When I woke up this morning
You were on my mind
You were on my mind
I got troubles, whoa-oh
I got worries, whoa-oh
I got wounds to bind
Dimanche 1er mai 2005. Isabeau [1] a toujours aimé les jardins. De préférence, les jardins des autres. Toute petite, elle passait ses journées chez le voisin, rentrant chez nous seulement pour manger et dormir. Plus tard, quand on habitait à Boisséjour, elle avait choisi de squatter le jardin de la plus jolie maison du village, jusqu'au jour où quelque chose l'a effrayée. Elle a couru vers la grande route, et s'est faite renverser. Deux semaines plus tard, elle est rentrée à la maison, la patte fracturée soudée à un angle peu convenable, mais vivante.
À Clermont, les trois autres chats restent sagement sur la terrasse ou se promènent sur les toits des garages. Dès son premier permis de sortir, Isabeau a repéré son jardin secret. C'est un vieux jardin abandonné, où les tulipes et les herbes folles poussent avec une énergie désespérée autour d'un pêcher qui n'a pas donné son dernier fruit.
Quand j'ai vu qu'elle n'était pas là pour son petit déjeuner, j'ai commencé à la chercher. Pour se rendre dans « son » jardin, elle n'a qu'à traverser le toit, sauter dans une cour, suivre une allée, sauter une clôture et hop ! elle y est. Pour moi c'est un peu plus compliqué. Faire le tour du pâté de maisons, pousser la porte (heureusement pas verrouillée) d'un immeuble, traverser le rez-de-chaussée, sortir dans la cour et puis suivre l'allée, tout en appelant Isabeau… Pas de réponse.
J'ai fait des affichettes et les ai placées dans toutes les boîtes à lettres des maisons autour du jardin. Puis j'ai essayé de ne pas trop penser à elle.
Vers 23 heures je suis sortie avec la chienne. Au lieu d'aller vers le parc, nous avons marché vers le jardin d'Isabeau, puis nous avons traversé la rue. Anaïs avait compris quelque chose, elle a marché devant, je l'ai suivie. On a tourné à droite et on a suivi une autre rue jusqu'au bout. Les maisons silencieuses n'ont pas répondu quand j'ai appelé. Puis, doucement, vaguement, un miaulement. On a dirigé nos pas vers l'église Jeanne d'Arc, et c'était là, au-dessus de nos têtes, qu'on a entendu son « rrraourrhgh ». Isabeau était assise sur un haut mur en pierre, de toute évidence heureuse de nous voir, mais trop peureuse pour descendre toute seule. J'ai dû grimper sur un pylône EDF pour l'attraper.
On est rentrés à la maison, un peu comme Pierre et le Loup, d'abord Anaïs suivie par moi avec Isabeau dans les bras.
Aujourd'hui la maîtresse de Linda m'a dit que ce jardin est trop dangereux pour les chats. Les propriétaires ont déjà fait un nettoyage ethnique de toute une colonie de chats sauvages qui y habitaient, il ne faut pas qu'Isabeau y retourne. Pas facile.
Dimanche 8 mai 2005. Isabeau est restée deux jours à la maison après son sauvetage. C'était le week end de grande chaleur avec de la pluie de temps en temps. Elle a pris des bains de soleil sur la terrasse, elle a mangé à sa faim, elle a fait la sieste sur mon lit. Le dimanche soir, on a dîné sur la terrasse. Sachant qu'il y avait des grains de maïs dans la salade, elle s'est dressée sur ses pattes arrière, ses pattes de devant à côté de mon assiette. J'ai aligné des grains de maïs sur la table pour qu'elle les attrape avec sa patte, c'était son truc à elle. Après, quand tout le monde est rentré dans l'appartement, elle n'a pas voulu. Impossible de l'attraper. Elle est partie pour la dernière fois à travers les toits des garages.
Oui, nous avons essayé de la trouver, mais cette fois sans grand espoir. Je suis retournée le lendemain à l'endroit où Anaïs l'avait retrouvée vendredi dernier. C'était le jardin du presbytère. Le curé m'a invitée à entrer pour la chercher, mais elle n'était pas là. On a échangé quelques mots, j'avais l'impression que le curé voulait prolonger la conversation. « Pourriez-vous dire une prière pour elle ? » ai-je osé demander. L'enseignement du XVIIe siècle qu'il avait reçu était trop fort pour lui. « Peut-être pas, quand même » a-t-il répondu.
Si un dieu nous a aidé, c'est Ganesh. Le mercredi, je me suis rendue au festival de l'Inde à Chardenoux. On n'avait pas encore retrouvé Isabeau, mais j'ai pensé que la méditation pourrait m'aider. Le vendredi après-midi, il y avait une cérémonie au temple de Ganesh qui a duré quatre heures. La pluie s'était arrêtée, on était assis parterre sous les arbres dans la forêt. Le brahmane, torse nu malgré le froid, récitait les prières et chantait sans s'arrêter. Chaque bénédiction — du feu, de l'eau, des épices, des fleurs, des fruits— je l'ai reçue et je l'ai donnée au nom d'Isabeau. Je pensais à elle si fort que mes larmes ruisselaient par terre.
À 19h30 j'ai quitté la cérémonie, bien qu'elle ne fût pas complètement terminée. À 19h30, à quelques centaines de kilomètres du temple de Ganesh, mon fils a reçu un coup de téléphone d'un homme qui venait de trouver Isabeau dans son jardin. Ce n'était pas juste à côté de la maison, Harry a mis 5 minutes à courir la distance, et il court vite. Le jardin était sur le boulevard Jean Jaurès, le périphérique de Clermont, où non seulement les chats mais aussi les humains se font renverser régulièrement. Elle était vivante. La tenant dans ses bras, il a couru chez nous pour prendre la voiture et un quart d'heure plus tard Isabeau est arrivée chez notre vétérinaire. Son verdict était sans appel, il fallait l'euthanasier tout de suite. Elle avait une jaunisse résultant des blessures internes, impossible de la sauver. Elle avait été renversée plusieurs jours auparavant, peut-être même le dimanche soir juste après avoir quitté la maison.
Le lendemain je suis rentrée en train. Nous avons enterré Isabeau dans le jardin de Maryse et Jean, nos amis et anciens voisins de Boisséjour. Elle avait passé beaucoup d'heures paisibles dans ce jardin, aussi bien que dans la maison où elle se sentait chez elle. Elle dort à côté d'Eurydice, qui était venue chez nous pour mourir d'une leucose, mais qui a fini par vivre encore quelques années chez Maryse. Eurydice au moins a eu une fin tranquille.
[1] Source : http://redcow123.blogspot.com/.