Ce numéro des Cahiers est pour une grande part consacré à une réflexion autour du livre de Florence Burgat paru il y a deux ans, Animal Mon Prochain ; et plus généralement aux thèmes de débat qu'il a suscité au sein de la rédaction, concernant en particulier les oppositions - vraies ou fausses - entre raison et sentiments, entre justice et pitié. Outre trois textes qui traitent directement de cet ouvrage, d'Yves Bonnardel (p. 7), d'Estiva Reus (p. 21) et de moi-même (p. 41), on trouvera un article du philosophe américain Brian Luke (p. 61), pour qui la lutte de libération animale doit se fonder en premier lieu sur l'appel à nos sentiments, à condition de débusquer les mécanismes de tous ordres qui, habituellement, paralysent notre sensibilité face à la souffrance des animaux non humains.
On notera la diversité des points de vue exprimés. Je pense que les Cahiers, plus que par le passé, doivent devenir un lieu de débat, s'écartant plus librement d'une stricte orthodoxie qui fut sans doute nécessaire tant que l'antispécisme militant se réduisait en France à une poignée de personnes. Aujourd'hui par contre - comme en témoigne entre autres l'existence de la revue L'Égalité animale [1] qui sortira bientôt son numéro 5, ainsi que la Caravane pour l'égalité qui parcourra la France au début du mois prochain (voir p. 5), le mouvement antispéciste a crû en nombre et en maturité. En même temps, je crois nécessaire, autant que par le passé, l'existence d'(au moins) une revue de discussion théorique de base. Au rythme de deux numéros par an, que nous essaierons de maintenir, nous continuerons donc à chercher à tenir ce rôle.
La réflexion antispéciste peut aussi s'accommoder d'une pluralité de thèmes et de modes d'expression. Quelques autres textes, dont celui de Sandra Di Muzio (p. 50), en témoignent déjà. Tel est aussi le sens de l'appel à contributions que l'on trouvera page 6.
L'opposition de fond qui existe entre l'antispécisme et l'écologie, et plus généralement le naturalisme, est un thème que nous avons abordé plusieurs fois déjà. J'ai cru bon de noter, cependant, dans le texte que l'on trouvera page 54, que cette opposition n'empêche pas l'existence de convergences avec les motivations profondes d'au moins bon nombre de militantes écologistes.
Pour épais qu'il soit, ce numéro pèche par certaines insuffisances. Nous n'avons pas fait de compte-rendu du camping antispéciste qui s'est tenu en Bretagne en août dernier ; on pourra se reporter pour cela au numéro de LEA. Nous n'avons pas non plus parlé de la manifestation du 6 mars dernier devant le Salon de l'agriculture à Paris - qui s'est terminée au poste, pour une dizaine de militantes. Enfin, nous n'avons pas réussi à rendre compte suffisamment d'un certain nombre d'ouvrages et d'articles parus récemment, en particulier sur la question des grands singes, et qui témoignent, à mon avis, d'une évolution dans l'opinion.
Ce numéro est plus épais que d'habitude, et (j'espère) imprimé de façon plus professionnelle. Nous avons pourtant décidé de le maintenir au tarif habituel de numéro simple. Nous n'avons pas actuellement de difficultés financières, grâce en particulier aux contributions d'un certain nombre de personnes, mais il est possible que nous soyons amenées à augmenter quelque peu nos tarifs. Que l'on n'hésite donc pas à nous gratifier d'abonnements de soutien !
[1] LEA, appt 411, 8 rue Georges Le Bigot, 94800 Villejuif.