Cet article a servi de base à une conférence présentée par Agnese Pignataro aux Estivales de la question animale (http://question-animale.org/) le 8 août 2005.
Agnese Pignataro est philosophe de formation. Elle est aussi la fondatrice d’une nouvelle revue sur Internet, Liberazioni, que l’on peut consulter sur http://www.liberazioni.org/.
Cette revue se définit comme un lieu de réflexion théorique sur toutes les questions d’émancipation humaine ou non humaine : libération animale, marxisme révolutionnaire, féminisme, lutte contre l’homophobie, écologie, anti-psychiatrie… Les textes publiés sont en italien mais, pour certains d’entre eux, le site fournit également une version en français, anglais ou allemand. Par exemple, on peut y lire, en français, une interview d’Yves bonnardel.
La Rédaction
Le dualisme cartésien, en distinguant radicalement la matière (res extensa) de la pensée (res cogitans), a donné lieu à une séparation entre la faculté de sentir et la faculté rationnelle, la première étant conçue comme entièrement matérielle et mécanique, la deuxième comme spirituelle ; cette séparation est la base de la théorie cartésienne de l'animal-machine. Nous allons examiner les auteurs qui, après Descartes, ont critiqué cette séparation avec l'intention de réunir les facultés de la connaissance et de les attribuer à un sujet matériel : à partir de la définition d'une sensibilité animale matérielle mais pas mécanique, ils ont conclu à l'existence d'une pensée animale, également matérielle, et finalement ont affirmé le devoir des humains de ne pas maltraiter les êtres dont la ressemblance avec l'homme a été reconnue dans le cadre d'une sensibilité commune.
« Je pense, donc je suis » : c'est le premier principe de la philosophie de René Descartes.
Le chemin de recherche de la vérité que Descartes a développé dans le Discours de la méthode (1637) et dans les Meditationes de prima philosophia (1641) exige qu'on abandonne toutes les connaissances sur lesquelles on pourrait imaginer avoir le moindre doute : les impressions sensibles autant que les vérités mathématiques.
Considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons (...) je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes [1] (doute hyperbolique).
Mais, écrit Descartes, le doute est, en lui-même, une preuve - ou la preuve - de l'existence du sujet qui est en train de douter : « je pense, donc je suis », « cogito ergo sum ».
Dans cette démonstration de l'existence du moi, il n'y a aucune preuve que ce moi est une substance matérielle :
je pouvais feindre que je n'avais aucun corps, et qu'il n'y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse ; mais (...) je ne pouvais pas feindre, pour cela, que je n'étais point [2].
Tant que le sujet pense, le sujet existe, c'est tout : l'essence de ce sujet « n'est que de penser (...) Pour être, [il] n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle [3] ». Ce raisonnement, en conclusion, démontre avec la plus grande certitude, selon Descartes, la séparation entre l'âme et le corps.
Vu que la preuve de l'existence de ce sujet entièrement spirituel est nécessairement liée à l'acte de la pensée, Descartes aboutit à la conclusion que la pensée est l'essence même de l'âme. Par conséquent, la réalité est divisée en deux parties, la première spirituelle et la deuxième matérielle, la première une substance qui pense (res cogitans, « chose qui pense ») et la deuxième, la matière, une substance qui ne pense pas, dont la propriété première est d'être étendue (res extensa, « chose étendue »).
Dans la cinquième partie du Discours de la méthode, Descartes explique la raison pour laquelle les animaux seraient des « machines ». Comme le langage est le seul signe qui prouve la présence d'une substance qui pense dans un corps à figure humaine, qui prouve que ce corps n'est pas un simple automate, il faut examiner si les animaux sont capables d'utiliser un langage pour décider s'il y a une substance qui pense dans leurs corps aussi. Selon Descartes, le système de communication utilisé par les animaux n'est pas un véritable langage, car il s'agit d'un système fermé : c'est-à-dire qu'il s'agit d'un système borné à un nombre fini de signifiés qui sont associés de manière univoque à des « signes », un système rigide comme celui des feux de signalisation, dans lequel il y a seulement deux signaux (rouge ou vert) auxquels seulement deux messages (stop ! ou marche !) sont associés. En revanche, le langage humain est un système ouvert, universel, où les « signifiants », les signifiés et le lien entre les uns et les autres peuvent changer (une thèse qui a été reprise au XXe siècle par le linguiste américain Noam Chomsky).
Les animaux, donc, ne « parlent » pas selon Descartes : c'est pour cela qu'ils ne pensent pas non plus, qu'ils ne sont pas des « choses qui pensent » mais seulement des « choses étendues ».
Est-ce que cela signifie qu'ils ne sont pas vivants ? qu'ils ne sont pas sensibles ?
Oui et non. Descartes écrivait, dans sa Correspondance, qu'il ne niait pas la vie et la sensibilité des animaux [4] ; mais qu'il s'agissait d'une « vie » et d'une « sensibilité », entièrement assimilées aux autres phénomènes physiques : c'est-à-dire, qu'il s'agissait de processus mécaniques. Selon Descartes, tous les phénomènes qui se produisent dans la substance étendue sont de nature purement mécanique, de simples mouvements : contacts, chocs, poussées, tractions. La vie, donc, est tout simplement l'effet du feu brûlant dans le cœur, dont Descartes donne une explication mécanique [5] ; la sensibilité est tout simplement le résultat du mouvement que les objets extérieurs communiquent au cerveau au moyen des nerfs [6].
- Tous les corps, vivants ou non, sont inertes.
- Leurs processus vitaux sont des mouvements mécaniques.
- Le mouvement leur est donné de l'extérieur.
=> Tous les corps sont des automates.
Tout cela entraîne que, dans la philosophie de Descartes, il n'y a pas de différence de « nature » entre les corps vivants et les corps inanimés, entre l'organique et l'inorganique [7] ; mais, surtout, que les facultés de la connaissance, sensibilité et raison, sont entièrement dissociées l'une de l'autre : la première est un processus purement matériel, qui ne diffère pas essentiellement des autres mouvements physiques, la seconde est un processus entièrement spirituel.
De plus, le cogito représente, selon Descartes, le moment unique et total de la conscience de soi : étant donné qu'on n'est conscient de soi-même que dans l'acte de la pensée, étant donné que le jeu de l'esprit du doute hyperbolique démontre qu'on peut imaginer que son propre corps n'existe pas et qu'on ne cesse pas de penser pour autant, étant donné enfin que la pensée n'a rien à voir avec la matière, il va de soi qu'un être entièrement matériel n'est absolument pas conscient de lui-même. Ainsi, dans la philosophie cartésienne, la réalité est coupée en deux : la « chose qui pense », d'un coté, qui a une complète, claire et distincte conscience d'elle-même, et la « chose étendue », de l'autre, qui est tout simplement un ensemble de corps qui se meuvent mécaniquement et automatiquement, et ne s'aperçoivent ni d'eux-mêmes, ni des autres êtres, quelle que soit la forme qu'ils présentent (automate, végétal, animal).
En résumé, les animaux, selon Descartes :
- ne sont pas conscients d'eux-mêmes ;
- n'ont pas de langage ;
- n'ont pas de facultés cognitives et ne connaissent rien ;
- ne sont pas plus vivants ou plus sensibles qu'une montre ou qu'un automate.
1. Elle n'explique pas la différence entre les corps vivants et ceux qui ne sont pas vivants.
2. Elle sépare les facultés de la connaissance en faisant de la sensibilité un processus purement mécanique et en attribuant le sentiment de soi seulement à la pensée.
Pierre Bayle, philosophe et érudit français vécut entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe. Un article de son Dictionnaire Historique et Critique (1695-1697) traite du problème de l'âme des animaux : l'article « Rorarius [8] ».
Dans cet article Bayle critique aussi bien les théories de Descartes que celles des aristotéliciens à ce sujet et suggère que, sur la base d'une argumentation rationnelle, on ne peut établir aucune différence ontologique (c'est-à-dire, au niveau de l'essence) et gnoséologique (c'est-à-dire, au niveau des facultés cognitives) entre l'homme et les autres animaux.
Descartes nie que les animaux aient une âme : mais ce sentiment, écrit Bayle, est « difficile à soutenir » et « éloigné de la vraisemblance [9] », car l'habileté démontrée par plusieurs animaux ne peut pas être expliquée simplement par le mécanisme. Les actions des animaux sont tellement complexes que si on réussissait à les expliquer de façon mécanique, on pourrait expliquer de la même façon les actions humaines, sans qu'il soit besoin de faire intervenir l'âme. La thèse cartésienne ne permet donc pas de justifier une distinction entre les animaux et les humains : si les premiers sont des machines, les seconds le sont aussi.
Quant a l'École aristotélicienne, elle opposait au cartésianisme la tripartition qu'Aristote avait établie dans le De Anima ( « De l'âme ») entre âme végétative, sensitive et rationnelle [10], dont chacune comprend les facultés des précédentes : l'âme végétative contrôle la nutrition et la reproduction et se trouve dans tous les vivants ; l'âme sensitive, qui se trouve dans tous les animaux (y compris les humains), contrôle aussi l'activité des sens ; l'âme rationnelle, enfin, est propre seulement des humains et ajoute à tout cela la pensée. Aristote affirme que « la faculté sensible n'existe pas sans le corps, au contraire la raison [en] est séparée [11] ».
L'École aristotélicienne, donc, objectait à Descartes que les animaux avaient une âme, et qu'il s'agissait d'une âme sensitive. Mais, selon les aristotéliciens, cette âme animale, contrairement à l'âme humaine qui est entièrement spirituelle et connaît les concepts abstraits et universels, était une substance « mitoyenne » entre la matière et l'esprit (car la matière brute n'a pas la capacité de sentir) et connaissait seulement les objets matériels et singuliers.
Une bonne partie de l'article « Rorarius » est dédiée à la critique de cette position ; Bayle conduit la critique sur deux niveaux, métaphysique et gnoséologique, pour démontrer qu'il n'y a pas de « différence spécifique » entre l'âme de l'homme et l'âme des animaux.
Premièrement, il n'est pas possible qu'il y ait une substance intermédiaire entre la matière et l'esprit : donc l'âme sensitive doit être ou matérielle ou spirituelle [12].
Si elle est spirituelle, elle est capable de penser aussi bien que l'âme humaine :
nous concevons clairement qu'une substance non étendue qui peut sentir, est capable de raisonner ; et par conséquent si l'âme des bêtes est une substance non étendue capable de sensation, elle est capable de raisonnement : elle est donc de la même espèce que l'âme de l'homme [13].
Si, au contraire, l'âme des animaux est matérielle, étant sensible, elle est aussi capable de penser :
si un principe matériel est capable de connaître une infinité de choses qui se passent au-dehors, il sera beaucoup plus capable de connaître ses propres pensées, de les comparer ensemble et de les multiplier : ainsi les réflexions, et les conclusions, et les abstractions de l'homme ne demandent pas un principe plus noble que la matière [14].
Il découle de l'argumentation de Bayle dans « Rorarius » que ni l'automatisme de Descartes, ni l'aristotélisme ne permettent d'établir une quelconque différence entre les humains et les animaux : si les animaux n'ont pas d'âme, les humains non plus ; si les animaux ont une âme, elle doit être de la même espèce que l'âme humaine.
La sensibilité joue un rôle fondamental dans l'argumentation de Bayle. En effet, la philosophie de la nature de Descartes, comme nous l'avons vu, vidait le concept de sensibilité de tout contenu en l'assimilant aux autres mouvements physiques ; dans le monde matériel de Descartes, il n'y avait pas d'êtres véritablement sensibles. Mais si on refuse le cartésianisme et qu'on reconnaît l'existence d'êtres sensibles, on doit par là même reconnaître que ces êtres, étant sensibles, sont aussi doués de conscience et de raison. En effet Bayle écrit :
Il est mille fois plus difficile de voir un arbre, que de connaître l'acte par lequel nous le voyons [15].
Dans ce cadre, la sensibilité prend la place du cogito : la perception des objets extérieurs devient l'acte cognitif premier, qui donne la conscience de soi-même.
Et, encore :
Le passage de la privation du sentiment à la perception d'un arbre, et au discernement de cet arbre, est une action plus difficile que le passage de la sensation au raisonnement [16].
Ce dernier passage montre clairement l'orientation que la critique matérialiste de la philosophie cartésienne était en train de prendre.
Premièrement, on refusait l'uniformisation de toute la matière dans le concept de res extensa, et, en soulignant la différence entre la matière inerte et la matière vivante, on essayait de comprendre le passage de l'une à l'autre et les caractères spécifiques du vivant, notamment du vivant sensible.
Deuxièmement, on refusait la division radicale entre les facultés de la connaissance, on rapprochait la sensibilité et la raison et, suivant la remarque de Bayle, on repérait dans la sensibilité même la condition nécessaire et suffisante de la pensée. Il va de soi que cette perspective entraînait non seulement qu'on n'acceptait pas de considérer les animaux comme des automates, mais qu'on leur attribuait des facultés beaucoup plus larges que dans la pensée d'Aristote : on en arrivait à affirmer que les animaux sont conscients, ont un langage, enfin qu'ils sont capables de faire des raisonnements abstraits.
Nous arrivons ainsi au XVIIIe siècle...
Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751), médecin et philosophe matérialiste et athée, écrivit des œuvres jugées scandaleuses et immorales, comme L'Homme Machine (1747) et l'Anti-Sénèque (1751) ; son Histoire naturelle de l'âme fut brûlée sur l'ordre du Parlement de Paris et il fut obligé à s'enfuir de France en Hollande, puis en Allemagne, à la cour du roi Frédéric II de Prusse - qui accueillait tous les intellectuels qui fuyaient la France. La Mettrie aimait provoquer les bien-pensants en exaltant le bonheur physique et les plaisirs des sens, contre les moralismes rigoristes (stoïcisme, christianisme) ; mais, même s'il arriva enfin à vivre en sûreté sous la protection d'un roi et à jouir de la vie de cour, il était mal à l'aise dans le rôle de courtisan, n'aimant pas flatter, et il regrettait son pays natal, la Bretagne. Malheureusement, il mourut jeune et en terre étrangère.
Étant matérialiste et ne croyant pas à l'existence d'une âme spirituelle, La Mettrie essaye d'expliquer comment il est possible que la matière soit capable de penser. Dans ce but, évidemment, il faut entièrement abandonner la philosophie cartésienne : abandonner le dualisme ( « il n'y a dans tout l'univers qu'une seule substance diversement modifiée [17] », à savoir la matière) et abandonner le mécanisme qui réduit toute la réalité matérielle à un gigantesque ensemble d'engrenages automatiques et passifs. Selon La Mettrie, la matière vivante est différente de la matière brute : cette dernière est seulement étendue, là où la première est douée aussi d'une force intrinsèque de mouvement - une puissance motrice - et de la faculté de sentir [18]. Dans la philosophie de Descartes, tous les corps physiques étaient inertes, car ils recevaient le mouvement de l'extérieur (à la manière d'une montre dont les aiguilles se meuvent seulement après que quelqu'un l'ait remontée) ; au contraire, les « machines vivantes » dont La Mettrie parle sont des corps qui ont une capacité de se mouvoir par eux-mêmes ( « le corps humain est une machine qui monte elle-même ses ressorts [19] »). Au niveau empirique et expérimental [20], La Mettrie explique cette capacité par le concept d'irritation, qu'il emprunte aux ouvrages d'un fameux physiologiste allemand contemporain, Albrecht von Haller : l'irritation (vis irritabilis) est la contraction automatique et involontaire qui est le propre des fibres musculaires, même si elles sont séparées du corps. La Mettrie fait de l'irritation une propriété de toute la matière vivante organisée dans ses parties les plus petites [21] :
Par conséquent,
posé le moindre principe de mouvement, les corps animés auront tout ce qu'il leur faut pour se mouvoir, sentir, penser [22].
Qu'on m'accorde seulement que la matière organisée est douée d'un principe moteur, qui seul la différencie de celle qui ne l'est pas (eh ! peut-on rien refuser à l'observation la plus incontestable ?), et que tout dépend dans les animaux de la diversité de cette organisation [23].
Dans ce cadre, les fonctions qu'on attribuait traditionnellement à l'âme, autant les fonctions « végétatives » (nutrition etc.) que celles appelées « spirituelles » (pensée etc.), sont le résultat de certains processus physiques qui se passent dans un substrat matériel (les fibres) avec une organisation spécifique (végétale ou animale). Par conséquent, les différentes capacités des êtres vivants ne sont pas expliquées sur le plan ontologique (avoir ou non une « âme » quelconque) mais sur le plan physique : la diversité entre les êtres dépend de la complexité de leur organisation. Ainsi, c'est l'anatomie comparée qui, en nous révélant l'analogie des structures physiques des vivants, notamment de leur système nerveux et de leur cerveau, nous explique aussi la variation de leurs facultés cognitives relativement au niveau de développement de ces structures. Il n'y a pas de différence essentielle entre l'homme et les autres animaux, mais seulement du plus ou moins, selon la complexité de l'organisation physique : « l'homme n'est qu'un animal » écrit La Mettrie dans L'Homme Machine [24].
En général, la forme et la composition du cerveau des quadrupèdes est à peu près la même que dans l'homme. Même figure, même disposition partout ; avec cette différence essentielle, que l'homme est de tous les animaux celui qui a le plus de cerveau, et le cerveau le plus tortueux, en raison de la masse de son corps. Ensuite, le singe, le castor, l'éléphant, le chien, le renard, le chat, etc. : voilà les animaux qui ressemblent le plus à l'homme, car on remarque chez eux la même analogie graduée par rapport au corps calleux [25].
Il faut préciser que, selon La Mettrie, l'organisation physique est la condition nécessaire mais non suffisante du développement des facultés cognitives : il faut ajouter à la potentialité physique une bonne « éducation », c'est-à-dire une instruction appropriée. Le rôle de l'éducation dans L'Homme Machine est très important : en fait, les individus à la bonne organisation peuvent, au moyen de l'éducation, développer et raffiner leurs facultés cognitives et arriver à bouleverser les rapports de force entre les vivants. C'est le cas de l'espèce humaine qui est la plus faible du point de vue de la force physique mais est douée d'un cerveau plus grand : elle s'est élevée au-dessus des autres espèces animales au moyen de l'instruction, qui a actualisé les potentialités de sa disposition physique à la réflexion.
De plus, au moyen de l'éducation, un individu peut arriver jusqu'à traverser les frontières d'espèce : vu la surprenante analogie entre les organes des animaux humains et non humains, La Mettrie ne croit pas que les animaux non humains soient complètement dépourvus de la faculté de réfléchir et de raisonner. Au contraire, il soutient non seulement qu'ils ont des connaissances, des idées et des signes pour communiquer entre eux [26], mais aussi qu'ils seraient capables d'acquérir des facultés traditionnellement attribuées seulement aux humains :
Parmi les animaux, les uns apprennent à parler et à chanter ; ils retiennent des airs et prennent tous les tons aussi exactement qu'un musicien. Les autres, qui montrent cependant plus d'esprit, tels que le singe, n'en peuvent venir à bout. Pourquoi cela, si ce n'est par un vice des organes de la parole ?
Mais ce vice est-il tellement de conformation qu'on n'y puisse apporter aucun remède ? En un mot, serait-il absolument impossible d'apprendre une langue à cet animal ? Je ne le crois pas.
Je prendrais le grand singe préférablement à tout autre, etc [27].
Dans ce passage de L'Homme Machine, La Mettrie soutient qu'il est tout à fait possible apprendre un langage humain aux singes : comme ils ne sont pas capables de prononcer des mots à l'état naturel, il faut tout simplement les exercer à utiliser les organes de la phonation (La Mettrie suggère la méthode développée par le médecin hollandais Johann-Conrad Amman pour éduquer les sourds-muets à parler). Il est évident que selon La Mettrie le langage n'est pas un caractère inné de l'homme, comme le soutenait Descartes, mais, au contraire, un instrument acquis dont les signes sont arbitraires.
Dans le système des facultés de la connaissance décrit par La Mettrie, la sensibilité joue un rôle fondamental. La sensibilité est la capacité d'être affecté par les objets extérieurs qui est propre à certaines formes de matière vivante qui sont organisées dans un système nerveux et un cerveau : il s'agit évidemment d'une faculté matérielle. Comme il n'existe pas de substance spirituelle mais tout est matière, la pensée même est une faculté matérielle selon La Mettrie : elle est une activité du cerveau qui se développe en élaborant les idées qu'on se forme à partir des sensations données par les sens. Dans L'Homme Machine, La Mettrie écrit que « la pensée n'est qu'une faculté de sentir et que l'âme raisonnable n'est que l'âme sensitive appliquée à contempler les idées et à raisonner [28] ».
Il faut préciser que La Mettrie explique la sensation comme l'avait fait Descartes : la sensation est un mouvement des esprits animaux (c'est-à-dire la partie la plus subtile du sang) qui coulent dans les nerfs et transmettent l'impression de l'objet de l'organe des sens jusqu'au cerveau. Mais tout le cadre philosophique est changé.
Premièrement, nous avons vu que, selon La Mettrie, la matière, en s'organisant dans un être vivant, acquiert des propriétés (la puissance motrice, etc.) que ne présente pas la matière brute : la sensation et tous les autres processus vitaux sont bien des mouvements, donc, mais leur nature est différente de celle des autres mouvements physiques, car ils se passent dans une matière organisée.
Deuxièmement, nous avons vu que la sensibilité n'est pas un processus matériel quelconque selon La Mettrie : il s'agit d'un acte de connaissance. En fait, c'est à partir des sensation qu'on arrive à avoir des idées et à les coordonner, à les comparer, en un mot, à raisonner. La pensée même, selon La Mettrie, est une évolution ou une application de la faculté de sentir [29]. Par conséquent - et contrairement à Descartes - un être sensible n'est pas du tout un être inerte : c'est un être qui est capable de connaître ce qui se passe au-dehors de lui et d'élaborer ses connaissances, enfin, c'est un être conscient :
Un être d'une structure semblable à la nôtre, qui fait les mêmes opérations, qui a les mêmes passions, les mêmes douleurs, les mêmes plaisirs, plus ou moins vifs (...) un tel être enfin ne montre-t-il pas clairement qu'il sent ses torts et les nôtres, qu'il connaît le bien et le mal et, en un mot, a conscience de ce qu'il fait [30] ?
L'idée même qu'un animal non humain est capable d'apprendre un langage humain implique qu'il est conscient de lui-même, car seul un individu qui garde le souvenir de son « moi » à travers le temps est capable de retenir ce qu'il a appris.
En conclusion, le monisme matérialiste de La Mettrie décrit une égalité totale entre les vivants. Pas de hiérarchies d'essences ou d'espèces : dans la nature, il y a seulement des individus matériels dont l'organisation est plus ou moins complexe, qui ont une conformation physique plus ou moins bonne, et qui ont la possibilité d'améliorer leurs capacités et facultés. Ainsi, les rapports entre les vivants ne sont pas établis une fois pour toutes, mais peuvent changer, tant sur le plan de l'histoire naturelle (l'espèce humaine qui s'élève au dessus des autres animaux), que sur le plan individuel (le singe qui apprend un langage et s'élève au dessus des êtres qui ne parlent pas, y compris certains humains).
Égalitarisme et individualisme sont aussi les fondements de la morale de La Mettrie. Le « souverain bien » selon les philosophies anthropocentriques et moralistes (christianisme, stoïcisme) était une félicité spirituelle qu'on arrivait a réaliser en se détachant du corps et de ses passions : il s'agissait d'un bien que seuls les humains, en tant qu'êtres raisonnables et spirituels, pouvaient atteindre, et d'un bien dont la nature était la même pour tous (les humains). En revanche, selon La Mettrie, « la Nature nous a tous créés uniquement pour être heureux ; oui tous, depuis le ver qui rampe jusqu'à l'aigle qui se perd dans la nue [31] » : tous les êtres ont leur propre façon d'être heureux, soit spirituellement, soit corporellement, et la Nature donne à tous le droit de réaliser leur propre bonheur.
J'en conclus que chacun a sa portion de félicité, les gueux comme les riches, les ignorants comme les savants, les animaux comme les hommes (car le temps d'en faire des machines dépourvues de sentiment est passé), que chaque individu parvient conséquemment à son degré de bonheur, comme à la santé, à la gaieté, à l'esprit, à la force, au courage et à l'humanité possibles [32].
Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) était un homme de science très célèbre en son temps : mathématicien, astronome, biologiste ; il répandit en France la théorie de la gravitation universelle de Newton en écrivant un Discours sur les différentes figures des astres avec une exposition des systèmes de MM. Descartes et Newton (1732) et il pris part à une expédition polaire destinée à mesurer la courbure de l'arc de méridien pour prouver l'aplatissement de la Terre aux pôles ; il fut lui aussi protégé par Frédéric II qui le nomma Président de l'Académie des Sciences de Berlin dès 1742.
La réflexion de Maupertuis au sujet de la matière, de l'âme des animaux et de la sensibilité se développe dans le cadre d'un intérêt pour la génération des vivants (embryologie) et notamment pour le processus de transmission des caractères héréditaires. Dans les années 1740, un enfant blanc naquit dans une famille noire : cet événement fit du bruit à Paris. Maupertuis essaya d'en donner une explication scientifique. Il écrivit ses premières remarques dans la Vénus physique (1745) et formula de nouvelles hypothèses en 1751 dans un Essai sur la formation des corps organisés ou Système de la Nature dont nous allons parler.
Selon Maupertuis, ni le mécanisme de Descartes ni l'attraction de Newton ne suffisent pour expliquer la formation du fœtus, car tous les deux supposent que les parties de matière se meuvent uniformément ; en revanche, les molécules (les parties les plus petites de matière vivante ; le terme avait été créé par Buffon à cette époque-là) de l'embryon suivent une évolution différente selon les différents organes qu'elles vont former : « Si toutes ont la même tendance, la même force pour s'unir les unes aux autres, pourquoi celles-ci vont-elles former l'œil, pourquoi celles-là l'oreille ? pourquoi ce merveilleux arrangement ? » demande Maupertuis dans l'Essai [33]. Pour répondre à cette question, il faut selon Maupertuis attribuer à la matière des propriétés supplémentaires (en plus de l'impénétrabilité, la mobilité, l'inertie, l'attraction, c'est-à-dire les propriétés physiques de la matière) :
Par. XIV (...) Si l'on veut dire sur cela [i.e. la formation des vivants] quelque chose qu'on conçoive, quoique encore on ne le conçoive que sur quelque analogie, il faut avoir recours à quelque principe d'intelligence, à quelque chose de semblable à ce que nous appelons désir, aversion, mémoire [34].
Ce sont donc des propriétés psychiques que Maupertuis attribue à la matière vivante pour expliquer la formation des corps organisés.
Le processus de l'embryogenèse - où les petites parties de matière qui vont former l'être vivant s'assemblent d'une façon différenciée, les unes allant former un organe, les autres un autre organe, et reproduisant la figure des organismes d'origine (les parents) - a l'apparence d'un processus intentionnel. Les molécules agissent comme si elles avaient une intention, ou un désir, de se placer à un endroit plutôt qu'à un autre ; en outre, ce placement suit le dessin de la conformation physique des parents, reproduisant leurs traits caractéristiques, comme si les molécules avaient le souvenir de la place qu'elles occupaient quand elles étaient dans les organismes d'origine et voulaient la retrouver.
La capacité de désirer et de se souvenir suppose évidemment que les molécules soient conscientes. Dans le paragraphe LII, Maupertuis attribue aux molécules un degré infinitésimal de perception ou sensibilité, qui entraîne une conscience minimale de soi. Il explique un peu plus loin comment à l'union physique des molécules dans le nouvel organisme correspond la fusion de leurs perceptions dans une perception unique :
Par. LIV (...) Chez nous, il semble que de toutes les perceptions des éléments rassemblées il en résulte une perception unique, beaucoup plus forte, beaucoup plus parfaite, qu'aucune des perceptions élémentaires, et qui est peut être à chacune de ces perceptions dans le même rapport que le corps organisé est à l'élément [35].
Dans l'hypothèse de Maupertuis, toute la matière (vivante ou non, car Maupertuis étend ce cadre jusqu'aux minéraux [36]) possède donc dans ses composantes les plus petites un niveau élémentaire de sensibilité et de conscience ; de sorte que tous les corps organisés, des végétaux aux animaux jusqu'à l'homme, possèdent un niveau plus ou moins développé de sensibilité et de conscience qui résulte de l'union des molécules organiques qui les constituent.
La conception de la matière de Maupertuis est très loin de la res extensa de Descartes, mais d'une façon un peu différente de celle de La Mettrie : ce dernier pensait que la sensibilité et la pensée étaient des « fonctions » qui émergeaient à un certain niveau d'organisation de la matière (les fibres et les organes), là où Maupertuis les attribue à toutes les parties de matière dans leur stade élémentaire (les molécules), en en faisant ainsi des propriétés constitutives de la matière même. La philosophie de Maupertuis est ainsi une philosophie qui matérialise l'âme et conçoit plusieurs degrés de conscience de soi selon les différents niveaux d'organisation de la matière, de la conscience « sourde » d'un minéral ou d'une molécule élémentaire jusqu'à la conscience claire des humains (alors que Descartes coupait le monde en deux : les êtres qui sont conscients - spirituels - et ceux qui ne le sont pas - matériels).
Les conséquences de la philosophie de Maupertuis au niveau de la gnoséologie et de la morale sont très remarquables.
Dans son hypothèse, tous les êtres matériels, du fait qu'ils possèdent quelque degré de sensibilité, sont doués aussi d'intelligence, car Maupertuis (tout comme Bayle et La Mettrie) fait de la sensibilité la condition nécessaire et suffisante de la conscience de soi et, conséquemment, de la pensée :
Tout sentiment, toute perception est une pensée. Elle est nécessairement accompagnée du sentiment de soi, de ce que les Philosophes appellent conscience (...) Or c'est ce sentiment du soi qui caractérise la simplicité et l'indivisibilité de la substance à laquelle il appartient : ainsi le sentiment le plus léger ou le plus confus, qu'aurait une huître, suppose autant une substance simple et indivisible que les spéculations les plus sublimes et les plus compliquées de Newton [37].
Parmi tous les êtres matériels dont on a reconnu la sensibilité et la conscience de soi, les animaux non humains qui ressemblent aux humains quant à la complexité d'organisation sont doués d'une faculté intellectuelle presque aussi étendue que celle des humains : Maupertuis croit qu' « elle s'exerce sur les propriétés physiques, et peut-être s'étend jusqu'aux spéculations de l'Arithmétique et de la Géométrie [38] ». Les animaux sont seulement dépourvus de la faculté de participer activement à la morale, parce qu'elle ne se fonde pas sur la connaissance des propriétés physiques : mais il ne s'agit pas, comme on pourrait le penser, d'une exclusion défavorable aux animaux fondée sur un préjugé.
Premièrement, parce que l'intention de Maupertuis est simplement d'établir une distinction au niveau de l'épistémologie, entre la science de la nature, qui étudie les objets empiriques, et la morale, qui se fonde sur des concepts qui ne sont pas empiriques (le bien, la justice etc.).
Deuxièmement, parce que, même si dans l'opinion de Maupertuis les animaux ne sont pas des agents moraux, il reconnaît que ce sont des patients moraux (pour utiliser une terminologie contemporaine). Ses Lettres philosophiques (1752) contiennent une lettre intitulée Du droit sur les bêtes où il critique la cruauté envers les animaux des Européens et lui oppose la compassion et le végétarisme des Indiens ; mais il y critique aussi le végétarisme des anciennes philosophies pythagorique et platonicienne, dont les disciples ne mangeaient pas de viande parce qu'ils croyaient à la métempsycose : une attitude incorrecte, selon Maupertuis, parce qu'elle ne respecte pas l'animal en lui-même mais l'humain qu'il a été. Il écrit :
il me semble qu'on a une raison plus décisive [que la métempsycose] pour ne point croire permis de tuer ou de tourmenter les bêtes : il suffit de croire, comme on ne peut guère s'en empêcher, qu'elles sont capables de sentiment [39].
Cette phrase rappelle le fameux « La question n'est pas : peuvent-ils raisonner ? ni : peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ? » de Jeremy Bentham [40] ; en fait, certains éléments de la philosophie morale de Maupertuis sont très proches de l'utilitarisme, que Bentham développait quarante ans plus tard. Maupertuis écrivit en 1749 un Essai de Philosophie Morale où il proposait une « morale arithmétique », c'est-à-dire une théorie morale qui mesurerait le bien de chaque individu en faisant un calcul des plaisirs et des douleurs qui lui sont propres. Dans cet Essai, Maupertuis donnait une définition très large des plaisirs et des douleurs, en y incluant aussi bien les plaisirs (et peines) spirituels que corporels : tout dépend de la prédisposition de l'individu [41].
Comme les plaisirs des sens sont inclus dans la définition du « bien » moral, les animaux non humains, en tant qu'êtres sensibles, sont considérés comme des êtres qui ont un intérêt à chercher le bien et à éviter le mal. Cela semble entraîner pour Maupertuis une forte obligation morale des humains envers les animaux non humains ; il écrit, dans la Lettre :
faut-il qu'une âme soit précisément celle de tel ou tel homme, ou celle d'un homme en général, pour qu'il ne faille pas l'affliger d'un sentiment douloureux [42] ?
Maupertuis critique ici notamment les philosophies de la métempsycose, mais on peut entendre cette phrase très radicalement - même si ce n'était pas complètement dans l'intention de l'auteur - comme l'ouverture officielle de la discussion sur l'anthropocentrisme en morale, discussion qui est la conséquence logique de la critique matérialiste du dualisme cartésien et notamment de la théorie des « animaux-machines ».
Les deux critiques matérialistes de la théorie des « animaux-machine » que nous avons examinées ont contesté cette théorie au niveau de l'ontologie et de la gnoséologie :
- Ontologie. Comme le monde est fait seulement de matière, des êtres supérieurs car spirituels n'existent pas : l'homme est donc un animal parmi les autres.
- Gnoséologie. La sensibilité, la conscience, la raison sont des facultés propres aux êtres matériels : donc, appartiennent aux animaux non humains et pas uniquement aux humains.
Ce sont des positions potentiellement antispécistes qui entraînent déjà des conclusions au niveau de la morale, même si les auteurs dont nous avons parlé se sont exprimés assez synthétiquement à ce sujet.
[1] René Descartes, Discours de la méthode, AT VI, p. 32 (AT est la sigle de l'édition principale des Œuvres de Descartes, publiée par Charles Adam et Paul Tannery en 12 volumes, republiée chez Vrin ; ce sigle est utilisé dans toutes les éditions des œuvres de Descartes).
[2] Ibidem.
[3] Ibidem, p. 33.
[4] « Velim tamen notari me loqui de cogitatione, non de vita, vel sensu : vitam enim nulli animali denego, utpote quam in solo cordis calore consistere statuo ; nec denego etiam sensum, quatenus ab organo corporeo dependet » (Lettre DXXXVIII à Henry More, AT, V, p. 278).
[5] Il dit qu'il « n'est point d'autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés » (René Descartes, Traité de l'Homme (posthume), AT, XI, p. 212).
[6] Cf. René Descartes, Les Passions de l'Âme (1649), première partie, art. XIII.
[7] Ibidem, art. VI : « ... le corps d'un homme vivant diffère autant de celui d'un homme mort, que fait une montre, ou un autre automate (c'est-à-dire, une autre machine qui se meut de soi même) lorsqu'elle est montée, et qu'elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre, ou autre machine, lors qu'elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d'agir ».
[8] Jérôme Rorarius était un ecclésiastique du XVIe siècle qui écrivit un petit ouvrage intitulé « Quod Animalia Bruta Ratione utantur melius Homine » ( « Les animaux utilisent la raison mieux que les hommes ») où il rapportait plusieurs anecdotes sur les mœurs des animaux pour exposer ses idées politiques.
[9] Pierre Bayle, Dictionnaire Historique et Critique, art. « Rorarius », réimpression anastatique pour Slatkine Reprints, Genève 1969, XII, p. 588.
[10] Aristote, De Anima, 414 a 29 - 414 b 19 (les ouvrages d'Aristote sont cités par des numéros qui se réfèrent à l'édition Bekker : n° de page, colonne - a ou b -, n° de ligne ; cette pagination est indiquée dans toutes les éditions des œuvres d'Aristote).
[11] Ibidem, 429 b 5.
[12] Pierre Bayle, art. « Rorarius », p. 606 : « Ces deux termes, matière, esprit, semblent d'abord opposés d'une manière à souffrir quelque milieu ; mais quand on y regarde de près, on comprend qu'on peut les réduire à l'opposition contradictoire. Pour cela il suffit de demander si la substance qui n'est ni corps ni esprit est étendue, ou non étendue. Si elle est étendue, on a grand tort de la distinguer de la matière ; si elle n'est pas étendue, je demande en vertu de quoi on la distingue de l'esprit ».
[13] Ibidem.
[14] Ibidem, p. 602.
[15] Ibidem.
[16] Ibidem, p. 607.
[17] J.O. de La Mettrie, L'Homme Machine, dans Œuvres philosophiques, Coda, Paris 2004, p. 74.
[18] J.O. de La Mettrie, Histoire naturelle de l'âme, chap. V et VI, dans Œuvres philosophiques, op. cit., pp. 90-94.
[19] J.O. de La Mettrie, L'Homme Machine, op. cit., p. 48.
[20] Suivant l'inspiration de la nouvelle science expérimentale de Galilée et Newton.
[21] « Chaque petite fibre ou partie des corps organisés se meut par un principe qui lui est propre et dont l'action ne dépend point des nerfs comme les mouvements volontaires, puisque les mouvements en question s'exercent sans que les parties qui les manifestent aient aucun commerce avec la circulation. (...) Tel est ce principe moteur des corps entiers ou des parties coupées en morceaux » (J.O. de La Mettrie, L'Homme Machine, op. cit., p. 71-72).
[22] Ibidem, p. 70.
[23] Ibidem, p. 78.
[24] Op. cit., p. 75.
[25] Ibidem, p. 51.
[26] Cf. Histoire naturelle de l'âme, chap. XI § 3.
[27] J.O. de La Mettrie, L'Homme Machine, op. cit., p. 53.
[28] Ibidem, p. 78.
[29] Dans le fameux Traité des Sensations (1754), l‘abbé de Condillac soutenait de la même manière que la pensée s'origine à partir de la sensibilité, mais toute l'explication se plaçait sur le plan spirituel.
[30] J.O. de La Mettrie, L'Homme Machine, op. cit., p. 62.
[31] Ibidem, p. 65.
[32] J.O. de La Mettrie, Anti-Sénèque, dans Œuvres philosophiques, op. cit., pp. 331-332.
[33] P.L.M. de Maupertuis, Système de la Nature, par. XIV, in Œuvres, réimpression anastatique pour Olms, Hildesheim 1965-1974, vol. II, pp. 146-147.
[34] Ibidem, pp. 146-147.
[35] Ibidem, p. 172.
[36] Dans le paragraphe LV.
[37] P.L.M. de Maupertuis, Lettres philosophiques, Dresden 1752, dans Œuvres, op. cit., vol. II, Lettre V, pp. 247-248. Pour comprendre l'intensité de cette phrase, il faut remarquer que Newton était, à cette époque, un personnage qu'on regardait avec la plus grande admiration : en expliquant définitivement le mouvement des corps célestes par l'attraction gravitationnelle, il avait provoqué une révolution scientifique d'une importance considérable. Il était donc assez provocateur de comparer celui qu'on avait presque élevé au rang de demi-dieu à une modeste huître.
[38] Système de la Nature, dans Œuvres, op. cit., par. LVII, p. 176.
[39] P.L.M. de Maupertuis, Lettres philosophiques, op. cit., Lettre VI, p. 255.
[40] J. Bentham, Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789), in The works of Jeremy Bentham, Edinburgh 1843, réimpression anastatique pour Thoemmes Press, Bristol 1995, vol. I, p. 143. Toutefois, il faut préciser que Bentham, dans le passage cité, ne prend en considération que la souffrance des animaux : il ne remet pas en cause le droit des humains de tuer les animaux, il critique seulement l'habitude de les torturer et de les faire souffrir :
S'il n'y avait que le fait d'être mangé, il y a de très bonnes raisons pour qu'il nous soit permis de manger [les animaux] qu'il nous plaît de manger : nous nous en trouvons mieux et ils ne s'en trouvent jamais plus mal. La mort que nous leur donnons est souvent - et pourrait toujours être - plus rapide et moins douloureuse que celle qui les attendrait dans le cours inévitable de la nature. (...) Mais y a-t-il une seule raison pour laquelle il nous serait permis de les tourmentsr ? Je n'en vois aucune. (ibidem)
En revanche, Maupertuis, dans la lettre Du droit sur les bêtes, semble penser que le simple fait que les animaux soient sensibles suffit pour priver les humains du droit de les tuer.
[41] « Ne craignons donc point de comparer les plaisirs des sens avec les plaisirs les plus intellectuels ; ne nous faisons pas l'illusion de croire qu'il y ait des plaisirs d'une nature moins noble les uns que les autres : les plaisirs les plus nobles sont ceux qui sont les plus grands » (P.L.M. de Maupertuis, Essai de Philosophie Morale, in Œuvres, op. cit., vol. I, pp. 206-207).
[42] Lettre VI Du droit sur les bêtes, op. cit., pp. 255-256.