Le texte reproduit ci-après correspond à l’annexe 8 (pages 253 à 254) du livre L’INRA au secours du foie gras paru aux éditions Sentience en 2006.
Chaque année, en France, 700 millions de poulets sont abattus pour être consommés [1]. Plus des trois quarts d'entre eux sont élevés dans des conditions intensives, dans des bâtiments où ils sont enfermés [2] à très haute densité :
Source : Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF), 2000
Sur la base d'un rapport scientifique européen [3] publié en 2000, l'Union européenne prépare une directive [4] visant en particulier à limiter le nombre d'animaux autorisé par mètre carré. Les producteurs français de poulets s'opposent à ce projet [5] :
Si le projet de directive européenne sur le bien-être des poulets est adopté en l'état – avec l'obligation de ne pas élever plus de 30 kg de poids vif/m2 –, « c'est la mort de la filière du poulet français ! », a averti Christelle Le Maout, lors de la première assemblée générale de l'Association Nationale des Organisations de Production Avicole (Anopa) le 18 mars à Paris.
Gérard Le Boucher, « Directive “bien-être poulet“ : les organisations de production montent au créneau », Filières Avicoles, numéro 675, avril 2005, pages 6-7
Au lieu des 30 kg/m2, les producteurs français proposent que la nouvelle norme établisse une densité initiale de 42 kg/m2 :
L'Anopa propose de démarrer à une densité maximale (42 kg/m2) puis de descendre par paliers de 2 kg en cas d'anomalie constatée.
Armelle Puybasset, « L'Anopa s'inquiète du projet bien-être [6] », Réussir Aviculture, numéro 106, mai 2005, page 5
Coïncidence étonnante, la densité de 42 kg/m2 est précisément la densité moyenne actuellement pratiquée dans les élevages français :
Certains pays de la Communauté européenne appliquent déjà des densités maximales (36 kg/m2 en Suède, 38-40 kg/m2 au Danemark). En Europe du Sud, les températures élevées imposent une réduction de la densité à 32-34 kg/m2. La France, la Belgique et les Pays-Bas, qui représentent près du quart de la production européenne, ont des densités moyennes de 42 kg/m2.
Armelle Puybasset, « Le projet de directive bien-être avance d'un pas », Réussir Aviculture, numéro 108, juillet-août 2005, page 4
Le ministère français de l'agriculture cale sa position dans les instances européennes sur les exigences des producteurs :
Les 25 se sont opposés en particulier sur la densité des élevages, la Commission proposant une densité maximum de 38 kg de poulets par mètre carré. La France s'est portée en tête de la contestation, soulignant que le secteur avicole était déjà durement touché par la crise de la grippe aviaire. « Si certains pays veulent le faire (imposer de nouvelles normes d'élevage plus strictes, ndlr), qu'ils le fassent mais sans imposer de mesures au niveau communautaires », a estimé le ministre français de l'Agriculture Dominique Bussereau.
« Commission européenne - L'UE divisée sur le bien-être des animaux d'élevage [7] », dépêche AFP, 20 juin 2006
Les producteurs français contestent également les critères d'évaluation de l'état des animaux du projet de directive :
Il est ainsi prévu que le chargement en poulets ne pourra dépasser 30 kg par m2 et aller jusqu'à 38 kg […] que si l'élevage répond à certains critères techniques de résultats. D'une part, un taux de mortalité « conforme », et d'autre part, un taux de pododermatites peu élevé. Or, souligne Christelle Le Maout, la définition de ce critère pose beaucoup de questions. Il suffirait que le quart des poulets d'un échantillon de seulement 200 sujets, présente des lésions supérieures à 5mm aux pattes, pour que l'éleveur ne soit plus qualifié à produire à 38 kg/m2 ! Ce qui, inévitablement, condamnerait bon nombre de producteurs de poulets.
Gérard Le Boucher, op. cit.
« Selon les premières évaluations réalisées par les organismes de production, 90% des lots seraient non-conformes », s'alarme Christelle Le Maout.
Armelle Puybasset, « L'Anopa s'inquiète du projet bien-être », op. cit.
Ainsi, selon une responsable de la filière française elle-même, dans 90% des lots de poulets étudiés, plus de 25% des poulets ont des lésions graves aux pattes [8]. La filière propose donc… de remplacer ce critère d'évaluation par un autre qui soit « plus objectif » :
« Il est indéniable que la fréquence des lésions graves des pattes des poulets constitue un élément d'évaluation du bien-être », accorde André Lepeule, délégué de la Fédération des industries avicoles. « Mais il semble très risqué de limiter l'appréciation du bien-être des poulets de chair à ce seul critère. »
Armelle Puybasset, « Le projet de directive bien-être avance d'un pas », op. cit.
Elle [l'Anopa] suggère que le critère « pododermatite » soit remplacé par celui des ampoules de bréchet, plus objectif et moins difficile à évaluer.
Armelle Puybasset, « L'Anopa s'inquiète du projet bien-être », op. cit.
Les producteurs français demandent que les instituts de recherche soutiennent ces propositions :
L'Anopa souhaite que ces propositions soient approfondies en concertation avec les organisations syndicales de la production et de l'abattage, et bénéficient du concours actif des instituts de recherche (Inra, Itavi, Afssa).
Gérard Le Boucher, op. cit., souligné par nous
L'Institut technique de l'aviculture (ITAVI) répond à cette demande par la voix d'un de ses chercheurs en bien-être animal, Luc Mirabito :
Question : Le critère « nombre de lésions des pattes » est-il pertinent et suffisant ?
Luc Mirabito : La directive imposerait une densité d'élevage de trente kilos par mètre carré avec la possibilité de passer à trente-huit kilos, sous réserve du respect de certaines conditions, dont un taux réduit de lésions des pattes (ou de pododermatites). Il est irréaliste de ne tenir compte que de ce seul critère pour évaluer le bien-être des poulets. […]
Question : L'Itavi a démarré une étude d'observation des lésions à l'abattoir. Avez-vous des résultats ? […] Ces conclusions peuvent-elles contribuer à faire évoluer la directive ?
Luc Mirabito : […] L'étude en cours pourra peut-être aider la filière française ou l'administration à formuler de nouvelles propositions.
Armelle Puybasset, « Luc Mirabito, ingénieur ITAVI : La mesure du bien-être des poulets ne se résume pas à un seul critère », Réussir Aviculture, numéro 111, novembre 2005, page 10, souligné par nous
[1] Pour 2004 (résultats définitifs – France entière), on recense 693 590 000 abattages contrôlés de poulets et coquelets ; ministère de l'agriculture – Service central des enquêtes et études statistiques, Agreste Conjoncture – Aviculture, numéro spécial, juin 2006, page 18, http://agreste.agriculture.gouv.fr/....
Pour 2005 (résultats provisoires – France métropolitaine), on recense 718 950 000 abattages contrôlés de poulets, y compris coquelets (poussins) ; ministère de l'agriculture – Service central des enquêtes et études statistiques, Agreste Conjoncture – Aviculture, numéro 2, février 2006, page 6, http://agreste.agriculture.gouv.fr/....
[2] En 2004, 78% des poulets élevés en France étaient enfermés dans des bâtiments sans aucun accès à l'extérieur : « Les élevages de poulets avec accès à un parcours disposent de 41 millions de places en 2004. Ils regroupent 22% des capacités de production du secteur. [...] Le champ de l'enquête représente, dans le recensement agricole 2000 [...] 93% des poulets de chair » ; ministère de l'agriculture - Service central des enquêtes et études statistiques, « Les éleveurs adaptent leurs bâtiments à leurs productions », Agreste Primeur, numéro 165, juillet 2005, pages 1-4, http://agreste.agriculture.gouv.fr/....
[3] Comité scientifique de la santé et du bien-être des animaux de la Commission européenne, The Welfare of Chickens kept for Meat Production (Broilers), 2000, http://europa.eu.int/comm/food/fs/s....
[5] Proposition de directive du Conseil de la Commission européenne fixant des règles minimales de protection des poulets destinés à la production de viande, 2005, http://europa.eu.int/comm/food/anim....
[8] Le terme de « lésions graves de la pelote plantaire » est employé page 27 de l'annexe 4 de la Proposition de directive du Conseil de la Commission européenne fixant des règles minimales de protection des poulets destinés à la production de viande, op. cit.