L’article qui suit est paru sous le titre « Reversing the Future » dans The Vegetarian, Summer edition, 1999, p. 20-21. The Vegetarian est la revue de la Société végétarienne du Royaume-Uni
Sans nul doute, le végétarisme est parmi les mouvements alimentaires celui qui a connu le plus grand succès en cette fin de vingtième siècle. En 1945, le Royaume-Uni comptait environ cent mille végétariens. Vers le milieu des années soixante-dix, ce nombre avait presque atteint un million. Alors que ce siècle vit ses dernières années, on compte maintenant plus de quatre millions de végétariens, et l'on estime que 5000 nouvelles personnes tournent chaque semaine le dos à la viande.
Il y a de nombreuses raisons à cela ; un souci de santé personnelle, l'amour des animaux, et la crainte des pratiques agricoles modernes ne sont que quelques-unes d'entre elles. Beaucoup considèrent que l'élevage intensif est tellement contradictoire avec le bien-être des animaux qu'ils choisissent de s'abstenir du produit final - la viande. Certains adoptent une alimentation purement végétalienne, mais le régime qui est le plus suivi est lacto-végétarien, c'est-à-dire incluant les produits laitiers.
Cependant, cela conduit à une contradiction. Consommer du lait - qu'il provienne d'élevages intensifs ou de l'agrobiologie - occasionne nécessairement l'abattage des animaux producteurs, une fois qu'ils ont passé le cap de leur rentabilité maximum. La durée de vie moyenne d'une vache laitière est d'environ sept ans, alors qu'une vache vit naturellement environ vingt ans.
Comment résoudre la quadrature du cercle ? Une organisation britannique, VEDA [1], pense être parvenue à une solution en mettant au point une alternative, la ferme végétarienne ou « végéferme ».
Le modèle de relations homme/animal qu'ils proposent est fondée sur la protection et l'entraide mutuelles et réduit au minimum la souffrance animale - une sorte de symbiose. Si l'on suit leur système, il serait possible que les vaches donnent du lait, les moutons de la laine, et même d'obtenir du cuir sans compromettre le bien-être de l'animal et sans l'abattre.
Voici comment ils envisagent le fonctionnement de leur modèle. La ferme pratiquerait la polyculture agrobiologique en utilisant la traction animale comme moyen de travail et les animaux seraient protégés tout au long de leur vie naturelle. L'organisation a formulé un certain nombre de règlements de protection animale auxquels serait soumise la végéferme, qui suivrait également les règles de l'agriculture biologique. VEDA considère que ce type de ferme serait à même de fournir des biens et des services à un marché de consommateurs soucieux de l'éthique. Les produits seraient disponibles pour tout le monde, indépendamment des options diététiques et morales, les végétariens étant concernés par l'aspect de protection des animaux.
La ferme produirait en routine des céréales, des fruits et légumes, des fruits secs, des fleurs, du lait, de la laine, du cuir, et même de la viande pour animaux domestiques (provenant des morts naturelles). Elle fournirait aussi du bois de futaie et de taillis, du charbon de bois, du fumier et du compost. Elle fabriquerait des produits à valeur ajoutée comme des spécialités de fromages et de produits laitiers, des confitures, des conserves et des plats préparés. Parmi les services envisagés, on trouve des promenades en attelages tirés par des boeufs ou des chevaux, un café, un restaurant, des chambres d'hôtes, un établissement d'enseignement agricole et un centre d'artisanat et d'art rural.
Les organisateurs considèrent que ce type de ferme occuperait sur le marché un créneau d'énormes potentialités. Ils mettent en avant le phénomène de sensibilisation croissante des consommateurs à l'égard de leur nourriture, où la demande d'un haut niveau de qualité et de sécurité se double d'un souci de bien-être pour l'animal. Il n'y a jamais eu autant de personnes aussi bien renseignées sur les méfaits de l'agriculture intensive en termes d'environnement et de protection animale. C'est ainsi que vont sans cesse grossissant les rangs des consommateurs informés, qui remettent en question leurs rapports avec la nature, ses êtres vivants et sa biodiversité.
Ils notent également que les marchés des produits biologiques et des produits préparés végétariens sont en expansion, largement due à l'afflux des classes moyennes, et que la demande pour ce type de produits est souvent en avance sur l'offre.
Les productions des végéfermes offriraient aux consommateurs une alternative totalement nouvelle, la possibilité d'acheter des produits laitiers provenant d'animaux protégés, résolvant ainsi d'un coup le paradoxe inconfortable dans lequel de nombreux lacto-végétariens se sentent piégés.
Ce qui laisse en suspens la question du prix et de l'approvisionnement. Les organisateurs de VEDA pensent que le prix seuil du litre de lait produit à la végéferme serait autour de 80p. Toutefois, le lait n'est qu'un élément d'un système complexe qui n'a pas d'équivalent commercial. Le système marcherait-il ? VEDA pense que oui. L'opinion des lecteurs est la bienvenue.
[1] VEDA = Vegetarian Environmental Development Association = Association Végétarienne pour un Développement Ecologique [NdT].