11 septembre 2008
Cela fait maintenant une semaine qu'on m'a libéré de prison. Ces cent quatre jours en cellule sont enfin terminés. Il est vraiment choquant de constater jusqu'où peut aller la répression policière pour bloquer un mouvement d'opposition légitime et efficace, uniquement parce que ses revendications en faveur des animaux – soutenues par une majorité de la population – sont contraires aux intérêts d'une puissante minorité.
Mille mercis à chacun d'entre vous pour tout ce que vous avez fait pour moi. Les nombreux témoignages de solidarité et de soutien, que nous, les prisonniers, avons reçus de la communauté internationale œuvrant pour les droits des animaux, m'ont profondément touché.
On m'a libéré sans me rendre les clés de ma maison, de ma voiture ou de mon bureau. On ne m'a pas rendu non plus mon ordinateur, ni un accès à mon compte bancaire, ni même ma montre. Sans le chaleureux soutien d'hommes et de femmes du monde entier, j'aurais connu des nuits difficiles la semaine dernière sans un sou en poche. Notre bureau et les bureaux de six autres associations pour les droits des animaux sont toujours vides. Jusqu'à présent rien ne nous a été restitué : ni nos caméras vidéos, ni nos appareils photo, ni nos ordinateurs ni notre fichier des membres, ni nos archives de photos et de films, et aucun livre comptable. L'intention est claire : puisqu'il a fallu nous libérer, l'étape suivante est de nous priver de tout notre matériel afin de réduire VGT (Verein Gegen Tierfabriken) au silence et de nous empêcher d'agir.
Laissez-moi vous rappeler brièvement comment on en est arrivé là.
En 1997, nous avons développé en Autriche l'idée de campagnes offensives – mais entièrement légales – comprenant toute la palette des désobéissances civiles, afin qu'elles débouchent sur des réformes en profondeur. Les objectifs des campagnes furent choisis avec pragmatisme : ils devaient être atteignables et avoir le soutien d'une majorité de l'électorat. Le but était d'obtenir de véritables changements - et pas seulement symboliques - c'est-à-dire des changements qui provoqueraient des différences notables pour les animaux concernés et pour les personnes qui les exploitent.
En 1998, l'élevage d'animaux à fourrure fut interdit et quarante-trois fermes d'élevage de ces animaux à fourrure furent obligées de fermer. En 2002, une loi fut proposée pour prohiber la présence d'animaux sauvages dans les cirques. En 2004, la campagne pour interdire l'encagement – cages enrichies incluses – de poules pondeuses battait son plein. C'est alors que pour la première fois de puissants lobbies prirent conscience de la vigueur de nos pressions. Lors de deux élections régionales et d'une élection présidentielle, nous avons confronté le parti conservateur au pouvoir, qui était le seul parti opposé à l'interdiction de l'élevage en batterie. Le porte-parole du parti conservateur en charge de l'agriculture dans les régions du sud réagit si violemment à notre rassemblement, qu'il m'attaqua sur le podium durant mon discours et me frappa au visage de ses poings. Les conservateurs ont perdu les trois élections et ont finalement cédé sous la pression. Après cela, les menaces de mort des fermiers et de leurs représentants devinrent partie intégrante de nos vies. Et les services secrets reçurent des directives nous concernant. Pas une de nos manifestations ne se déroula sans la présence de policiers en civil qui enregistraient nos paroles, nous observaient et nous filmaient.
Mais le ministère de l'intérieur alla encore plus loin. La plupart de nos manifestations furent interdites. On nous condamna à payer de lourdes amendes pour les infractions les plus mineures et le ministère mit en garde les écoles contre notre « radicalisme ». En outre, en 2005, les services secrets pénétrèrent dans nos bureaux pour obtenir des informations comptables et essayer de nous inculper pour fraude fiscale. Nous avons en notre possession des comptes rendus de réunions entre les services secrets et notre opposant politique. Durant celles-ci, ils ont parlé des stratégies à utiliser contre nos manifestations et nos actions et se sont arrangés pour mettre en place des campagnes media coordonnées dans le but de nous dénigrer. Un porte-parole des services secrets a d'ailleurs dit que les militants de la cause animale sont « la plus grande menace à la sécurité nationale » et le ministre de l'intérieur a publiquement affirmé que VGT est une organisation violente.
Lorsqu'en deux occasions, des actes criminels ont endommagé la voiture et la boutique d'un marchand de fourrure, les services secrets l'ont grandement aidé à médiatiser ces dégâts pour tendre un piège aux organisations de protection animale comme VGT. Le but étant de préparer l'opinion publique aux futurs assauts de la police. Aussi, contrairement à l'esprit de la constitution, les services secrets ont conseillé à notre opposant politique de déclarer des manifestations aux endroits où nous voulions faire les nôtres, afin de donner à la police une raison de les interdire puisque, sur le papier, le lieu était déjà pris. Leurs pseudo-manifestations n'ont d'ailleurs jamais eu lieu.
Quand toutes ces ruses échouèrent, il fut décidé de passer la vitesse supérieure. À la fin 2006, les propriétaires du groupe de distribution de prêt à porter Kleider Bauer, des représentants du parti conservateur, ainsi que de hauts gradés des forces de police se sont réunis pour s'entretenir de la meilleure façon de détruire VGT. Nous avons entre nos mains les minutes de ces réunions dont la lecture est effroyable. Il y est dit qu'il n'y a aucune preuve d'agissements criminels et que l'interdiction de nos manifestations ne peut être maintenue, et que par conséquent une unité de police spéciale, composée de trente-deux personnes des services secrets, de la police criminelle et des forces anti-terroristes, a été constituée dans le seul et unique but de produire de fausses preuves à charge.
Cette unité spéciale lança l'opération d'espionnage de militants politiques la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pendant presque deux ans, deux maisons individuelles, un café qui servait de lieu de rendez-vous ainsi que les bureaux de VGT furent écoutés par des micros cachés. Les conversations téléphoniques et les courriels de plus de trente personnes furent surveillés. Pour suivre nos déplacements, des balises GPS furent posées sur deux voitures, dont la mienne. Dix-sept personnes furent suivies et observées 24 heures sur 24. Les entrées de trois maisons furent filmées par des caméras vidéos posées à cet effet. Et des agents sous couverture furent envoyés chez VGT pour nous infiltrer. En outre, plus d'une douzaine de sites considérés comme des cibles potentielles pour des militants des droits des animaux furent placés sous surveillance permanente.
Pour justifier cette opération, les services secrets dressèrent une liste de deux cent quarante délits – dommages aux biens et incendies criminels (y compris l'arrachage d'affiches illégales annonçant des cirques) – des treize dernières années, qui auraient pu avoir un rapport avec les droits des animaux, et prétendirent qu'une seule organisation criminelle internationale était responsable de tout cela. Pour alourdir l'addition, des cas d'incendies accidentels furent présentés comme des incendies criminels allumés par les militants de la cause animale. De plus, les dommages causés par l'utilisation d'acide butyrique contre une boutique Kleider Bauer furent évalués à 500 000 euros. Par la suite, cela donna lieu à une action en justice, car la compagnie d'assurance établit clairement que le montant réel des dommages était cinquante fois inférieur à ce chiffre. Vraisemblablement, ce fut un autre tour de passe-passe des services secrets pour faire outrageusement gonfler le montant des dommages afin de justifier l'assaut policier violent qui devait survenir plus tard.
Puisqu'en mai 2008, cette gigantesque opération n'avait pas réussi à rassembler le début d'une preuve d'une quelconque activité criminelle, le ministère de l'intérieur décida de pousser la terreur policière un cran plus loin. Le 21 mai 2008, au petit matin, vingt-trois escouades de trente à cinquante hommes chacune lancèrent l'assaut sur vingt-trois domiciles et bureaux de militants pour les droits des animaux Les portes furent enfoncées et des forces de police masquées encerclèrent les personnes allongées dans leur lit, leur pointant un pistolet sur la tête. Puis la police retourna les lieux. Puisque la loi contre le crime organisé, qui fut utilisée dans ce cas pour justifier l'opération, stipule qu'au moins dix membres sont nécessaires pour permettre l'application de cette loi, dix personnes exactement furent placées en détention provisoire et presque quarante autres furent arrêtées et questionnées, parfois pendant dix heures.
Comme la police et le ministère public n'avaient absolument aucune preuve contre nous, ils parlèrent aux médias puis aux juges dans le but d'allonger notre période de détention provisoire, et prétendirent avoir de très nombreuses preuves qui devaient néanmoins rester secrètes puisque l'opération et les investigations étaient en cours.
Les juges on obéi et ont continuellement prolongé la détention provisoire, sans établir de chefs d'inculpation, sur la base du soupçon d'appartenance à une organisation criminelle. Ce soupçon fut motivé par les faits suivants :
Cette liste grotesque, qui soi-disant prouverait une forte présomption de culpabilité quant à notre appartenance à un groupe criminel organisé, fut sérieusement avancée par les juges pour prolonger notre détention provisoire. Aucun rapport ne fut trouvé entre les dix personnes en détention et un quelconque délit mais les juges ont affirmé que cela n'était pas nécessaire. Les infractions furent perpétrées avec le même état d'esprit – faire avancer les droits des animaux – et ceci fut jugé suffisant. La simple existence de délits commis quelque part à un moment donné par des personnes sans aucun rapport avec les accusés et inconnues d'eux, fut utilisée pour transformer des organisations légales en supposées organisations criminelles. Le fait que les délits en question n'étaient qu'un prétexte a été prouvé par la révélation de comptes rendus internes indiquant que quatre semaines après le début de notre incarcération, l'unité de police en charge de l'enquête s'était réunie pour discuter des méthodes à employer pour causer davantage de torts à VGT. Un certain nombre d'idées furent avancées et une autre réunion sur le même sujet, qui devait se tenir quatre jours plus tard, fut décidée. A l'évidence, la priorité des forces de police n'était pas d'élucider quelque crime que ce soit mais bien de trouver la meilleure façon de détruire VGT.
Mais la police et le Ministère public ont perdu la bataille médiatique et ne se sont pas attirés les faveurs du public. Une vague de protestations internationales, sans précédent, devant les représentations diplomatiques autrichiennes dans de nombreux pays a embarrassé le gouvernement autrichien. Tout au long des cent quatre jours d'emprisonnement, des manifestations quotidiennes se sont tenues devant les prisons ainsi que des veillées et protestations, dont une marche qui a réuni huit cents personnes. Les partis écologiste et social-démocrate se sont montrés de plus en plus critiques envers l'action de la police. Un très grand nombre de lettres fut envoyé à la ministre de la Justice ainsi qu'à d'autres politiciens, aux chefs de l'exécutif et à des journaux. Finalement, le parti écologiste décida de me proposer comme candidat aux prochaines élections parlementaires. À ce moment-là, il n'y avait toujours aucun signe d'une victoire juridique permettant la libération des prisonniers et nous attendons toujours l'avis de la cour suprême autrichienne sur la légalité de notre détention provisoire, qui sera rendu dans deux à quatre semaines. Parallèlement, la pression politique montait toujours, ce qui provoqua notre libération le 2 septembre 2008, après cent quatre jours d'emprisonnement.
Notre libération ne fut pas justifiée par l'absence de preuves. Même si cela est clairement le cas. Notre libération fut justifiée en disant que le temps déjà passé en prison serait hors de proportion avec la peine de prison qui pourrait être prononcée si nous étions déclarés coupables.
Un fort étrange coup… pour sauver la face. Au lieu de dire, simplement, qu'il n'y avait aucune preuve, il fut fait référence à une peine de prison, alors qu'un condamné pour appartenance au crime organisé encourt une peine maximum de cinq ans et celui pour incendie volontaire une peine de dix ans.
Cependant, l'affaire n'est pas encore close. Le mal est fait et la menace de l'article 278a sur la criminalité organisée reste suspendue, comme une épée de Damoclès, au dessus de la tête de n'importe quel militant politique. Nous sommes toujours accusés même si nous ne sommes pas mis en examen. Cependant, plus cette situation se prolonge, et plus cela permet à la police de clamer que nous sommes des suspects sérieux, ce qu'elle ne se prive pas de faire dans les médias. Un procès politique serait suivi par les médias, et alors ces preuves ridicules n'auraient pas l'ombre d'une chance. Afin de protéger le militantisme pour les droits des animaux et plus généralement le militantisme politique en Autriche, trois ambitions doivent être réalisées. D'abord, les responsables de cette terreur policière doivent rendre des comptes sur ce qu'ils ont fait. Ensuite, les dommages infligés doivent donner lieu à réparation. Et enfin, l'article 278a doit être abrogé.
Il y a exactement quarante ans ans, les chars de l'Union Soviétique pénétraient en Tchécoslovaquie pour mettre fin, avec violence, au Printemps de Prague, le nouveau système socialiste à visage humain.
Les dissidents furent emprisonnés et les jeunes pousses d'une nouvelle société furent violemment déracinées. Cette attaque sur les libertés fondamentales avait été, à juste titre, critiquée dans le monde entier. Les démocraties occidentales s'enorgueillissaient d'être différentes et de défendre la liberté. Mais notre cas leur a donné tort. De nouvelles lois concernant notamment l'interdiction de la fourrure et l'élevage en batterie, ainsi que le retrait de leurs rayons, par un nombre croissant de commerces, de la fourrure et des œufs de poules en batterie, prouvaient l'éclosion d'un nouvel état d'esprit à l'égard des animaux. La pensée dissidente sur les droits des animaux pénétrait de plus en plus de couches de la société. Mais les tanks d'un système « démocratique » l'écrasèrent et emprisonnèrent les penseurs critiques les plus actifs.
Oui, nous pouvons librement nous exprimer, nous associer et manifester. Mais ces libertés cessent quand elles sont utilisées pour effectivement changer la société. Vous pouvez donner votre opinion tant que peu de gens vous écoutent et agissent en conséquence. Vous pouvez manifester tant que cela n'entraîne pas de réductions des profits. Et vous pouvez librement créer une association tant que vous vous cantonnez à discuter et que vos actions n'ont pas d'influence significative sur la société. L'Autriche compte très peu d'infractions commises par des militants pour les droits des animaux mais l'Autriche compte de très nombreuses avancées liées aux droits des animaux. Et l'Autriche a connu la plus importante et violente opération de police contre des militants pour les droits des animaux jamais commise dans le monde. Est-ce que le rapport n'est pas évident ?
Des documents internes révèlent clairement que des cadres supérieurs des services secrets considèrent qu'en dehors du Parlement, les effets des campagnes politiques menacent la sécurité nationale. Seul le Parlement a la légitimité pour diriger la société grâce à la majorité électorale. Les pressions politiques de groupes extérieurs au Parlement ne sont par principe pas justifiées, et donc considérées comme terroristes.
Si le militantisme social influe sensiblement sur les profits d'une puissante coterie économique, les services secrets sont utilisés pour faire taire ce mouvement. Cependant, en réalité, les groupes de pression extra-parlementaires sont le contre-pouvoir le plus significatif aux abus d'autorité commis par une coterie influente. Ils sont les forces vives de la démocratie et les garde-fous de la sécurité nationale. Ce sont les services secrets qui représentent la plus grande menace pour notre constitution.
Mais jusqu'à présent, la violence policière a eu des résultats contraires à ceux escomptés. Il y a maintenant plus de personnes engagées que jamais. Le nouveau mouvement social en faveur des droits des animaux est pris au sérieux. On en parle tout autour du globe. Et nous avons le soutien grandissant de l'opinion publique. Depuis qu'ils m'ont relâché, je me suis fait aborder maintes et maintes fois par des passants qui m'ont félicité et encouragé, et beaucoup ont même mis de l'argent dans ma main. Des gens, que pour la plupart je ne connais pas, m'ont acheté un nouvel ordinateur, une montre, un téléphone mobile et un vélo, et m'ont même proposé un appartement pour quelque temps. Le marchand de vélos m'a donné un cadenas de cent euros en signe de solidarité.
Solidaire, le mouvement s'est dressé derrière nous, les prisonniers. Maintenant, ce mouvement qui nous appartient à tous, est plus uni et plus décidé à s'entraider et coopérer que jamais. Et les évènements prouvent, sans aucun doute, que notre stratégie en faveur des droits des animaux est, sur le long terme, une approche efficace. Si les réformes que nous avons réussi à faire passer avaient été véritablement appréciées par les industries animales, ils n'auraient pas envoyé leurs hommes de main pour nous rouer de coups.
Cette année, nos campagnes se sont peut-être vu infliger un handicap. Mais lorsque nous aurons remporté la victoire sur ce dossier, nous avancerons en déployant plus d'énergie que jamais auparavant. Je suis déterminé à mener ceci jusqu'au bout et j'ai hâte de voir se concrétiser, dans les années à venir, de nouvelles avancés pour les droits des animaux.
Vienne le 11 septembre 2008