Los patos y las palomas [Les canards et les pigeons]
y los cerdos y los corderos [les porcs et les agneaux]
ponen sus gotas de sangre [mettent leurs gouttes de sang]
debajo de las multiplicaciones; [sous les multiplications;]
y los terribles alaridos de las vacas estrujadas [et les terribles hurlements des vaches étripées]
llenan de dolor el valle [emplissent de douleur la vallée]
donde el Hudson se emborracha con aceite. [où l'Hudson s'enivre d'huile.]
Yo denuncio a toda la gente [Je dénonce tous ceux]
que ignora la otra mitad, [qui ignorent l'autre moitié,]
la mitad irredimible [la moitié non rachetable]
que levanta sus montes de cemento [qui élève ses montagnes de ciment]
donde laten los corazones [où battent les cœurs]
de los animalitos que se olvidan [des humbles animaux qu'on oublie] [...]
Yo denuncio la conjura [Je dénonce la conjuration]
de estas desiertas oficinas [de ces officines désertes]
que no radian las agonías,
[qui n'annoncent pas à la radio les agonies]
que borran los programas de la selva, [qui effacent les programmes de la forêt]
y me ofrezco a ser comido [et je m'offre pour être mangé]
por las vacas estrujadas [par les vaches étripées]
cuando sus gritos llenan el valle [quand leurs cris emplissent la vallée]
donde el Hudson se emborracha con aceite. [où l'Hudson s'enivre d'huile]
Federico Garcia Lorca
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avons le don magique de sentir que nous existons.
Les cailloux et les trains, les tubercules et les fruits, ne savent rien de la douceur de l'air et de la caresse de l'eau, ni n'éprouvent l'émotion de se frotter les uns aux autres.
Mais pour nous, les animaux, la vie peut être belle.
Les guirlandes sont prêtes, et les couteaux, les cages, les gourdins, les cadeaux. Bientôt on goûtera plus fort qu'à l'habitude la joie d'être réunis. Bientôt pleuvront les coups plus fort qu'à l'habitude. Et les « paix sur la terre » et les « vœux de bonheur » vogueront tranquillement sur une mer de sang plus large qu'à l'habitude.
Beaucoup des animaux iront au grand festin : les vivants autour de la table et les morts posés au milieu. Car le monde, dit-on, est fait de deux moitiés, l'une née pour régner et l'autre pour périr.
Il y aura des sapins, des gentils Pères Noëls, des crèches avec un bœuf et un petit enfant. Le bœuf ne humera ni sapins ni paille. Il aura le souffle rauque de la bête qui s'affale ; la vie s'échappera par sa gorge tranchée ; ensuite les Pères Noël partageront sa dépouille avec les petits enfants.
Bientôt la Saint Sylvestre, la nuit des bons vivants aux ventres de cimetière.
Porcelets qu'on ampute de la queue et des dents, veaux traînés à genoux vers le dernier voyage, vous tous les mutilés, les emprisonnés, les asphyxiés, les gavés, les électrocutés, les éventrés, à quoi bon vous débattre ? Les bons vivants à la voix mélodieuse couvrent déjà vos cris. Ils parlent de terroir et de nappes à carreaux, chantent les bonnes mains calleuses (qui tiennent les tenailles, les embucs, les filets), et le talent immense d'exciter les papilles en cuisinant des morts. Ou tu parles comme eux ou tu es un peine-à-jouir. Pour être de la famille, il faut organiser...
Noël ou Nouvel an sans dinde, sans foie gras, sans saumon, sans homard, sans huîtres, sans gibier, sans mousse de canard, sans langouste, sans boudin blanc, sans caviar... il manquerait l'essentiel ! Avoir des invités et n'offrir point de viande, cela ne se fait pas. Voyons ce sont nos hôtes, il faut leur faire honneur, leur prouver notre estime, se montrer accueillants !
Macabre communion au prix d'un sacrifice. Vois combien je t'honore, j'ai immolé pour toi des victimes sans compter. Tu es bien mon égal, tu es digne comme moi de moissonner les vies de ceux de l'autre moitié.
En ces temps généreux, les plus pauvres des élus ne seront pas oubliés. Aux réveillons humanitaires, eux aussi recevront leur rondelle de foie gras. Puis on les renverra se geler dans les rues, tout oints de dignité.
Moi qui n'ai ni plumes, ni fourrure, ni écailles, je suis par ma figure de la race des saigneurs. Comme je voulais leur plaire, qu'ils m'acceptent parmi eux, j'ai fait mine de croire la fable des deux moitiés. Je savais tout comme eux savourer le goût du meurtre et rire grassement des cadavres exquis. Mais c'est trop cher payer ma place parmi les leurs.
J'aimerais encore qu'ils m'aiment et pouvoir les aimer, mais je vois trop clairement qu'ils écrasent de sang froid ceux de l'autre moitié, qui sont aussi les miens. Plus jamais je ne serai du côté des bourreaux. Le jour du grand festin, s'il n'y a que deux camps, je choisis l'autre côté.
Éventrez-moi vivante comme les autres esturgeonnes. Explosez-moi le foie comme aux autres canards. Arrachez mes testicules comme aux autres chapons. Ecartelez-moi comme les autres grenouilles. Ébouillantez-moi comme les autres homards. Que vos dents souriantes mettent ma chair en lambeaux comme celle des autres dindes, veaux, chevreuils et saumons.
Faut-il vraiment choisir entre le pire et le pire ? Rejoindre les suppliciés qui vont agoniser, abandonnés de tous ; ou bien les assassins qui poussent vers l'abattoir, la face ricanante qui déjà se pourlèche ?
Non, non, non, non !
Je dénonce le médiocre et lâche procédé de mépriser autrui pour mieux se rassurer sur sa propre importance. Je dénonce la communauté bâtie sur l'exclusion. On peut créer des liens autrement qu'en étant complices des mêmes crimes. Oublions l'odieux mythe du monde à deux moitiés, la sinistre machine à fabriquer le malheur.
Je veux qu'existent en vrai les Pères Noëls gentils, et la paix sur la terre, et la fraternité. Que puisse s'épanouir la chaleur animale et la joie d'exister des porcelets joueurs, des canards amoureux et des humains bavards.
Pour nous tous, les animaux, la vie peut être plus belle. Que commence enfin la fête pour de vrai,
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La tierra toda el sol y el mar[La terre entière, le soleil et la mer]
Son para aquellos que han sabido, [Sont pour ceux qui ont su]
Sentarse sobre los demàs. [Écraser les autres.]
Me lo decía mi abuelito, [Mon grand-père me le disait]
Me lo decía mi papà [Mon papa me le disait] Me lo dijeron muchas veces,
[Ils me l'ont dit beaucoup de fois]
Y lo he olvidado siempre màs. [Et moi je l'ai oublié toujours plus]
José Agustin Goytisolo