Depuis le ventre moelleux et net le ronronnement atteint mes oreilles et de là irradie tout le corps, mon corps / moi-même presque ronronne / détente réciproque / Intimité forte secrète / Personne ne peut le croire et le comprendre de dehors / Qui n'a pas eu la chance de le vivre peut facilement le nier / Habitude invétérée / corps de chat sur ventre d'humain / ronronnements caresses léchouillis et baisers / yeux mi-clos ou qui s'ouvrent en une langoureuse indolente intermittence / entente complice / douce fusionnelle et muette / comme seul existe en un amour vrai / et dans l'ancestrale étreinte imprégnée de nourriture / Plaisir diffus / éparpillé sur les cinq sens / Ceci est le paradis / Absence d'inquiétudes fébriles / absence de dissonances / respiration régulière / âme qui sourit / Quelle abondance de puissante affection peut jaillir d'un chat... Oh oui, certainement plus que de certains humains pauvres et plats / Affection effective / Richesse d'un chat : douceur calme élégance tendresse et indéniable beauté / Capacité d'affection, en effet //
Sous terre / souris et souriceaux / Enchevêtrement d'effusions / Supériorité des mammifères / Coups de langue rassurants les soins la protection la chaleur / Tout un monde aussi réel que caché / fouillis de pattes et de museaux / Le plaisir fébrile de donner et de recevoir la survie / l'ancestral plaisir imprégné de nourriture / Ceci est le paradis... oui, tant que corps chaud de mère perdure, toujours garantit la vie, simplement, le plaisir d'être au monde / La maman souris sort, sort malgré le danger qu'elle sent pourtant / Peut-être est-ce la chaleur excessive de ces journées qui l'oblige à s'extraire, en quête d'oxygène //
Polichinelle sort / (quel nom joyeux !) / Polichinelle : les chats aimés ont toujours un nom / Inattendue et terrible / Prise soudaine tragique / violente / violence ( « en traître » dirait-on s'il s'agissait d'humains) / Griffes énormes déconcertantes / Masse de muscles velus / lourde masse qui écrase et enserre / Terreur / Cœur affolé / qui bat trop fort de ne plus devoir battre jamais / Angoisse / Douleur / Désarroi total / Force dont on ne peut se défendre / Lutte perdue d'avance / Sang / Tremblements / Pour finir : un petit tas de viscères et rien d'autre / plus rien d'autre / sur l'herbe odorante //
Les cinq souriceaux venus à la vie quelques jours plus tôt commencent malgré eux déjà à prendre congé de cette brève existence, ce plaisir trompeur/ sous terre / Le ciel ils n'auront pas eu le temps de le voir / Élancements croissants de la faim / désarroi nu / Aucun salut dans la pensée dans l'explication / aucune capacité à raisonner à sauvegarder / Ils saluent sans le savoir la vie / contre leur gré / désespérés / quelques lambeaux subsistent d'attente obstinée de nourriture / emportés par l'absence d'aliments / Élancements de faim de plus en plus enragés / De plus en plus forts et en même temps de petit à petit plus faibles / Cinq petits corps humides vibrants s'en vont / S'en vont avec à la bouche ce désir puissant de nourriture / pendant que maman est devenue nourriture //
L'affection entre Polichinelle et moi est intacte (Intacte ? Ou lézardée d'impuissante amertume ?) / ronronnements encore et caresses encore / Perplexité déconcertée pourtant / prenant acte désarmée de combien ce chat peut être affectueux et terrible pourtant / Terrible comme le Ruanda ou la traite des enfants, et les viols, ou notre désespérante incapacité à nous aimer //
Et l'affection entre moi-même et quelques-uns de mes semblables reste intacte (Intacte ? Ou lézardée d'amertume désolée ?) / ces semblables que j'ai, qui ne me sont pas semblables / qui s'alimentent de veaux qui ont pleuré séparés tôt de leur mère / qui s'en alimentent encore, avec pourtant tellement plus de conscience morale que Polichinelle //