Jane Hendy est australienne. Installée en France depuis de nombreuses années, elle milite pour les animaux à travers l’association « Les Vaches Rouges » (Clermont-Ferrand), dont elle est la principale animatrice. Elle est aussi l’auteur d’un blog (redcow123.blogspot.com) où elle relate des actions, des réflexions, des rencontres, des histoires d’animaux. Des histoires souvent tristes, comme dans la vie, puisque ce sont des histoires vraies. Le récit ci-dessous est extrait de son blog.
La Rédaction
En préparant la Semaine mondiale de la libération des animaux de laboratoire, on a voulu apporter un peu de couleur locale.
Près de notre ville, il y a un centre de recherche agricole (INRA) très connu pour ses animaux à hublots : c'est-à-dire des vaches, des moutons et des cochons qui se baladent avec une canule dans le ventre, pour que les techniciens puissent faire des prélèvements à tout moment. Il y avait aussi des lamas et des chevaux, mais ils sont passés à l'abattoir il y a quelques années.
Ce matin, j'ai téléphoné au responsable du bien-être animal de ce centre. La personne qui a répondu à cette description a insisté sur le fait qu'il était simple chercheur, et ne pouvait pas parler pour tous les scientifiques employés sur le site. Hmmm. J'ai expliqué que je voulais acheter une maison là-haut, près du centre, et que je voulais m'assurer qu'aucun mal n'était fait aux animaux, on entend des histoires vous savez...
« On n'est pas des sadiques, tous ceux qui travaillent avec les animaux ici ont un permis délivré par le Comité d'éthique de la Direction générale de l'alimentation. Comme tous les chercheurs dans n'importe quel laboratoire en France. »
Ici commence ma détresse. Ce type se fichait complètement de moi, et de l'éthique. Il avait une de ces voix que les anglais appellent « unctious » - onctueuse - comme un pasteur protestant qui ne parle que du seigneur. Et moi, qui connais ce centre depuis 12 ans, je devais jouer le rôle d'une anglaise « amie des bêtes » qui voulait acheter une maison de campagne.
À ma question : « Pourquoi continuer ces expériences après tant d'années ? », il a répondu :
« - Vous savez, les choses évoluent. Surtout, c'est pour leur bien-être.
- Pardon, le bien-être de qui ? Des animaux ?
- Oui, ça nous aide à mieux les nourrir. »
Et c'est là où j'ai commencé à ne plus jouer mon rôle : « Donc, pourquoi ne pas mettre une canule dans le ventre de vos enfants, comme ça vous saurez qu'ils sont toujours bien nourris ? ».
Ma question ne lui a pas plu, c'est avec difficulté que j'ai réussi à le calmer. Il a recommencé à parler des canules : « Finalement, c'est le “end-user“ qui demande ça ».
Il a mis les guillemets lui-même, quelle grande culture ! Cependant, en anglais, on ne dit pas souvent end-user. Je pense comprendre ce qu'il veut dire : c'est le consommateur, le petit client des grands supermarchés qui insiste pour que des employés d'un centre de recherche torturent des animaux. Heureusement, cette fois je n'ai pas réagi, et il a pu continuer à parler du bonheur des animaux sous sa protection. Tout le monde finit à l'abattoir, bien sûr, car on ne peut pas trop s'éloigner du modèle de l'élevage actuel.
« - À part les canules, faites-vous d'autres recherches sur les animaux ?
- Moi personnellement, je travaille sur les émotions. »
Comme il ne voulait pas trop en dire, c'est moi qui l'ai aidé :
« - Par exemple, la souffrance de la séparation de la vache d'avec son veau ?
- Oui, par exemple, c'est très important. Vous savez, il n'y a pas de souffrance. Avec les animaux de troupeau, peut-être que oui. Mais avec ces vaches qui, depuis des générations, sont élevées pour donner leur lait dans une étable, il n'y a pas de problème. On laisse le veau quelques heures pour qu'il puisse boire du colostrum, et puis on l'enlève.
- Là, vous m'apprenez quelque chose. Je pensais que même dans les élevages intensifs c'était quelques jours. Et dans les élevages bio, je croyais que la vache pouvait garder son petit quelques semaines.
- Ah, ça c'est dangereux du point de vue de la contamination ! Si le lait de la vache est destiné à la consommation humaine, c'est mieux qu'elle n'ait pas trop de contacts avec le veau… »
Par miracle, je n'ai pas trop parlé, j'ai beaucoup écouté, des choses déprimantes. Dans ce centre, il y a aussi des rats et des souris, il ne pouvait pas m'expliquer exactement ce qu'on faisait avec eux. Oui, je pourrais venir les voir, il y a une journée portes ouvertes tous les deux ans. Non, on ne peut pas laisser entrer n'importe qui, vous pouvez demander au président du centre...
Il m'a donné le numéro direct du président, on s'est dit au revoir très poliment.
C'est tout. Je pense que je préfère les maquignons, les paysans, les tueurs en abattoir, plutôt que ce type qui a fait des études et sait parler d'éthique sans rien comprendre.