Des agriculteurs parlent de leur expérience
L'agriculture végane est un mode de production agricole pratiqué sans aucun intrant d'origine animale, respectueux de l'environnement, qui cherche à être favorable aux animaux sauvages et à leur nuire le moins possible.
À l'heure où cette question primordiale – nourrir toujours plus d'humains qui se comptent désormais par milliards – taraude économistes, politiques, humanitaires, agriculteurs et environnementalistes, savoir que l'agriculture végane est une réponse crédible est déconcertant de simplicité. Si elle s'avère légèrement moins productive que d'autres techniques agricoles, elle possède l'énorme avantage d'être pérenne, ce qui n'est pas le cas de l'agriculture conventionnelle qui détruit et stérilise les sols tout en dépendant énormément du pétrole, bien sûr pour les machines mais aussi pour la fabrication des engrais et autres pesticides. De plus, « moins productive » ne veut pas dire moins rentable pour l'agriculteur, ce dernier ayant moins de dépenses à effectuer pour ses cultures.
Techniquement, l'agriculture végane repose sur l'enrichissement permanent du sol (couverture végétale, paillage, engrais verts, BRF [1]) et la formation d'une couche d'humus, c'est-à-dire sur le maintien d'un sol vivant et aéré, sur la rotation des cultures, la sélection des semences (adaptées à la région) et, pourquoi pas, l'utilisation de purins et de compost végétaux.
Elle refuse de recourir aux intrants d'origine animale si fréquemment utilisés par ailleurs et particulièrement en agriculture biologique, ce qui soutient les élevages et les abattoirs qui valorisent ainsi les fumiers, le sang, les cornes, les os ou les plumes. L'agriculture végane cherche de plus à protéger les animaux sauvages, ou au moins à leur être la moins néfaste possible, par exemple par la création de zones refuges, par le maintien des haies qui, en plus de retenir les sols et l'eau, leur fournissent nourriture et habitat, ou par le fait de pratiquer les opérations de fauchage moins rapidement afin de laisser aux animaux la possibilité de fuir vers les zones refuge.
L'agriculture végane s'inscrit ainsi dans une vision globale et à long terme du monde, une vision où les humains sauraient enfin partager espace et ressources avec les autres animaux, sans les exploiter et en tentant de les aider. Encore marginale et trop peu connue, l'agriculture végane n'en constitue pas moins une pièce maîtresse dans l'élaboration d'un monde meilleur pour tous les êtres sentients, un monde sans élevage, ce qui mettrait fin à l'asservissement d'innombrables animaux, et libérerait aussi des millions d'hectares de terres arables aujourd'hui accaparés par cette pratique mortifère et polluante – autant d'espaces rendus disponibles pour pratiquer l'agriculture végane, planter des forêts, créer des parcs et des refuges pour les animaux.
Dans ma brochure Agriculture Végane, publiée en juin 2013 par l'Association Végétarienne de France, j'expose l'essentiel des techniques et présente l'éthique et les perspectives de ce mode de culture. Dans les deux entretiens qui suivent, et qui ont été réalisés par Bérénice Riaux, Marie, Pascal et Thierry, respectivement maraîchers et céréalier, expliquent leur cheminement jusqu'à l'agriculture végane et en détaillent plus concrètement la pratique. Je leur laisse la parole.
Clèm Guyard
Début octobre 2013, à Soudan, en Loire Atlantique, me voilà chez Marie et Pascal pour discuter tranquillement, en plein champ, d'une nouvelle forme d'agriculture. Une agriculture qui prend en compte les animaux et qui refuse la dépendance aux élevages et aux abattoirs.
Marie et Pascal sont maraîchers, on peut aussi dire qu'ils sont paysans-cuisiniers.
Bérénice Riaux
Pascal. C'est un mode de culture basé sur une production entièrement végétale qui n'utilise aucun intrant d'origine animale provenant des élevages comme le fumier, le guano [2] ou provenant des abattoirs comme la poudre d'os, de sang, la farine de plumes. Ces intrants sont largement utilisés en agriculture conventionnelle et en agriculture biologique.
L'agriculture végétalienne c'est aussi prendre en considération notre environnement, le préserver, voire en créer un nouveau pour que la faune sauvage puisse s'y développer et être préservée. Ce mode d'agriculture n'est pas que de la production, il y a aussi une volonté d'être autonome, de ne pas être dépendant des élevages et de l'agro-industrie. On refuse les intrants d'origine animale car les animaux sont exploités, c'est un boycott des produits liés à l'élevage. C'est politique.
Marie. L'activité a commencé début 2010, on est deux à produire des légumes et des légumineuses sur un sol limoneux argileux et profond, sur une surface de 2 hectares de plein champ, 500 m² de cultures sous abris froids et 60 m² de serre à plants. Les légumineuses occupent le quart de la surface, soit 5 000 m². On nourrit 70 foyers par semaine en moyenne via un marché hebdomadaire tout près d'ici. Pour les haricots secs, on démarre une vente en AMAP, on a fait le choix de la vente directe le plus localement possible pour limiter les déplacements et favoriser une agriculture locale.
Nous sommes sous mention Nature&Progrès, c'est un cahier des charges qui s'approche de l'agriculture bio mais qui a, en plus, une charte sur le fonctionnement de la ferme ; ça va au-delà du contrôle des intrants, donc on est un peu assimilé à la bio même si on n'est pas labellisé AB.
Pascal. C'est un jardin de 2 500 m² avec lequel on était en autosuffisance, on s'est fait la main comme ça, puis on a projeté d'agrandir et de développer ce mode cultural.
Marie. Jamais.
Pascal. Oui, en agriculture vivrière et sans intrants d'origine animale, 5 000 m² en montagne donc en milieu forestier très favorable à la biodiversité.
Marie. On l'a choisie sans la choisir en fait. Nous sommes végétaliens, ça nous paraissait logique de ne pas utiliser de fumier. On a commencé à cultiver sans trop y réfléchir, on ne savait pas que ce mode de culture existait, puis on a fait des recherches et on a découvert que l'agriculture végétalienne était valorisée dans d'autres pays, nous n'étions donc pas tout seuls ! Quand on a regardé le cahier des charges des Anglais [3], on s'est dit : « c'est génial ! Ça correspond exactement à nos pratiques. »
Pascal. Oui c'est ça, c'était spontané en quelque sorte, c'était pas une contrainte par rapport à un cahier des charges, c'était d'ordre pratique et logique. Plus tard, on a rencontré un autre producteur en grandes cultures, on s'est rendu compte qu'on avait les mêmes pratiques, on s'est dit : « il y en a même un à 10 km d'ici ». (rires)
Maintenant, quand on nous parle de notre façon de cultiver on dit qu'on suit le cahier des charges des Anglais de Vegan Organic Network (VON).
Pascal. C'est une ligne de conduite avec des restrictions et des recommandations pour une agriculture biovégétalienne, ça permet d'éviter des éventuels travers. Par exemple, c'est maintenir des haies, favoriser la faune sauvage, remettre en place un écosystème, etc.
Marie. L'agriculture végétalienne ne s'adresse pas qu'aux végétaliens, elle s'adresse aux personnes qui ont envie d'être cohérentes avec leurs idées. En bio, ils sont obligés d'utiliser du fumier conventionnel car le fumier issu de l'agriculture bio n'existe pas ou presque pas puisque ce sont des élevages extensifs avec des animaux qui sont souvent dehors, le peu de fumier récupéré c'est pour l'exploitant. Quand on achète du fumier, ça provient d'élevages intensifs. Ça peut être une réelle solution pour ne pas dépendre de l'agriculture intensive et de l'agro-industrie.
Marie. Zéro amendement en plein champ. On favorise la vie du sol, on entretient sa matière organique (humus), on le dégrade le moins possible, on essaie d'utiliser des techniques assez douces mais c'est pas toujours évident sur des grandes surfaces, on ne peut pas tout faire à la main puisque cette activité on l'a développée pour en vivre, c'est une activité économique donc c'est pas viable de travailler à la main, alors on s'est mécanisés.
Pascal. On favorise les couverts végétaux. Dès qu'une culture est terminée, on ne laisse jamais le sol à nu, un couvert végétal s'y installe spontanément, on l'entretient et avant qu'il graine on le coupe et toutes ces coupes vont composter et ré-apporter de la matière organique. C'est le principe des engrais verts, après une culture, tu sèmes un engrais vert puis tu le coupes et tu vas le réincorporer au sol, ça va apporter de l'azote, du carbone et en fonctionnant avec des blocs de rotation et en réincorporant de la matière régulièrement, on entretient la vie du sol et l'humus qui va nourrir le sol.
Il y a aussi une part importante dédiée aux légumineuses, qui ont la capacité de fixer l'azote présent dans l'air et de le rendre disponible dans le sol pour les cultures suivantes.
Pascal. Pour l'instant nous n'avons pas semé d'engrais vert car il y a une végétation spontanée qui pousse, on préfère favoriser cette végétation pour garder un sol équilibré, le problème qui se pose avec ce système, c'est qu'il y a beaucoup de graminées, ce sont des plantes difficiles à mélanger au sol. Pour les cultures suivantes, c'est pas pratique pour redémarrer dessus.
Marie. On cultive sur une ancienne prairie, notre sol est chargé en graines. On va semer des engrais verts pour étouffer les graminées et ça va permettre de reprendre le sol au printemps plus facilement, on va sûrement semer de la phacélie, de la vesse, du seigle et du trèfle, c'est en fonction du précédent cultural.
On gyrobroie et on laisse composter sur place. Par exemple, quand on récolte les carottes, on va couper les fanes directement dans le champ et les laisser par terre, d'ailleurs tous les déchets des cultures on les laisse au sol, dans le champ.
Marie. On est en planches permanentes [4], une des techniques de la permaculture, très peu d'interventions sur le sol, et en amendement c'est du compost 100 % végétal une fois par an, au printemps, avant l'implantation des cultures estivales qui ont besoin de pas mal d'azote par rapport aux hivernales.
Pascal. Pour un ordre d'idée, on s'est fait livrer 10 tonnes de compost végétal, ça va couvrir trois années de production.
Pascal. En plein champ, au printemps, on a notre couvert végétal, on va le broyer, on va attendre quelques temps que ça se décompose puis, idéalement, on va passer un léger coup de rota (fraise fixée derrière un tracteur) pour alléger le sol, on va déchiqueter la végétation pour la réincorporer au sol en surface (sur 20 cm environ), on va griffer le sol pour l'ameublir puis, s'il y a besoin d'avoir un lit de semence, on repasse le rota, sinon on fait un coup de vibroculteur : c'est comme un grand râteau mécanisé. On fait parfois un faux labour [5]pour incorporer les graminées, puis passage du rota (pour enfouir le couvert végétal sur 5 cm), ensuite on passe un décompacteur qui permet d'aérer le sol pour qu'il soit cultivable, et là c'est déjà possible de cultiver. La qualité du lit de semence est donc en fonction de ce qu'on va semer, des petites ou des grosses graines.
Marie. Par la suite, les interventions peuvent être le paillage mais qui s'est avéré compliqué et gourmand en temps, on l'a donc suspendu pour l'instant, le binage avec tracteur ou au sarcloir manuel. La plantation des cultures se fait en grande majorité en semis direct. Côté entretien, c'est désherbage manuel, passage à la bineuse et au sarcloir.
À chaque début de saison, on fait un plan de culture. On regarde celui de l'année précédente, pour savoir ce qui était où, et ça permet de tout décaler pour que les cultures ne se retrouvent pas là où elles étaient les années précédentes : c'est pour éviter que les auxiliaires [6] non désirables présents dans cette culture ne s'y réinstallent, ça limite les maladies, et du coup ça limite les interventions.
Marie. Trouver du terreau, vraiment. Il y a toujours des matières animales intégrées. Alors, on n'utilise plus de terreau. On fait nos semis soit en direct soit en terrine ou en plaque et dans ces cas- là on utilise du compost 100 % végétal. Ça fonctionne pas comme le terreau car c'est plus séchant, mais pour le développement des plantes c'est très bien, on est satisfaits.
Pascal. Il y a plusieurs systèmes de production, certains un peu à la mode où des producteurs vont acheter leurs plants à telle boîte, acheter leur terreau à telle autre boîte, acheter des bâches plastiques pour moins avoir à désherber donc moins de main d'œuvre. C'est un système que nous n'avons pas choisi car on a envie de gérer notre production de A à Z, de ne pas dépendre des autres.
Pascal. Actuellement non, car tu ne peux pas connaître la provenance exacte de tous les intrants qu'un producteur de plants va utiliser donc tu n'as aucun moyen de contrôle sur ce qui s'est passé en amont.
Marie. Même en racine nue, tu ne sauras pas dans quoi la plante a poussé à moins de s'arranger avec un producteur en agriculture végétalienne qui fasse des plants pour plusieurs producteurs mais ça n'existe pas, pour l'instant.
Marie. C'est comme du fumier conventionnel quelque part, difficile de savoir exactement ce qui s'y cache, d'un point de vue sanitaire même s'il y a des analyses, ça reste une pollution pour les cultures, l'homme ingurgite des quantités d'antibiotiques, d'antidépresseurs, etc. On ne va pas remplacer un fumier de vache par un fumier humain, il ne faut pas avoir peur de cultiver sans déjections, c'est important de montrer et démontrer que ce système basé sur les rotations et sur l'utilisation de compost végétal se suffit en lui-même.
Pascal. Je suis végétalien et je n'ai pas envie de consommer des légumes qui ont poussé dans les matières fécales d'un omnivore ! Il y a quelque chose qui cloche, quelque chose qui s'est déconnecté de nouveau.
Pascal. Il faut développer une agriculture de proximité avec des petites et moyennes installations pour nourrir localement les habitants et ne pas développer les grosses installations qui vont être en monoculture pour produire plus et du coup il n'y aura plus de biodiversité. Ces grosses infrastructures devront écouler ce qu'elles ont produit et auront recours aux longs trajets, et les prix de la nourriture s'en ressentiront.
Marie. Et il y aussi la qualité nutritive qui ne sera pas la même. Si ton produit a été une semaine en chambre froide, il n'aura pas les mêmes vitamines et minéraux que le produit que tu auras acheté au marché la veille. C'est nécessaire de recevoir une bonne alimentation. Le fait d'avoir choisi de produire des légumineuses, c'est aussi pour proposer une alimentation équilibrée. La plupart des gens ne pensent qu'aux protéines animales, on se doit de produire de la protéine végétale pour casser les fausses idées sur les protéines.
Si le village de Soudan (2 000 habitants) ne se nourrissait que de légumes et de légumineuses, il faudrait 10 maraîchers comme nous.
Marie. On vend sur le marché et du coup on a une grande diversité de produits proposés sur notre étalage. On ne produit que des légumes de saison, certains vont être forcés sous abris froids non chauffés. C'est un choix d'avoir beaucoup de diversité, par exemple, 4 variétés de pomme de terre, 30 de tomates, on produit aussi des légumes oubliés comme la tétragone ou l'arroche [7], mais c'est aussi parce que ça nous amuse ! En grandes parcelles, il y a les choux, poireaux, haricots secs, légumes racines, mâche, salades, jeunes pousses, une gamme la plus large possible.
Pascal. Nature&Progrès s'est amusé à calculer le nombre de variétés cultivées et on en a 150 sur l'année ! On ne veut pas s'ennuyer dans nos cultures, notre activité doit être ludique, et d'avoir une large gamme de légumes c'est aussi donner envie d'en manger, et de végétaliser son assiette !
Marie. Des renards, beaucoup d'oiseaux, des chevreuils, des rongeurs, des lapins... C'est difficile de savoir qui est là car, par exemple, le renard on ne le voit jamais, on voit que ses traces. En ce moment, on sait qu'il mange des mûres (rires).
Pascal. Le fait d'avoir favorisé les haies a réellement boosté la population d'auxiliaires qui était quasi invisible quand on est arrivés. Côté mammifères, on est dans une campagne très agricole avec très peu d'espaces réservés pour les animaux, sauf pour les animaux d'élevage...
Pascal. Déjà, on essaie de favoriser les haies. Ce sont de véritables couloirs végétaux pour les animaux. Il y a des haies qui sont arrachées, d'autres sont brisées, dans ce dernier cas il n'y a plus de continuité, ça ne marche plus. On a des ronciers, qu'il n'y avait pas quand nous sommes arrivés, qui sont des niches à mammifères, à oiseaux et à insectes, et ça permet aux arbres de percer, ça fait comme un couvert végétal, les graines atterrissent là par hasard par le biais des oiseaux, entre autres, puis l'arbre va percer il n'y a même pas besoin d'entretenir sa base, il est naturellement protégé, c'est ce qu'on appelle des haies spontanées. Ça prend un peu de temps mais quand on est arrivés ici, c'était le désert, presque zéro végétation et donc peu d'animaux. En trois ans, le paysage s'est modifié de façon assez radicale.
Marie. On a laissé un espace où on n'intervient pas. Ne pas intervenir veut aussi dire pas de présence humaine, ça permet à des animaux sauvages d'avoir une niche. C'est des refuges pour qu'ils puissent se reposer tranquillement. On laisse aussi des bandes enherbées car il y a des animaux qui nichent dans les haies et d'autres dans les herbes et en faisant les deux on favorise et préserve plusieurs espèces.
Pascal. Aussi, tous les vieux arbres et les arbres morts, on ne les touche pas car ce sont de véritables immeubles pour les animaux (sourires), c'est rempli d'insectes, d'oiseaux et de petits mammifères. On refuse de détruire l'habitat des animaux.
Marie. 8 000 m² environ.
Pascal. On est dans un esprit d'agroforesterie, on a 4 500 m² en deux parcelles bordées de haies, la place des arbres est donc très importante. Si tu prends le volume des arbres, leurs couronnes, ça fait presque la moitié de notre surface de production !
Pascal. Oui, par exemple le hérisson. On va l'aider à s'installer d'ailleurs.
Pascal. Quand on est arrivés ici, il y avait un écosystème, on y a créé un agrosystème, on a donc modifié l'écosystème pour pouvoir cultiver, il y a eu une intervention humaine qui a bouleversé l'écosystème. Notre intervention là-dedans c'est de bouleverser au minimum l'écosystème, voire de l'améliorer pour favoriser la venue d'animaux sauvages, des auxiliaires, et d'une biodiversité végétale. On veut nuire le moins possible autour de nous, on veut réussir à cohabiter, mais on perturbe cet écosystème d'une façon ou d'une autre. On en détruit une partie, on le modifie.
Il y a des rongeurs qui viennent se nourrir dans nos cultures, des chevreuils et des lapins aussi, on n'intervient pas, on accepte ça. Tant que les animaux nous laissent la part dont on a besoin, ça pose pas de problème.
Il y a un équilibre dit naturel qui est perturbé depuis que l'homme cultive, l'homme par son intervention va détruire des animaux au bénéfice d'autres animaux. Du coup, l'équilibre se fait plus ou moins bien. L'agrosystème va perturber une certaine faune mais une autre va très bien s'adapter à ce nouvel environnement, on a modifié ce cycle surtout avec l'agriculture intensive et on a supprimé cet équilibre. On peut se retrouver avec trop de rongeurs et plus assez de renards, la chaîne est brisée.
Pascal. D'abord, faire que cet ensemble se retrouve, favoriser le retour de certains animaux comme, justement, le hérisson.
Si on veut réussir à cultiver pour vivre, on est obligé de bouleverser et d'intervenir. Dans le contexte actuel, j'ai envie de répondre à ceux qui trouveront toujours à redire : « mais de quoi te nourris-tu, alors ? » Ce n'est pas pour répondre à une question par une autre mais...
L'agriculture végane prend en compte le fait qu'on n'est pas tout seuls, c'est vivre en paix au maximum avec les animaux, mais faut pas se leurrer, le fait même de travailler le sol détruit des insectes et même parfois des petits mammifères piégés dans un outil. C'est une agriculture avec le minimum de cruauté, on limite les dégâts.
Pascal. On veut développer la production de plantes en soin des plantes, c'est-à-dire réaliser des préparations pour faire des apports d'azote ou des répulsifs de certains insectes, comme le purin d'ortie ou de prêle par exemple. On a envie d'intégrer un jardin médicinal mais pour les plantes, pour pouvoir intervenir en amont sur les cultures.
Marie. On s'adresse à tout le monde, on a donc des clients qui viennent chez nous car nous sommes labellisés Nature&Progrès, certains parce qu'ils désirent manger local, d'autres intéressés par des légumes qu'ils ne trouvent pas sur les autres stands.
Pour les haricots secs en AMAP, on a été présentés en tant que producteurs en agriculture végétalienne, c'était une première pour nous.
Pour l'instant on ne valorise pas notre agriculture végétalienne, car il n'y a pas de label, on le fera quand il y aura une mention créée.
Marie. Suite à notre rencontre avec le producteur en grandes cultures dont la démarche rejoint la nôtre, on s'est dit que ça pourrait être intéressant de valoriser nos pratiques en créant une structure en France. Alors, on a fait quelques réunions avec des militants des droits des animaux qui sont intéressés par cette démarche. On souhaite monter un mouvement d'agriculture végétalienne qui regrouperait des producteurs, des jardiniers et toute personne intéressée, et en parallèle créer une mention pour labelliser les professionnels. Lors de la dernière réunion on a nommé le réseau : RAVE (Réseau Agro Vegan Ecologique), la racine d'un nouvel élan.
Marie. Puisque ce n'est pas un mode de culture valorisé, il n'y a aucun moyen de savoir comment il est pratiqué. Tant qu'il n'y a pas de structures pour regrouper ces producteurs il sera impossible de faire une estimation. Pourtant, il doit y avoir plein de personnes dans cette démarche !
Marie et Pascal. On participe à une cantine végétalienne qui fait la promotion du végétalisme. Elle consiste à distribuer des repas végétaliens et bio sur différents événements (festifs ou militants) pour pouvoir toucher un large public avec un tarif accessible (prix libre). Ça fait 9 ans qu'elle existe, on a dû servir environ 36 000 repas depuis le début ! On a de très bons retours de personnes qui avaient peur de manger sans viande et qui nous recontactent, c'est une chouette expérience. Et bien sûr, la majorité des ingrédients proviennent de notre champ ! C'est une structure non commerciale, nous sommes bénévoles de l'association. Les bénéfices vont au renouvellement du matériel de cuisine et à l'achat de brochures et tracts proposés en complément du repas.
Début décembre 2013, je suis allée à la rencontre de Thierry, céréalier à Pouancé dans les Pays de la Loire, dont j'avais fait la connaissance un an auparavant lors d'une rencontre en Bretagne sur l'agriculture biovégétalienne. J'avais aimé son étonnant parcours, preuve que notre regard porté sur les animaux évolue.
Bérénice Riaux
C'est la culture de végétaux, sans élevage d'animaux domestiques, sans usage de produits issus de l'élevage comme le fumier, le lisier, les fientes de volailles, le purin, le compost de déjections animales ou les déchets d'abattoirs transformés en farines d'os, de plumes. C'est donc cultiver sans produits issus des animaux. C'est la base.
Non, je vais te présenter ma ferme. Par le passé, on utilisait le terme paysan, puis agriculteur, et enfin exploitant alors que ce mot ne devrait être utilisé que pour les activités qui extraient quelque chose du sol, comme un exploitant de carrière, lui c'est un vrai exploitant. Ce terme ne correspond pas à mon activité.
Je vais donc te présenter ma ferme ! Elle s'étend sur 85 hectares de cultures et de jachère. Il y a une grande diversité culturale.
Je cultive des variétés dites anciennes ou de pays, c'est-à-dire des variétés qui ont été sélectionnées progressivement par le cultivateur. Pour le blé ancien, je mélange plusieurs variétés, cela permet à la culture de se renforcer. Les variétés anciennes sont très adaptées à l'agriculture biovégétalienne car ces blés sont capables de se nourrir d'eux-mêmes et ils ont de hautes pailles, ce qui est un avantage pour l'enrichissement du sol et évite les soucis d'enherbement. Je vends seulement le grain, pas la paille, je la laisse sur place, à même le sol. Je cultive du seigle de pays, et là aussi c'est une variété ancienne et avec de grandes pailles d'environ deux mètres de haut. Le seigle démarre très bien et prend efficacement le dessus sur les adventices. En engrais vert, je sème la phacélie, la moutarde, la féverole, le trèfle, etc. Je cultive aussi en mélange du grand épeautre de souche non croisé avec du blé malgré un rendement inférieur, et de la féverole et de l'avoine, qui sont complémentaires : l'une est une graminée, l'autre une légumineuse. Je fais aussi du lin, de la lentille, du pois chiche, du tournesol, du sarrasin et du trèfle ; ce dernier participe au repos du sol car en l'enrichissant en azote, il recharge son garde-manger. Pendant longtemps je n'ai pas enrichi le sol, puis je me suis rendu compte que c'était très important, voire essentiel.
J'ai repris la ferme d'élevage de quarante vaches laitières de mes parents en novembre 2000. J'ai de suite transformé la ferme en bio et arrêté le travail à la charrue. J'ai mis fin à l'élevage en février 2003 et aux intrants d'origine animale en 2004. L'année suivant l'arrêt de l'élevage, j'ai effectué un échange paille-fumier. J'ai fait des essais sur des bandes sans et avec fumier. Résultat : pas de différence. Peut-être n'en mettais-je pas suffisamment, en tout cas j'ai arrêté et essayé de cultiver autrement. En tant que tel, le fumier n'est pas un engrais, c'est juste des éléments fertilisants qui ont transité par un animal qui a mangé l'herbe provenant du champ d'à côté, des céréales ou du soja provenant de France, voire de bien plus loin, en fait cette fertilisation vient de toute la planète !
C'était d'ordre très personnel, je ne voulais pas avoir la contrainte de l'élevage rythmé par l'animal et ce sentiment de dépendance ne me plaisait pas. Au fond de moi, je n'avais pas envie, ça ne me correspondait pas, mais je ne mettais pas de mots à cette époque. Je n'avais pas envie d'envoyer des animaux à l'abattoir, ça me faisait toujours mal au cœur. Il y a un rapport affectif avec la vache, c'est même assez impressionnant. Aux alentours de 17 h 30, elles rentraient pour l'heure de la traite, elles sont soumises par la production, elles subissent ce rythme de vie, et le paysan aussi !
La séparation du veau et de la vache, ce n'était jamais facile. Je laissais la vache mettre bas seule, je n'avais pas envie de tirer, couper, surveiller, utiliser les cordes [8] sans nécessité comme le font certains éleveurs. Et puis, ce n'était pas mon projet. Il fallait changer, c'est une évolution de la conscience, et c'est accepter que ce qui est fait depuis des années n'est pas forcément juste. J'ai mangé de la viande, oui, par habitude et par coutume, car je n'avais pas la bonne information. Et puis tout ça c'est culturel, sociétal, l'important est qu'il est bon d'accepter le changement juste pour sa propre conscience.
Déjà, sans charrue depuis huit ans, c'est très important. Ce qui est largement pratiqué dans l'agriculture est le retournement du sol sur 20 à 25 cm pour qu'il soit propre, cette notion de propreté est très présente, on voit très souvent des sols à nu.
Donc, je travaille le sol seulement en superficie entre 10 et 15 cm pour trois raisons.
Premièrement, c'est écologique. Dans les dix premiers centimètres du sol se trouve la vie aérobie, c'est la vie des bactéries et des champignons qui vivent avec l'air ambiant et participent à la fertilisation du sol de façon disons naturelle. Ces 10 cm ne doivent pas être mélangés à la vie anaérobie qui se développe plus profondément, où d'autres bactéries logent et qui n'ont pas besoin d'air. Si on les mélange, le sol doit se réorganiser et ça entraîne une fatigue du sol. Pour imager grossièrement, c'est comme lorsque je balaye ma cuisine, je fais un tas, et là quelqu'un arrive et donne un coup de pied dedans, je vais recommencer et ainsi de suite, c'est fatigant.
Deuxièmement, c'est agronomique, car ne pas retourner le sol permet de lui garder son organisation, l'eau peut pénétrer plus rapidement, elle s'infiltre mieux, ça évite les débordements qui favorisent les crues. Ce phénomène est de plus en plus constaté depuis une dizaine d'années.
Troisièmement, c'est économique, car ne pas retourner le sol, c'est dépenser moins de carburant et avoir du matériel moins puissant donc moins coûteux.
Je sème avec des outils simples à dents qui ne sont pas entraînés par la prise de force d'un tracteur. Ils sont moins violents pour les sols et respectent plus sa structure. J'ai recours aux engrais verts, je ne laisse jamais des sols à nu, pour les protéger du climat (ici c'est principalement le vent, la pluie et les gelées), ils produisent de la matière verte pour la fertilisation d'origine végétale et développent la vie du sol. C'est aussi une ressource pour la faune sauvage. Je fais en sorte de mettre les conditions optimales pour que la chaîne alimentaire se débrouille.
Je protège aussi mes sols en laissant composter sur place l'ensemble des pailles de mes récoltes.
De retrouver une fertilité suffisante pour permettre de produire de manière normale, c'est-à-dire pour obtenir un rendement suffisant et en vivre correctement.
Autre point, c'est parfois difficile de faire disparaître l'herbe sur les terres cultivées, vu que je n'utilise pas d'herbicide. Sinon, il n'y a pas d'autres problèmes !
Je produis 2 ou 3 tonnes de blé par hectare. Je fais moins de rendement en grain que ceux qui utilisent des intrants biologiques (farines de plumes ou d'os, fientes de volailles, etc.) mais attention, pas forcément moins de marge économique ! D'ailleurs, beaucoup de céréaliers en agriculture biologique ne veulent plus de l'élevage et cultivent en agriculture biovégétalienne sans le savoir. La fertilisation d'origine animale est chère et peut venir de loin, ce qui est source de dépenses supplémentaires et de pollution.
Un jour, j'ai fait un test : j'ai acheté des fertilisants à base de farine de plumes issues de l'élevage industriel qui sont autorisés en agriculture biologique. J'ai récolté entre 8 et 10 quintaux [1 quintal = 100 kg] de plus de céréales par hectare, mais le coût d'achat du fertilisant représentait 8 quintaux de grains par hectare sans compter mon temps de travail supplémentaire, autant dire que le gain économique était nul (rire).
À ma connaissance, il n'y a pas eu de publications scientifiques mais un sol sans fertilisation produirait des céréales qui seraient plus riches en vitamines et auraient une vitalité supérieure.
En agriculture biovégétalienne, le cycle végétal de la plante est respecté, le sol et la plante sont en osmose optimale. C'est-à-dire que lorsque tu apportes un fumier ou une farine de plume, tu apportes brusquement un ingrédient exogène dans le champ qui modifie fondamentalement la vie du sol comme le taux d'humidité, les champignons, et ça entraîne une désorganisation du sol.
Oui ! Je ne loue aucune de mes terres aux chasseurs et ils ne viennent pas chez moi, même si parfois ils me demandent de venir chasser dans les couverts végétaux, pour traquer le renard par exemple !
J'ai replanté des haies sur environ 2 km, il y a les couverts végétaux qui abritent des animaux. Les plantes cultivées en mélange, par exemple la plantation de légumineuses dans un champ de blé [les légumineuses ont des fleurs], attirent de nombreux insectes différents.
Je laisse aussi des zones en jachère et je débroussaille peu, seulement tous les 2 ou 3 ans aux pieds des haies.
Quant aux talus, ils suivent leur cycle, l'herbe pousse puis se dessèche en automne.
Tous les animaux sont les bienvenus ! Par contre, à partir du moment où on cultive, on tue des insectes et des petits mammifères, mais j'essaie de faire du mieux possible notamment en n'utilisant que des outils à dents ou à disques, pas d'outils entraînés par la prise de force du tracteur qui broie la micro faune et les insectes du sol.
Si tout le monde cultivait son lopin de terre en agriculture biovégétalienne sans labour et en étant soi-même végétalien, on pourrait réduire encore le nombre d'animaux tués.
Le sanglier vient parfois, mais ne fait pas de dégâts catastrophiques. Les éventuels dégâts sont liés au retournement du sol avec son groin, ça abîme mais c'est pas bien grave. Je l'accepte. Des fois je lui dis : « Tu peux passer, tu peux manger, mais retourne pas tout ! » (rire).
Il faut essayer d'être le plus juste, c'est un exercice qui s'apprend.
Tu sais, le sanglier c'est comme l'ours : tout le monde en parle, mais peu l'ont vu ! Il peut manger plusieurs rangs de maïs, mais ça peut se comprendre car c'est la seule plante qu'il reste à partir du 15 août. De plus, il n'a plus de zone refuge.
J'ai un voisin qui est négociant en bestiaux, l'autre jour il me dit : « Quand on passe devant chez toi très tôt le matin, on en voit du gibier ! Il y en a bien plus qu'ailleurs ! ». Je pense que les animaux savent qu'ici ils ne sont pas chassés et qu'ils ont des endroits où se réfugier, mais surtout ils savent ce qui est bon ! (rire)
Cultiver des graines qui soient destinées uniquement et directement aux humains. Aujourd'hui, j'ai la féverole qui est consommée par des animaux d'élevage.
J'ai 6 hectares de prairies naturelles, le foin de la jachère, si je ne le vends plus aux éleveurs, qu'est-ce que j'en fais ? Il y a les zones refuges bien sûr, mais je suis en plein questionnement quant à ces hectares.
À tout le monde, de la vente au négociant ou aux coopératives en passant par le particulier ou le magasin. J'étiquette mes produits « agriculture biovégétalienne », personne ne me pose de questions, on me dit juste « qu'est-ce que c'est bon ! ».
L'agriculture biologique aujourd'hui tire la majorité de son rendement grâce à l'agriculture chimique. À chaque fois qu'un agriculteur bio utilise des fientes de volailles, de la farine de plumes, de sang, d'os, il cautionne l'agriculture industrielle car ces déchets proviennent de l'élevage intensif. L'agriculture biovégétalienne existe mais n'est pas identifiée en tant que telle. Dans la tête des bios, on ne peut pas faire d'agriculture sans intrants d'origine animale, c'est un dogme.
C'est plus fréquent que l'on peut l'imaginer, mais ces producteurs ne le savent pas, il faudrait que ça soit nommé, il faudrait leur dire.
Non, je n'ai pas d'animaux domestiques ni chiens, ni chats, par choix de liberté de mouvement pour moi-même et pour ne pas reproduire le cercle animal domestique dépendant de l'humain et l'humain dépendant de l'animal domestique dans son quotidien.
Ah si ! ça fait une dizaine d'années que je ne mange plus d'animaux, je suis quasiment végétalien. Au début, je n'assumais pas trop à cause de la peur des réflexions de la famille, mais depuis la société a évolué et l'évolution du végétarisme en dix ans est énorme.
Mis en ligne le 29 mars 2014.
[1] La technique du BRF (bois raméal fragmenté) consiste à pailler le sol sur une faible épaisseur de fins rameaux de bois vert hachés qui ont la capacité de recréer rapidement de l'humus grâce aux mycorhizes qui s'y développent.
[2] Pascal veut probablement parler de fumier de volailles plutôt que de guano au sens propre.
[3] Vegan Organic Network, une association qui labellise cette forme d'agriculture.
[4] Pratique qui consiste à cultiver en bande et à laisser des passages entre chaque rang de cultures, ce qui évite, entre autres, de tasser le sol.
[5] Labour de surface.
[6] Animaux qui consomment des insectes non désirés sur certaines cultures, l'exemple le plus connu est la coccinelle qui se nourrit de pucerons. Un insecte peut être un auxiliaire désiré sur une certaine culture et non désiré sur une autre.
[7] La tétragone et l'arroche sont des légumes à feuilles, un peu comme l'épinard.
[8] Les cordes sont utilisées pour tirer le veau lors de l'accouchement.