Plus d'un an sans les Cahiers ! Nous avons effectivement eu du mal à sortir ce numéro, non par manque de textes, mais plutôt à cause de leur abondance, et de notre difficulté à gérer celle-ci. Du coup il s'agit d'un numéro plus épais que de coutume. Nous avons choisi de l'appeler double, et aussi, de le faire imprimer, pour la première fois, de façon professionnelle. Le prix s'en ressent, et aussi les finances des Cahiers. Nous risquons d'avoir plusieurs milliers de francs de déficit, d'autant plus que le nombre de nos abonnées a, du fait de notre parution irrégulière, chuté. Appel donc aux bonnes volontés, abonnantes et/ou soutenantes ! Et merci aux personnes qui ont déjà contribué.
Nous avons choisi de devenir semestriels, plutôt que (très théoriquement, ces deux dernières années) trimestriels. C'est là un rythme que nous devrions maintenant pouvoir tenir. Il est important aussi d'accroître la diffusion. Le format actuel doit faciliter le dépôt en librairie. Nous faisons appel là encore aux bonnes volontés.
Le fait d'être semestriels n'implique pas une baisse d'activité militante. Nous pensons aussi consacrer de l'énergie à la recherche d'une maison d'édition pour la publication d'une anthologie des textes parus dans les Cahiers.
Enfin, nous avons changé de sous-titre, pour des raisons de clarté que nous expliquons page 8.
Au cours de cette année se sont passées bien des choses ; on trouvera la trace du développement du mouvement en bien des pages de ce numéro. En particulier, les Cahiers ne sont plus la seule revue antispéciste ; quatre numéros sont déjà parus de Pour l'égalité animale, un trimestriel de qualité qui aborde de nombreux sujets de fond. Nous en rendons compte page 24. Notons que Pour l'égalité animale aussi a des problèmes d'argent - qu'on se le dise !
Sont parus également deux livres importants pour la question animale. Le premier est de Florence Burgat, Animal Mon Prochain, chez Odile Jacob. Nous n'avons pas eu le temps d'en parler longuement, et on trouvera seulement ici un compte-rendu (p.30). La même auteure a par ailleurs publié deux « Que sais-je ? » sur la question (voir p.28), et fait de fréquentes interventions dans les médias (France-Culture...).
Le deuxième ouvrage important sorti cette année en France est la traduction française de Practical Ethics de Peter Singer (Questions d'éthique pratique, Bayard Éditions), dont nous parlons brièvement page 58 (on en trouvera un compte-rendu plus complet dans le numéro 4 de Pour l'égalité animale). Cet ouvrage, parce qu'il remet en cause les présupposés du spécisme de façon peut-être plus frontale encore que La Libération animale du même auteur, est à la base d'une violente polémique en Allemagne. Avec quelques amies nous en avons fait les frais l'été dernier en Espagne, et nos mésaventures vous sont comptées à partir de la page 31. Il ne s'agissait d'ailleurs pas que de mésaventures ; l'adoption par cette « Deuxième Intergalactique » en laquelle se reconnaît une bonne partie des mouvements radicaux mondiaux d'un texte condamnant l'oppression animale et prônant le végétarisme (p.33) représente, malgré son caractère quelque peu artificiel, une avancée significative.
L'antispécisme s'est développé depuis plusieurs années en France sans que cette polémique allemande anti-singerienne ne vienne trop troubler le paysage ; cela ne pouvait durer éternellement, et il va maintenant falloir l'affronter. Ceci d'autant plus qu'il n'y a aucune raison de laisser la gauche allemande dans les griffes de l'idéologie naturaliste-spéciste. Les idées radicales d'égalité animale ont vocation internationale - le spécisme n'a pas de frontières, l'antispécisme non plus. C'est dans cet esprit qu'a été lancé un appel pour une grande, et première, manifestation internationale pour l'égalité animale, qui aura lieu à Strasbourg le 9 mai prochain. De cet événement important nous parlons en page 65. Nous vous convions toutes bien sûr à y être, voire, si possible, à agir dès à présent pour en assurer le succès (collage d'affiches...).
Un autre philosophe important de la libération animale est James Rachels, que nous avons mentionné plusieurs fois, mais dont nous n'avions encore jamais publié de texte. Dans celui que l'on trouvera à partir de la page 9, il défend la nécessité de tirer les conséquences sur le plan éthique du darwinisme. On nous dira, bien sûr, qu'une théorie scientifique ne peut avoir de conséquences éthiques ; c'est peut-être vrai dans l'absolu, mais notons que l'on insiste sur ce point surtout depuis que notre conception factuelle du monde n'apparaît plus à même de soutenir l'éthique religieuse du christianisme. Jusqu'à Darwin, on pensait que l'être humain avait été créé spécialement par Dieu dans le jardin d'Éden, et on ne se gênait pas pour en tirer des conclusions éthiques, en particulier en soutien au spécisme. Aujourd'hui, ce soutien n'existe plus, même si la plupart des philosophes ne semblent pas s'en être aperçu()es...
Si l'humanité comme espèce n'est pas née de la main de Dieu, on veut cependant de toute force que chaque individue humaine soit née sous ses auspices - ou sous celles de ses variantes laïcisées que sont Nature, et Hasard. Cette farouche volonté est à la base de tout le bruit fait autour de la perspective du clonage humain. De doctes scientifiques nous ont expliqué que notre vie n'a pas de valeur si Dieu ou Nature n'ont pas présidé à notre conception. Cette affaire permet de mettre à nu quelques-uns des étranges rouages de la pensée humaniste, c'est pourquoi nous en parlons page 46.
L'idée d'une « place spéciale de l'Homme dans la Création » est également à la base de beaucoup de nos conceptions, souvent implicites, sur la prédation. Yves Bonnardel revient page 49 sur ce sujet, déjà abordé dans le numéro précédent.
Vincent Berraud, du groupe L'Égalité animale, nous a à ce propos fait parvenir une critique, que l'on trouvera page 86. Nous sommes d'accord avec lui. Il n'y a aucune raison de penser qu'un monde plus juste exclurait la beauté, la richesse, la poésie.
L'idéologie spéciste, ce ne sont malheureusement pas seulement des idées. Sa traduction concrète la plus immédiate est que nous mangeons les non-humains. Notre société les élève pour les tuer. Un documentaire vidéo récent, dont Clémentine Guyard rend compte en page 26, montre justement l'animal derrière la viande, l'animal se faisant tuer. Cette situation, l'élevage en vue du meurtre, se traduit immanquablement par un mépris et une violence intenses tout au cours de leur vie. Philippe Laporte, dans un article que nous publions page 74, l'expose de façon convaincante, s'appuyant en particulier sur les résultats spectaculaires d'une expérience de psychologie qui mérite d'être connue. On trouvera aussi, page 77, des extraits du livre de Samir Mejri, Victimes silencieuses, qui n'illustrent que trop bien ce propos. Nous vous en conseillons la lecture ; ne serait-ce que pour savoir dans quelle civilisation nous vivons.