Réponse sommaire aux affirmations diffamatoires lancées contre nous
On trouvera ici le deuxième des trois textes extraits de la brochure Agression à AntifascistLand du Comité « La manipulation verbale » formée suite à l’agression anti-antispéciste d’El Indiano.
Nous sommes, comme les autres participantEs à la Rencontre, antiracistes, antisexistes, et plus généralement partisanEs dans tous les domaines de l'égalité humaine. Mais nous sommes aussi antispécistes, c'est-à-dire que nous luttons également pour l'égalité animale et contre l'oppression dont sont victimes les animaux non humains. Nous luttons contre le préjugé mystique, religieux, selon lequel les intérêts des membres de notre espèce importeraient plus - infiniment plus, même - que ceux des membres des autres espèces ; selon lequel importerait non le bonheur et la joie de nos vies, mais seulement une dignité métaphysique, indépendante de ce que nous vivons, attribuée aux seules vies humaines :
De toutes les créatures visibles, seul l'homme est "capable de connaître et d'aimer son Créateur" ; (...) c'est là la raison fondamentale de sa dignité (...). Parce qu'il est à l'image de Dieu, l'individu humain a la dignité de personne : il n'est pas seulement quelque chose, mais quelqu'un.
Catéchisme de l'église catholique, 1992 (§ 356 et 357)
Nous luttons pour l'irruption de la rationalité dans l'éthique, domaine monopolisé jusqu'à présent par les religions. Il ne s'agit pas de la « froide rationalité instrumentale », mais au contraire de la simple exigence, logique et cohérente, et qui devrait aller de soi, de prise en compte égale des intérêts de touTEs les individuEs concernéEs par un acte.
La violente opposition que rencontre parfois l'antispécisme se traduit très souvent non par des arguments contre nos thèses, mais par le refus d'en discuter. Cependant, à El Indiano, c'est sur un autre terrain que nous avons été attaquéEs : celui de l'euthanasie humaine. Et là aussi on nous a dit : "De l'euthanasie, on ne discute tout simplement pas."
Nous n'avons jamais milité sur le thème de l'euthanasie, qui nous intéressait peu politiquement. Nous pensons cependant que cette question et celle de l'oppression animale sont liées. Dans les deux cas est mis en cause le même tabou : la valeur sacrée accordée à la vie d'unE individuE non en raison de ses intérêts réels, mais de sa simple appartenance à l'espèce humaine.
Nous avons étés attaquéEs et diffaméEs à El Indiano parce que nous diffusons, entre autres choses, les écrits antispécistes du philosophe Peter Singer. Or celui-ci, en tant que chercheur académique, s'est efforcé par ailleurs de briser aussi le tabou de l'euthanasie humaine. Singer a été traité de fasciste à cause de son engagement sur ce terrain, et nous aussi l'avons été parce que nous refusions de le reconnaître comme fasciste.
Nous réaffirmons ici que les positions de Singer, sur ce sujet comme sur d'autres, bien loin d'être fascistes, résultent d'une volonté de dégager nos jugements et nos actes de la gangue mystique et religieuse qui les enserrent depuis des siècles. La volonté de prendre en compte, non des constructions métaphysiques étrangères à nos plaisirs, à nos désirs et à nos peines, mais la réalité concrète de ce qui fait la valeur de nos vies, de la vie de chacune, homme ou femme, Arabe ou Aztèque, intelligente ou non, jolie ou non, forte ou faible, humaine ou non, est une volonté juste, généreuse et progressiste.
Les animaux non humains sont massivement victimes du spécisme. Dans un cas cependant au moins, des individuEs humainEs sont eux et elles aussi victimes du spécisme. Lorsqu'il est clair, au delà de tout doute raisonnable, qu'un animal ne peut espérer autre chose qu'une vie de souffrance, chacunE accorde qu'il est juste, au nom des intérêts de cet animal, de le tuer. Lorsqu'il est clair, au delà de tout doute raisonnable, qu'un nouveau-né humain ne peut espérer autre chose qu'une vie de souffrance, il est tout aussi juste, au nom des intérêts de ce nouveau-né, de le tuer. Mais l'État, l'église et nos "antifascistes", au nom de l'Humanisme, c'est-à-dire en fin de compte de ce "caractère sacré" de la vie humaine martelé depuis deux millénaires par le Christianisme, imposent qu'on le fasse souffrir jusqu'au bout.
(...) une action ou une omission qui, de soi ou dans l'intention, donne la mort afin de supprimer la douleur, constitue un meurtre gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant, son Créateur.
Catéchisme de l'église catholique (§ 2277)
Les positions réelles de Singer sur l'euthanasie, qui sont résumées ci-dessous, sont très, très éloignées de celles qui lui ont été attribuées à El Indiano. Le fait même que l'on se permette d'attribuer à une personne dont les thèses sont publiques des positions aussi éloignées de la réalité est symptomatique de l'absence grave de désir de vérité qui marque la gauche radicale européenne d'aujourd'hui.
Nous allons reprendre quelques-unes de ces allégations, le plus souvent absurdes, auxquelles on nous a interdit de répondre. Nous n'entendons pas ainsi fermer le débat, mais l'ouvrir.
« Singer veut tuer tous les handicapés à la naissance »
Il s'agit d'une diffamation. Singer a résumé ses positions réelles de la façon suivante :
Mon intention, au cours de ces conférences, était de défendre une thèse que j'avais déjà argumentée et défendue dans plusieurs publications antérieures : à savoir que les parents d'un nouveau-né gravement atteint devraient pouvoir décider, en accord avec leur médecin, si l'enfant doit vivre ou mourir. Si les parents et leur conseiller médical aboutissent à la conclusion que la vie de l'enfant sera si misérable qu'il serait inhumain de la prolonger, il devrait leur être permis de lui assurer une mort rapide et sans souffrance. Une telle décision pourrait s'avérer raisonnable dans le cas, par exemple, d'un enfant anencéphale (littéralement, « sans cerveau » ; il n'y a alors aucun espoir que l'enfant devienne un jour conscient) ; ou s'il souffre d'une atteinte chromosomique grave, comme la trisomie 18 qui se traduit par des anomalies du système nerveux, des organes internes et des traits externes et où la mort survient toujours en quelques mois, ou au maximum en deux ans ; ou dans des cas graves de spina bifida, lorsque l'exposition néonatale de la moelle épinière provoque une paralysie au-dessous de la ceinture, l'incontinence urinaire et fécale, une accumulation de liquides autour du cerveau et, souvent, un retard mental. Il n'est pas dit que les parents soient toujours en mesure de se prononcer de façon objective sur l'avenir de leur enfant. Dans certains cas - peut-être dans le cas du syndrome de Down - l'enfant ne fait pas nécessairement face à une vie de souffrance ; cependant, son état requerra une somme de soins et d'attention bien supérieure, pendant plus longtemps, que n'en exige un enfant normal. Certains couples peuvent estimer ne pas être en mesure de fournir les soins nécessaires, ou craindre des conséquences négatives d'une telle tâche pour leur famille déjà établie. Ce fait peut les amener à refuser d'autoriser une intervention chirurgicale vitale, voire à prendre des mesures plus actives pour mettre fin à sa vie. Il peut cependant dans ce cas exister d'autres couples prêts à fournir à l'enfant un foyer affectueux ; ou bien, la communauté dans son ensemble peut être en mesure de prendre sur elle les soins médicaux et de garantir à l'enfant les meilleures conditions possibles pour une vie heureuse et l'épanouissement de ses facultés. Dans de telles circonstances, vu que la vie de l'enfant ne sera pas de pure misère, et qu'on n'imposera pas aux parents de prendre l'enfant à leur charge, ceux-ci ne peuvent plus exiger pour eux-mêmes une voix prépondérante dans les décisions concernant la vie ou la mort de leur enfant. (...) si j'affirme effectivement d'un côté que certaines vies ont dès le départ des perspectives si sombres qu'elles ne valent pas d'être prolongées, je crois aussi qu'une fois la décision prise de laisser se poursuivre une vie, tout doit être fait pour la rendre aussi heureuse et riche que possible. Ceci doit inclure l'éducation la meilleure possible, taillée sur mesure selon les besoins de l'individu, pour permettre le développement maximal des capacités particulières de la personne handicapée.
Peter Singer, Practical Ethics, deuxième édition (1992), annexe
« Singer est l'instrument du capital qui désire éliminer les improductifs. »
Il nous paraît peu vraisemblable que le capitalisme aujourd'hui s'attache à l'élimination physique des improductifs par le biais de l'euthanasie des handicapéEs, tout comme nous paraît peu vraisemblable que les thèses de Singer, qui enlèvent à l'État un pouvoir de décision pour le redonner en particulier aux proches de l'enfant, puissent être faciles à détourner dans ce sens ; d'autant plus que Singer lui-même s'est beaucoup attaché à étudier les mécanismes permettant d'éviter les abus et d'assurer la transparence des décisions.
C'est en faisant sienne une réflexion éthique rationnelle que la gauche radicale peut acquérir la crédibilité et la force nécessaires pour lutter à la fois contre les morales religieuses et contre toutes les utilisations perverses des techniques modernes.
« Singer a dit que les Aborigènes australiens sont moins intelligents et qu'il est juste de les exploiter. »
Invention pure. Singer milite pour la promotion des Aborigènes australiens et pour le respect de leur diversité culturelle. Nous fournirons à qui le demande un court texte écrit par lui et une autre personne sur la question des Aborigènes. Nous exigeons de nos accusateurs qu'ils citent leurs sources, ou, s'ils ne le peuvent pas, qu'ils se rétractent publiquement.
« Singer compare les abattoirs de poulets aux camps de la mort nazis »
Peter Singer lui-même évite de faire cette comparaison, qui, à son avis, choque les gens inutilement. Cependant :
Nous estimons cette comparaison plausible. Cette position irait dans un sens fasciste si elle entendait diminuer l'horreur que l'on a pour les agissements des nazis. Comme le démontre l'ensemble des écrits antispécistes, notre intention est au contraire de rendre conscientes de l'horreur que représente le traitement aujourd'hui réservé aux animaux non humains.
Nous entendons lutter contre tous les massacres, contre toutes les souffrances, contre tous les mépris, avec la même force, et pour les mêmes raisons.
Dans leur comportement envers les animaux, tous les hommes se comportent comme des nazis.
Isaac Bashevis Singer (sans parenté avec Peter Singer), écrivain yiddish, rescapé des camps de la mort hitlériens
Rappelons enfin que Peter Singer lui-même aurait du mal à sous-estimer l'horreur nazie.
Fils de réfugiéEs juifs australiens, trois de ses grands-parentEs sont mortEs dans les camps hitlériens.
Plus généralement, toute comparaison est bonne à faire ; aucun mal ne peut résulter d'une discussion sur les ressemblances et les différences entre deux choses.
Réfuter a priori une comparaison, c'est dire simplement qu'on en redoute les conclusions.
Claude Guillon, De la révolution
Il a été dit de nous à El Indiano, et de Singer généralement :
« On ne doit pas les laisser parler, car ce sont des expertEs en manipulation verbale »
Notre expérience de militantEs antispécistes, comme celle de Peter Singer face à ses opposantEs en Allemagne, démontre effectivement que, dès lors qu'il nous est permis d'engager une discussion sereine, nous parvenons très souvent à convaincre.
Nos adversaires attribuent cela à nos pouvoirs d'envoûtement. Il nous paraît plus rationnel d'y voir l'effet de la force de nos arguments.
Enfin, nous tenons à affirmer que nous ne sommes ni des « fans » ni des « adeptes » de Singer. Nous voyons en lui le premier théoricien moderne du mouvement de libération animale. Si Singer se situe lui-même politiquement dans la gauche modérée, par ses thèses sur l'égalité animale et plus généralement par sa pensée éthique laïque il représente un penseur d'une grande radicalité progressiste. CertainEs d'entre nous n'avons pas pour autant hésité à exprimer publiquement dans le passé de vifs désaccords stratégiques avec lui. Il nous paraît cependant tout à fait absurde, et scandaleux, de le qualifier de quelque façon que ce soit de fasciste.
La gauche radicale ne fera progresser le monde que si elle est capable de progresser elle aussi.
Cécile Paolucci,
Yves Bonnardel,
Angeles Pineda,
Ivan Caillat,
Yvan B.,
David Olivier,
Clémentine Guyard,
Jérôme Dumarty