les animaux n'ont pas intérêt à vivre, voir Francione, Journal of Animal Law and Ethics, vol. 1, op. cit. D'autres théoriciens, s'intéressant particulièrement à l'utilisation de nonhumains pour l'alimentation, endossent l'approche utilitariste selon laquelle c'est le traitement, et non l'utilisation en soi, des nonhumains qui soulève les questions éthiques les plus importantes. Voir Martha C. Nussbaum, « Beyond “Compassion and Humanity” : Justice for Nonhuman Animals » , in Cass. R. Sunstein et Martha C. Nussbaum, (dir.), Animal Rights : Current Debates and New Directions, Oxford, 2004, p. 299, pp. 314-15.
[43] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 45. Sunstein reconnaît que je « désapprouve fortement » l'approche de Bentham et de Singer à propos de la sensibilité et de l'intérêt à persévérer dans son existence, ou de la conscience de soi des animaux. Voir id., p. 42. Mais il ne dit mot des arguments en faveur de la survie que je propose dans Introduction to Animal Rights. Par conséquent, on ne peut savoir à propos de quoi précisément il croit que je n'ai pas su répondre adéquatement à la position utilitariste.
[44] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 137-42.
[45] Voir id., pp. 114-15.
[46] Donald R. Griffin, Animal Minds : Beyond Cognition to Consciousness, Chicago, 2001, p. 274.
[47] Id.
[48] Id.
[49] Id.
[50] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 116-19.
[51] Voir Gary L. Francione, « Our Hypocrisy », New Scientist, 4-10 juin 2005, p. 51. Voir aussi Francione, Introduction to Animal Rights, pp. 118-27 (sur les caractéristiques cognitives des nonhumains et des humains) ; Gary L. Francione, « Animals – Property or Persons ? », in Sunstein et Nussbaum (dir.), Animal Rights, op. cit., p. 108, pp. 127-31, sur le même sujet ; Francione, Journal of Animal Law and Ethics, vol. 1, op. cit., également sur le même sujet.
[52] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 89-90.
[53] Voir id., p. 146. D'autres ont reconnu que l'utilisation d'animaux comme ressources était incompatible avec le principe d'égale considération. Voir, par exemple, David DeGrazia, Taking Animals Seriously : Mental Life and Moral Status, Cambridge, 1996, p. 47 : « Alors que l'égale considération est compatible avec différentes théories éthiques, elle est incompatible – si étendue aux animaux – avec toute les approches selon lesquelles les animaux sont essentiellement perçus comme des ressources à notre disposition. » Pourtant, il n'est pas évident que DeGrazia ait saisi toutes les implications de son propos puisqu'il ne va pas jusqu'à soutenir que nous devons abolir l'exploitation de tous les animaux plutôt que mieux la réglementer.
[54] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 45.
[55] Voir Francione, Animals, Property, and the Law, op. cit.
[56] Voir Gary L. Francione, « Animals, Property, and the Law and Rain Without Thunder : Ten Years Later », L & Contemp Probs, vol. 70 (à paraître en 2007).
[57] Voir, en général, Gary L. Francione, Rain Without Thunder : The Ideology of the Animal Rights Movement, Temple, 1996 (sur l'idée selon laquelle les droits des animaux et le bien-être animal sont des approches très différentes de la relation humains-nonhumains et que le bien-être animal, compris comme la réglementation de l'utilisation des animaux, ne saura mener à la reconnaissance de droits aux animaux, compris comme l'abolition de toutes les formes institutionnalisées d'exploitation animale).
[58] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 143-44. En fait, on peut noter une tendance, à l'intérieur de l'école utilitariste, à accorder une valeur plus grande au plaisir intellectuel des êtres humains qu'aux cognitions des nonhumains. Par exemple, selon John Stuart Mill, « mieux vaut être un humain insatisfait qu'un cochon satisfait. » (John Stuart Mill, Utilitarianism, in The Basic Writings of John Stuart Mill, Modern Library, 2002, p. 233, 242.)
[59] Voir Francione, « Animals – Property or Persons ? », op. cit., p. 122. Voir, de manière générale, Francione, « Animals, Property, and the Law », op. cit. (pour plus de détails sur les difficultés à comparer les intérêts humains et animaux).
[60] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 44.
[61] Id. Lorsque des propriétaires estiment que leur animal a une valeur plus-grande-que-celle-du-marché, on peut sans doute dire qu'ils lui accordent une valeur « intrinsèque ». Cette valeur intrinsèque, qui concerne la valeur sentimentale ou idiosyncratique d'un animal pour un propriétaire particulier, est fort différente de la valeur morale à laquelle Sunstein fait référence, lorsqu'il renvoie à notre reconnaissance générale du fait que les animaux ont « une valeur intrinsèque, et que le bien-être animal est un bien en soi. » Id., p. 45.
[62] Id., p. 44.
[63] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 153-54.
[64] Sunstein soutient que le sous-titre de mon livre, Your Child or the Dog ? , « induit en erreur et n'est pas que ridicule, il ne représente pas le genre de conflits auxquels s'intéresse Francione ; Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op. cit., p. 42. Je ne suis pas d'accord avec Sunstein à deux égards. Premièrement, ce cas hypothétique, qui nous invite évidemment à répondre que nous sauverions l'enfant plutôt que le chien, est souvent invoqué en faveur de la position selon laquelle il est moralement acceptable d'utiliser des nonhumains pour des fins humaines parce que cette réponse montre que nous croyons que les humains ont une plus grande valeur morale que les nonhumains. Un des arguments centraux de mon livre vise à démontrer que choisir l'enfant plutôt que le chien n'implique aucune conclusion quant à la valeur morale ou à la légitimité de notre utilisation des nonhumains comme ressources. Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op. cit, pp. 157-60. Deuxièmement, je soutiens que, parce que les animaux sont des propriétés, nous traitons toutes les questions impliquant l'utilisation d'animaux comme si elles impliquaient un « conflit » entre les propriétaires et leurs propriétés, et nous traitons ainsi toutes les situations comme si elles étaient analogues à celle de l'exemple de la maison en flammes. Voir id., pp. 153-54.
[65] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 44.
[66] Id.
[67] Id.
[68] Id., pp. 44-45.
[**] Agence morale [moral agency] : le fait d'être un agent moral [NdT].
[69] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., pp. 122-25. En ce sens, je suis d'accord avec Tom Regan, qui soutient aussi l'idée que les patients moraux peuvent détenir des droits. Voir Tom Regan, The Case for Animal Rights, Californie, 1983, pp. 279-80. Je ne suis toutefois pas d'accord avec Regan, par contre, lorsqu'il rejette l'idée selon laquelle le seul critère de la sensibilité suffit pour avoir le statut de détenteur de droits. Je suis également en désaccord avec Regan à propos de la mort qu'il juge être un plus grand dommage pour l'être humain que pour les nonhumains. Id., pp. 324-25. Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., p. 215, note 61.
[70] Il est intéressant de remarquer que Bentham rejette le statut de propriétés ou d'esclaves pour les êtres humains, et que Singer écarte l'idée que nous puissions traiter les humains normaux comme des ressources remplaçables. Peut-être pourrait-on soutenir sur cette base que les deux auteurs admettent que le fait de traiter des humains exclusivement comme des ressources nous empêche de leur accorder une égale considération. Voir texte de la note 77.
[71] Voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., p. xxxiv, 148.
[72] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 45.
[73] Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., p. 90.
[74] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 45.
[75] Sur les distinctions entre les droits fondés sur le respect et les droits fondés sur la politique, voir Francione, Introduction to Animal Rights, op.cit., p. 190, note 17.
[76] Voir id., pp. 92-96.
[77] Voir id., pp. 132-37. Je soutiens qu'à l'égard de l'institution de l'esclavage humain, Bentham et Singer, qui sont normalement associés à l'utilitarisme de l'acte, adoptent une position qui s'apparente davantage à l'utilitarisme de la règle et reconnaissent même possiblement un droit à l'égale considération qui serait nécessairement violé par un traitement instrumental. Ni Bentham, ni Singer, ne soutiennent que nous devrions vérifier au cas par cas si l'utilité générale est augmentée par l'asservissement d'une personne en particulier ou par le traitement d'un adulte normal comme une ressource remplaçable. Au contraire, tous deux présument que le traitement des humains comme des ressources est, prima facie, interdit.
[78] Sunstein, « Slaughterhouse Jive », op.cit., p. 45.