On aura peut-être noté un petit changement dans le sous-titre des Cahiers antispécistes, devenu « Réflexion et action pour l'égalité animale » au lieu de « ...pour la libération animale ».
De plus en plus d'antispécistes en France utilisent implicitement une catégorisation [*] qui, bien sûr, les différencie de la défense animale (cf. p.28), mais aussi distingue au sein du mouvement d'une part les organisations de « libération animale », qui se donnent des objectifs plus ou moins explicitement abolitionnistes (en finir avec les exploitations) tout en s'appuyant sur des stratégies souvent spécistes, et d'autre part des organisations pour l'égalité animale, qui estiment impossible d'en finir avec l'exploitation sans éradiquer culturellement l'idéologie spéciste et sans remplacer l'humanisme et les « droits de l'homme » par l'égalité animale. La première tendance est alors vue comme manquant de cohérence, comme « n'allant pas jusqu'au bout ».
Nous-mêmes pensons qu'un mouvement qui utilise des arguments spécistes, qui ne parle pas explicitement de l'égalité animale comme objectif, qui ne profite pas des occasions offertes pour promouvoir cette idée et au contraire noie souvent la notion d'intérêt des individus sensibles dans un fond naturaliste jamais critiqué, ne peut être clairement antispéciste et former un point d'appui solide pour la lutte pour l'égalité animale. Le combat contre le spécisme implique de développer des positions réelles contre le spécisme, et non de se contenter de déclarations ponctuelles d'antispécisme noyées dans un flot spéciste.
Aujourd'hui des associations se réclamant de la libération animale sans prôner pour autant l'égalité animale, ainsi qu'une partie de la défense animale plus traditionnelle, se repositionnent peu à peu sur des objectifs plus ou moins radicalement abolitionnistes, sans modifier leur discours ni politiser d'aucune façon la question de l'exploitation animale, qu'elles maintiennent au contraire dans l'orbite culturelle naturaliste-réactionnaire. Elles commencent à critiquer la consommation de viande et à se référer timidement aux notions de spécisme ou de libération animale. Libération animale, défense animale, la différence devient difficile à faire : par exemple, Aequalis Animal en France, Gaïa en Belgique, Animal Aid et l'ALF en Angleterre (cf. p.59), malgré leurs objectifs affichés, ne sont d'aucun secours direct dans la lutte pour changer le statut moral, social et politique des animaux, pour politiser la question du spécisme, pour réclamer l'extension de l'égalité au delà des frontières de l'espèce humaine. De cela elles ne parlent jamais, et leurs actions n'ont jamais pour but de populariser ces idées.
À l'inverse, quelques organisations (ou collectifs, publications, individu(e)s...), dont nous sommes, se placent explicitement sur ce terrain et luttent avec un discours éthique et politique en accord avec leur but clairement présenté, pour un monde non spéciste, d'égalité animale (égalité de considération des intérêts de tou(te)s les individu(e)s sensibles), donc débarrassé de toutes les oppressions et exploitations.
Nous pensons que ce courant a tout intérêt à mettre en avant cette notion d'égalité animale qui dit bien ce qu'elle veut dire. Non pour le simple plaisir de marquer sa différence, mais pour mettre en relief et faire clairement entendre son message. D'où le changement apporté à notre sous-titre
[*] Cf. Léo Vidal, « Stérilisation politique ?! », Sablero (journal antispéciste nantais), n.0 (1995).