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CA n°43 – L’Industrie du bien : philanthropie, altruisme efficace et altruisme efficace animalier – août 2019

Introduction

Un livre dont le vrai sujet est l’altruisme efficace animalier mais où il sera néanmoins question de pas mal d’autres choses…

L’altruisme efficace animalier (AEA) compte très peu d’années d’existence. Il a déjà un certain nombre de réalisations à son actif, et constitue désormais l’un des pôles qui contribuent à la réflexion du mouvement animaliste sur les objectifs à privilégier et les moyens de les atteindre. Ce volume est né de la volonté de mieux le connaître. Pourtant, on n’y viendra que dans la troisième partie de cet ouvrage. En effet, pour comprendre dans quelles conditions l’AEA a pu naître et grandir, il faut au préalable s’intéresser au terreau et au climat qui ont permis son développement.

J’annonce le plan comme à l’école

La première partie, « Philanthropie », plante le décor qui préexiste à l’apparition de l’altruisme efficace (AE). Le contexte économique est celui de la concentration d’une part croissante du patrimoine entre les mains d’une étroite frange d’ultra-riches, qui s’accompagne d’un renforcement de leur rôle dans la philanthropie (chapitre 1). Cette phase de l’activité caritative, qui débute dans les années 1980, a été nommée aux États-Unis « philanthrocapitalisme ». Elle se caractérise par un discours et des pratiques que l’on découvrira au chapitre 2, parmi lesquelles des emprunts au monde de l’entreprise et de la finance : le souci d’organiser la philanthropie aussi rigoureusement que l’action à but lucratif, l’attention portée au rendement social de l’investissement charitable, la volonté d’évaluer et quantifier les résultats.

Le deuxième partie traite de l’AE, qui n’existe que depuis les années 2010 en tant que mouvement constitué. Il a emprunté des manières de faire et de dire qui sont celles de la philanthropie étasunienne des dernières décennies, mais présente aussi des traits qui lui sont propres. On commencera par évoquer son histoire, les organisations phares qui le composent, et le profil sociologique de ses participants (chapitre 3). Une partie des idées, concepts et vocabulaire typiques de l’AE seront vus au chapitre 4. On abordera ensuite, sous plusieurs angles, le fait qu’il s’agit d’un mouvement qui s’inscrit entièrement dans l’éthique utilitariste (chapitres 5 à 7).

La troisième partie est consacrée à l’altruisme efficace animalier (AEA). Le chapitre 8 présente les organisations de l’AE dédiées à la cause animale et les domaines dans lesquels elles interviennent. Les chapitres 9 et 10 s’attachent à des aspects de l’AEA qui traduisent son appartenance à l’AE en général : le goût pour la quantification (chap. 9), et les valeurs ou la philosophie qui l’animent (chap. 10). Dans le chapitre 11, l’AEA est saisi comme partie prenante du mouvement animaliste au sens large. On verra, à travers quelques exemples, qu’il dialogue avec d’autres composantes de ce mouvement et reprend à son compte des questionnements qui le traversent.

Les deux derniers chapitres abordent des thèmes sur lesquels l’AEA s’est investi assez récemment, et sur lesquels son activité va sans doute aller en grandissant : la condition des animaux sauvages (chapitre 12) et de nouveaux fronts dans l’action en faveur des animaux d’élevage (chapitre 13).

Pourquoi L’Industrie du bien ?

Un mot sur les raisons qui m’ont conduite à intituler ce volume L’Industrie du bien. À vrai dire, le sous-titre – Philanthropie, altruisme efficace et altruisme efficace animalier – indique plus clairement le contenu de l’ouvrage. Mais un titre se doit d’être court. Or, la polysémie du mot industrie fait qu’il permet d’annoncer en condensé ce dont il va être question. Au sens ancien, l’industrie désigne l’habileté à faire quelque chose, le savoir-faire. Quand les économistes des 18e et 19e siècles parlent des raisons qui conduisent les personnes à diriger leur industrie vers tel ou tel secteur, ils pensent aux travailleurs cherchant à tirer un revenu de l’emploi de leur force de travail et de leur qualification. Or, il sera question dans ce volume de travailleurs, rémunérés ou bénévoles, cherchant à faire le bien avec savoir-faire, avec qualification, et de conceptions du travail bien fait dans l’action charitable. Dans la langue d’aujourd’hui, l’industrie désigne le secteur produisant des objets manufacturés, ce qui n’est nullement le sujet ici. Mais le mot s’emploie aussi au sens large pour désigner n’importe quelle activité organisée menée à grande échelle. Ce sens-là convient tout à fait à la philanthropie qui, dans quelques pays du moins, constitue un secteur d’activité important par les ressources qu’elle mobilise et par son impact dans les domaines où elle intervient. Accessoirement, on trouve parmi les philanthropes bon nombre de personnalités qui sont par ailleurs des capitaines d’industrie.

Une approche descriptive

Dans certains chapitres, des débats suscités par la philanthropie moderne ou par l’AE seront évoqués. Cependant, ce livre n’a pas vocation à prescrire ce qu’il faut en penser (« Pour ou contre ? »). Il s’agit plutôt d’une exploration de type « Qu’est-ce que c’est ? ».

La question du « pour ou contre » dépasse mes moyens. Pendant quelques mois, j’ai parcouru des écrits (pas tous !) portant sur ces thèmes. Cela ne fait pas de moi une personne qui domine (surplombe) le sujet au point d’être plus apte à poser un jugement que la foule d’intervenants qui œuvrent dans ces domaines ou les analysent. De plus, on rencontre en chemin de bonnes vielles questions telles que celles du capitalisme, de la décision en situation d’incertitude, ou de la nature du bien. Je ne vais pas introduire dans le texte des digressions géantes sur ce qui en a été dit, dans un sens ou un autre, depuis quelques siècles, et je n’ai pas à offrir à leur propos d’analyses surpassant toutes celles déjà présentes sur le marché.

Surtout, être « pour ou contre » la philanthropie moderne ou l’AE n’a pas grand sens ni intérêt. Il ne s’agit pas de blocs monolithiques dont les traits seraient arrêtés une fois pour toutes. On n’est pas non plus face à un choix binaire : tout prendre ou tout jeter. Et l’option de prendre les commandes pour orienter la chose à notre goût n’est pas disponible. On ne nous invitera pas à piloter la philanthropie mondiale. Même nos chances de décrocher un emploi dans une association de l’AE sont minimes. Par contre, mieux comprendre de quoi il s’agit peut aider chacun, avec la situation et les convictions qui sont les siennes, à savoir où puiser dans cet ensemble les travaux, contacts ou conseils qui lui sont utiles. On peut décider d’unir ses forces à des acteurs de l’AE sur des dossiers particuliers, ou à l’inverse prendre acte que dans tel domaine, notre approche est incompatible avec la leur. On peut aussi apprendre qu’ils n’interviennent pas du tout sur tel sujet qui nous motive, et donc qu’en la matière, ce n’est pas chez eux qu’il faut chercher l’inspiration.

Une émanation du monde anglophone

Il existe évidemment d’autres sources que ce numéro des Cahiers pour s’informer en français sur l’AE. On peut visiter le site et la page Facebook de l’association Altruisme Efficace France. Quelques publications d’auteurs appartenant à ce mouvement ont été traduites. On ne peut que recommander de les lire. Cependant, le présent ouvrage n’est pas – je l’espère – redondant avec ces sources. Les écrits de présentation de l’AE par lui-même sont destinés à promouvoir le mouvement. Rien de plus normal. Cependant, puisque les altruistes efficaces aiment les analogies économiques, ils ne seront pas choqués par celle-ci : pour s’informer sur un produit, il vaut mieux ne pas lire uniquement ce qu’en dit le fabriquant. Et surtout, pour l’essentiel, ce n’est pas en « Francophonie » que les choses se passent. Malgré son internationalisation, l’AE reste un mouvement principalement anglo-saxon. Il est indéniable qu’il s’efforce de s’exporter vers le reste du monde, et que cette recherche d’ouverture porte ses fruits. De même, il est incontestable qu’il a une volonté de penser les problèmes à l’échelle mondiale. Cependant, c’est du monde anglophone que vient l’essentiel de la production intellectuelle de l’AE. C’est là que se trouvent ses organisations les plus importantes. C’est là qu’on trouve les analyses, études, controverses autour de l’AE et, plus généralement, autour de la philanthropie. Les usages et la puissance de la philanthropie étasunienne marquent le mouvement.

Pour débutants et personnes moyennement informées

Pour les lecteurs qui sont déjà de fins connaisseurs de l’AE, ce numéro des Cahiers n’apportera pas grand-chose. Il s’adresse surtout aux personnes qui ignorent de quoi il s’agit, et à celles qui en ont simplement capté certains thèmes en survolant des commentaires sur les réseaux sociaux. Sur les forums animalistes francophones, les échanges portent surtout, me semble-t-il, sur des idées ou des « stratégies ». On lit des conversations sur le jugement à porter suite à tel événement, ou sur tel mode d’action : des conversations où des intervenants qui se sentent proches de l’AE se déclarent conséquentialistes et font volontiers appel aux notions de rationalité, d’efficacité ou d’analyse coût-avantage. Or, l’AE ce sont certes des idées – et il en sera question dans ce qui suit – mais c’est aussi des ressources, des personnes, des réseaux de relations, des organisations, des programmes… Ces autres aspects importent tout autant pour comprendre ce qui est fait concrètement et la façon dont c’est fait. Après avoir parcouru ce volume, il devrait être plus facile aux lecteurs qui découvrent le sujet de faire le tri entre ce qui les intéresse ou pas dans cet ensemble, et de savoir où chercher pour s’informer plus avant.

 
 

Ont participé à la confection du n° 43 des CA (outre l’autrice)

Marceline Pauly a assuré seule l’intégralité de la relecture de ce long document, qui lui est parvenu par morceaux, dans le désordre, tout au long du mois de juillet 2019. Merci à elle pour sa disponibilité, et pour la patience dont elle a fait preuve dans l’exercice ingrat de repérage des fautes résiduelles. Les messages qu’elle m’a adressés à cette occasion ont fait régner la bonne humeur pendant la finalisation de ce volume. Ce fut l’occasion pour moi de découvrir son entourage, notamment les moustiques qu’elle accueille généreusement par temps de canicule.

troOn a réalisé la mise en ligne du n° 43, ainsi que son édition au format epub. Merci à lui d’avoir travaillé dur en période estivale. Sa diligence a permis que cet ouvrage soit à la disposition des lecteurs relativement peu de temps après l’achèvement de sa rédaction.

 

 

 

Le n° 43 a été rendu public dans son intégralité sur le site des Cahiers le 12 août 2019.

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