Il faut ajouter enfin un trait singulier, si singulier qu'il lui est absolument propre et à elle seule : c'est qu'elle détruit, sans jamais avoir l'air d'y toucher, les frontières entre les règnes, je veux dire entre le végétal, l'animal et l'humain. Nous sommes du même sang (ou de la même glaise). Elle seule ne l'oublie jamais.
Dominique Aury
(NRF, n° 258, juillet 1974)
On entend souvent dire que les défenseurs des animaux et des droits de ces derniers sont des citadins sentimentaux, ignorants des réalités de la nature et de la vie rurale. Pourtant il est frappant de constater que trois des plus célèbres défenseurs français des animaux, Albert Schweitzer, Théodore Monod et Marguerite Yourcenar, ont grandi à la campagne et ont passé toute leur existence ou une grande partie de celle-ci à proximité de la nature et des animaux [1].
Marguerite Yourcenar reconnaissait volontiers que ses plus forts souvenirs étaient ceux du Mont-Noir [2], car c'était là qu'elle avait appris à aimer la nature et les animaux :
La grande qualité du Mont-Noir, pour moi, c'est la vie à la campagne, la connaissance de la nature. C'est très important pour un enfant d'avoir grandi dans un milieu naturel, d'avoir vécu avec des animaux, d'avoir rencontré quotidiennement des gens de toute espèce [3].
Mais il ne faut pas s'attendre à la voir idéaliser la vie rurale. Lucide, dans plusieurs de ses textes, elle décrit la réalité sans l'embellir. Par exemple :
Le riche aliment (le lait) sort d'une bête nourricière, symbole animal de la terre féconde, qui donne aux hommes non seulement son lait, mais plus tard, quand ses pis seront définitivement épuisés, sa maigre chair et finalement son cuir, ses tendons et ses os dont on fera de la colle et du noir animal. Elle mourra d'une mort presque toujours atroce, arrachée aux prés habituels, après le long voyage dans le wagon à bestiaux qui la cahotera vers l'abattoir, souvent meurtrie, privée d'eau, effrayée en tout cas par ces secousses et ces bruits nouveaux pour elle. Ou bien elle sera poussée en plein soleil, le long d'une route, par des hommes qui la piquent de leurs longs aiguillons, la malmènent si elle est rétive ; elle arrivera pantelante au lieu de l'exécution, la corde au cou, parfois l'œil crevé, remise entre les mains de tueurs que brutalise leur misérable métier et qui commenceront peut-être à la dépecer pas toute à fait morte [4].
Yourcenar, grande voyageuse, disait qu'elle n'était pas « un écrivain en chambre [5] ». Elle n'était pas non plus une écrivaine à l'eau de rose et quand elle dénonçait, cela faisait souvent mal :
Il y a dans toute la région [le Maine, aux Etats-Unis], en automne, l'intolérable brutalité de la chasse (dont les « accidents » cachent souvent des règlements de comptes humains [6]).
Mais qui est cette écrivaine (première femme élue à l'Académie française) qui dénonce la chasse, l'abattage des vaches laitières, et beaucoup d'autres choses comme nous le verrons plus loin ? Qui est cette écrivaine qui ose écrire que l'exécution des lions des fosses du Louvre à coups d'arquebuse – par ordre du roi qui s'était vu en rêve déchiré par des fauves – était un « crime assurément plus atroce que la nécessaire liquidation des Guises [7] » ? Qui est celle qui consacre trois pages sur les animaux dans l'œuvre de Selma Lagerlöf dans son essai critique « Selma Lagerlöf , conteuse épique [8] » ? Que pense-t-elle ? Que croit-elle ?
Marguerite Yourcenar est le fruit du Mont-Noir de son enfance et de la symbiose, facilitée par son père (qui n'était pas chasseur), avec la nature et les animaux. Ce fruit a mûri lentement, aidé par des recherches personnelles, intellectuelles et spirituelles continues. C'est vers 1941 qu'elle commence à se placer dans la perspective de l'universel. Elle-même qualifie ce pas comme un « passage de l'archéologie à la géologie, de la méditation sur l'homme à la méditation sur la terre [9] ».
Gandhi, Tolstoï, saint François d'Assise, Schopenhauer sont ses références. Mais la liste n'est pas exhaustive. Dans une lettre adressée à une doctorante qui avait entrepris une thèse sur L'Œuvre au noir, Yourcenar écrit :
Vous avez parfaitement raison de dire que je ne suis pas cartésienne (je n'ai à tort ou à raison aucun goût pour Descartes) ni stoïcienne au sens populaire du mot [...], les bases ou les harmoniques de ma pensée ont été dès le départ la philosophie grecque (Platon dans mon adolescence, vite dépassé par les néo-platonistes, et ceux-ci par les présocratiques), les méditations des upanishads et des sutras, les axiomes taoïstes [...] L'helléniste Gabriel Germain, l'auteur du très remarquable Regard intérieur (Le Seuil), s'est immédiatement aperçu qu'un bon nombre des méditations de Zénon dans « L'Abîme » étaient des exercices de méditation bouddhique (l'eau, le feu, les os, ce dernier plutôt et surtout chamanique) [...] Il n'est pas question d'ailleurs pour moi de rejeter ou de nier l'influence de mes origines chrétiennes [10].
Oui, mais elle qui disait que « saint François d'Assise est notre maître à tous [11] », fustigeait en même temps l'intransigeance et le dogmatisme des Églises chrétiennes [12] (et aussi des autres religions dites monothéistes). Et elle précisait :
J'ai plusieurs religions comme j'ai plusieurs patries, si bien qu'en un sens je n'appartiens peut-être à aucune. Je ne songe pas à renier l'Homme qui a dit que ceux qui ont faim et soif de la justice seraient rassasiés (dans un autre monde, car ce n'est pas vrai dans le nôtre), et que les purs verraient Dieu, et qui pour salaire s'est fait crucifier [...] mais je renonce encore moins à la sagesse taoïste [...] Je sais gré pour ce qu'ils m'ont appris de précieux sur moi-même et pour autant que j'en ai entrepris et poursuivi l'étude, au Tantrisme [...] et au Zen [...] Surtout, je reste profondément attachée à la connaissance bouddhique, étudiée à travers ses différentes écoles, qui, comme les différentes sectes chrétiennes, me paraissent moins se contredire que se compléter. Non seulement sa compassion pour tout être vivant amplifie nos notions, souvent étroites, de la charité [...] elle nous met en garde contre les spéculations métaphysiques ambitieuses pour nous inciter, surtout, à nous mieux connaître [13].
Marguerite Yourcenar, adversaire de tous les dogmatismes, est donc pour la solidarité et la compassion entre les humains, contre la guerre, contre la torture, contre le racisme, pour le respect et la compassion envers nos frères les animaux, pour le respect envers les végétaux qu'elle appelle créatures végétales ou créatures vertes, pour le respect et la sauvegarde de la nature, contre le nucléaire, contre le productivisme, contre la consommation irresponsable. Elle qualifiait notre société de « société de consommation et de destruction [14] ».
Installée aux États-Unis, où elle a passé la moitié de sa vie, Marguerite Yourcenar a été très anti-Nixon et très anti-Reagan. Avec sa lucidité ordinaire, elle a même prévu l'arrivée future au pouvoir d'un président du type de George W. Bush. Militante pacifiste, elle a pris part aux manifestations contre la guerre au Vietnam (à cette époque elle approchait la septantaine). Membre de nombreuses organisations et collectifs humanitaires, pacifistes, écologiques, antiracistes, de protection de la nature, de protection des consommateurs, etc., elle militait aussi pour les droits des animaux. Elle a été parmi les premiers à avoir alerté l'opinion publique au sujet de la chasse aux phoques nouveau-nés. Le 3 mars 1969, le journal Le Monde publiait une lettre d'elle dénonçant cette atrocité. La même année, Brian Davies, un des pionniers de l'opposition internationale à la chasse aux phoques, fondait l'IFAW (International Fund for Animal Welfare) qui devint l'une des plus importantes organisations de défense des animaux au niveau mondial.
Malgré son militantisme avéré, Yourcenar se jugeait inapte pour l'action directe :
En Amérique et en France j'appartiens à d'innombrables sociétés. J'écris, j'envoie des télégrammes [...] Mais je ne suis pas du tout faite, je crois, pour l'action directe. Ce n'est pas simplement en affirmant ses opinions, c'est en montrant un certain angle de vue, une certaine image qu'un écrivain peut se manifester [...] Il faut rester proche de la nature, enfin de tout ce qui relie l'homme à un destin planétaire [15].
Apte ou inapte pour l'action directe, Yourcenar est, en tout cas, un des écrivains les plus prolifiques en ce qui concerne la cause des animaux.
Dans le triptyque familial Le Labyrinthe du monde [Souvenirs pieux (1974), Archives du Nord (1977) et Quoi ? L'Éternité (édition posthume 1988)], dans certains de ses essais et autres écrits, les animaux sont omniprésents. Il y a les animaux de son enfance, il y a les animaux de ses familles paternelle et maternelle, jusqu'au sanglier domestique de l'arrière grand oncle, l'essayiste et poète belge Octave Pirmez, et au renard apprivoisé du cousin Jean. On y trouve de belles descriptions de la faune et de la flore. Mais on y trouve aussi et surtout des passages, des pages, des essais et des lettres décrivant lucidement la condition animale dans les sociétés humaines et dénonçant, souvent violemment, leur cruauté structurelle.
Nous avons vu plus haut que Le Monde avait publié une lettre d'elle concernant la chasse aux phoques. Le 16 février 1972, c'est au tour du journal Le Figaro de publier sa lettre dénonçant cette fois l'horreur des abattoirs et proclamant que la cruauté envers les animaux « c'est un crime contre l'humanité qu'il endurcit et brutalise un peu plus [16] ». Dans cette lettre, Yourcenar préconise le recours à la télévision pour montrer au public l'atrocité structurelle de l'abattage des animaux de boucherie.
En 1976, elle écrit un texte destiné à un recueil d'écrits féministes qui devait s'intituler Les Colériques et qui n'a pas été édité. Dans son texte, Yourcenar dénonce le port de fourrures [17].
« Qui sait si l'âme des bêtes va en bas [18] ? » est le titre (tiré de l'Ecclésiaste 3.21) d'une conférence qu'elle a donnée le 8 avril 1981, à Lisbonne, à la Fondation Gulbekian et dont le texte a paru la même année en traduction portugaise.
Dans son exposé, Marguerite Yourcenar dénonce tour à tour la maltraitance générale des animaux, l'élevage intensif et industriel, l'envoi des vieux chevaux de la Garde Républicaine aux stalles de l'Institut Pasteur aux fins d'expérimentation, les pollutions maritimes causées par les pétroliers, l'industrie de la fourrure, la notion de l'animal-machine et elle se déclare favorable à la « Déclaration des droits de l'animal ».
Yourcenar reproche au judaïsme et au christianisme officiels d'avoir interprété les éléments de leurs traditions d'une façon abusive et néfaste pour les animaux :
Il y avait dans le christianisme tous les éléments d'un folklore animal presque aussi riche que celui du bouddhisme mais le dogmatisme et la priorité donnée à l'égoïsme humain l'ont emporté. Il semble que sur ce point un mouvement supposé rationaliste et laïque, l'humanisme, au sens récent et abusif du mot, qui prétend n'accorder d'intérêt qu'aux réalisations humaines, hérite directement de ce christianisme appauvri, auquel la connaissance et l'amour du reste des êtres ont été retirés [19].
Estimant que toute l'histoire est une perpétuelle infraction à la loi « Tu ne tueras pas », Yourcenar conclut :
« Tu ne feras pas souffrir les animaux, ou du moins tu ne les feras souffrir que le moins possible, ils ont leurs droits et leur dignité comme toi-même », est une admonition bien modeste ; dans l'actuel état des esprits, elle est, hélas, quasi subversive. Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté, qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes. Rappelons-nous, puisqu'il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu'il y aurait moins d'enfants martyrs s'il y avait moins d'animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures si nous n'avions pas pris l'habitude de fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en route vers l'abattoir, moins de gibier humain descendu d'un coup de feu si le goût et l'habitude de tuer n'étaient l'apanage des chasseurs. Et dans l'humble mesure du possible, changeons (c'est-à-dire améliorons s'il se peut) la vie [20].
Au moment où l'on apprend (7 septembre 2010) la nouvelle du massacre de milliers d'oiseaux, dont beaucoup de migrateurs, par des braconniers dans une lagune réserve naturelle près d'Amalias (Péloponnèse) en Grèce, ainsi que celle de la battue aux pigeons à Albi, dans le Tarn, on apprécie la fermeté du discours, toujours actuel, de la grande écrivaine lors de ses entretiens avec Matthieu Galey [21] :
Je trouve atroce d'avoir à penser chaque année, vers la fin de l'hiver, au moment où les mères phoques mettent bas sur la banquise, que ce grand travail naturel s'accomplit au profit d'immédiats massacres, tout comme je ne nourris pas les tourterelles dans mon bois sans penser que soixante millions d'entre elles tomberont cet automne sous les coups des chasseurs. Il faut « limiter la prolifération des espèces », comme disent les gens qui ne songent jamais à limiter la leur. Jusqu'à un certain point, nous sommes tous d'accord, mais je songe aux millions de pigeons migrateurs (passenger pigeons) qui couvraient de leur vol le ciel des États-Unis : c'est une espèce aujourd'hui éteinte, dont il ne subsiste qu'un misérable spécimen empaillé, dans un musée de la Nouvelle-Angleterre, le reste s'étant changé en fricassées et en plumes de chapeaux.
Je me dis souvent que si nous n'avions pas accepté, depuis des générations, de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux, ou s'y briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à l'abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n'auraient supporté les wagons plombés des années 1940-1945. Si nous étions capables d'entendre le hurlement des bêtes prises à la trappe (toujours pour leurs fourrures) et se rongeant les pattes pour essayer d'échapper, nous ferions sans doute plus attention à l'immense et dérisoire détresse des prisonniers de droit commun [...] Et sous les splendides couleurs de l'automne, quand je vois sortir de sa voiture, à la lisière d'un bois pour s'épargner la peine de marcher, un individu chaudement enveloppé dans un vêtement imperméable avec une « pint » de whisky dans la poche du pantalon et une carabine à lunette pour mieux épier les animaux dont il rapportera le soir la dépouille sanglante, attachée sur son capot, je me dis que ce brave homme, peut-être bon mari, bon père ou bon fils, se prépare sans le savoir aux « Mylaï » [village vietnamien dont la population fut massacrée par un détachement américain]. En tout cas, ce n'est plus un « homo sapiens ».
Ailleurs, Yourcenar affirme qu'un animal est une personne, sans craindre d'aller à l'encontre de ce qui est communément admis en Occident. Cela est dit à propos du basset Trier, le chien de sa défunte mère (elle est décédée peu après la naissance de Marguerite). Trier est, sauf erreur, l'animal le plus mentionné dans le triptyque Le Labyrinthe du monde et dans son œuvre écrite en général. L'écrivaine affirme, au moins deux fois, que Trier est une personne [22].
Quand on lui posait la question : pourquoi cet intérêt pour les animaux ? Yourcenar, qui disait ne pas voir de grande différence entre le chagrin qui lui causait la mort ou le départ d'un être humain cher et ceux d'un de ses animaux [23], répondait :
Ce qui me paraît importer, c'est de posséder le sens d'une vie enfermée dans une forme différente. C'est déjà un gain immense de s'apercevoir que la vie n'est pas incluse seulement dans la forme en laquelle nous sommes accoutumés à vivre, qu'on peut avoir des ailes au lieu de bras, des yeux optiquement mieux organisés que les nôtres, au lieu de poumons des branchies. Ensuite il y a le mystère des migrations et des communications animales, le génie de certaines espèces [...] Et puis, il y a toujours pour moi cet aspect bouleversant de l'animal qui ne possède rien, sauf la vie, que si souvent nous lui prenons [24].
Ce dernier point est d'une importance particulière pour Marguerite Yourcenar. Elle écrit :
Un critique a observé que les personnages de mes livres sont de préférence présentés dans la perspective de la mort approchante, et que celle-ci dénie toute signification à la vie. Mais toute vie signifie, fût-ce celle d'un insecte, et le sentiment de son importance, énorme en tout cas pour celui qui l'a vécue, ou du moins de son unique singularité, augmente au lieu de diminuer quand on a vu la parabole boucler sa boucle, ou dans des cas plus rares, l'hyperbole enflammée décrire sa courbe et passer sous l'horizon [...] Ce qui surnage comme toujours, c'est l'infinie pitié pour le peu que nous sommes, et, contradictoirement, le respect et la curiosité de ces fragiles et complexes structures, posées comme sur pilotis à la surface de l'abîme, et dont aucune n'est pareille à aucune autre [25].
Mais la compassion pour Marguerite Yourcenar est le contraire de la mièvrerie. Selon elle :
La compassion, mot plus explicite que celui de pitié, puisqu'il souligne le fait de pâtir avec ceux qui pâtissent, n'est pas, comme on le croit trop, une passion faible ou une passion d'homme faible, qu'on puisse opposer à celle, plus virile, de la justice ; loin de répondre à une conception sentimentale de la vie, cette pitié chauffée à blanc n'entre comme une lame que chez ceux qui, forts ou non, courageux ou non, intelligents ou non (là n'est pas la question), ont reçu l'horrible don de voir face à face le monde tel qu'il est. À partir de cette vision extatique à rebours, on ne parle plus de beauté qu'avec certaines restrictions [26].
À cause de cette vision, certaines pages des trois livres de la saga familiale Le Labyrinthe du monde prennent l'allure de réquisitoire antispéciste (mais aussi pacifiste, anti-torture, antiraciste, écologique, anti-productiviste, solidaire etc.) stigmatisant le commerce d'ivoire, l'élevage des animaux de boucherie, la chasse, le piégeage des animaux, la vivisection, le port de fourrures et autres « crimes » que l'homme, « le prédateur-roi, le bûcheron des bêtes et l'assassin des arbres [27] » a commis contre les animaux. Et en parlant des dauphins, elle dit :
Je sais [...] tous les crimes que nous avons commis et commettons plus que jamais contre ces bondissantes déités marines. Je sais que notre destruction de la nature justifie celle de l'homme. Je le sais maintenant [28].
D'autres écrits de Marguerite Yourcenar sont le résultat de cette vision ou tirent bénéfice de celle-ci. C'est le cas de son essai critique sur Selma Lagerlöf (voir note 8). C'est notamment le cas de l'essai critique sur Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, le grand père de Mme de Maintenon [29]. Il y en a beaucoup d'autres et surtout L'Œuvre au noir, son roman majeur.
Dans L'Œuvre au noir, la mystique du respect de la vie et de la compassion déborde ; elle trouve son apogée lorsque la narration explique ce qui suit concernant Zénon, le héros du roman, médecin et philosophe alchimiste :
La viande, le sang, les entrailles, tout ce qui a palpité et vécu lui répugnait à cette époque de son existence, car la bête meurt à douleur comme l'homme, et il lui déplaisait de digérer des agonies [30].
« Il lui déplaisait de digérer des agonies » ! Ces sept mots ont fait plus pour le végétarisme éthique que plusieurs longs textes philosophiques ou militants réunis. Et ils ont marqué Théodore Monod.
Article mis en ligne le 25 septembre 2010
[1] Il est intéressant de noter que Théodore Monod et Marguerite Yourcenar faisaient partie du Comité d'honneur de la Ligue française des droits de l'animal, aujourd'hui « Fondation Droit animal, Éthique et Sciences », 30, rue Claude Bernard, 75005 Paris, tél. 01 47 07 98 99.
[2] Château, aujourd'hui disparu, campagnard, près de Bailleul, dans le Nord, propriété de la famille Cleenewerck de Crayencour – Yourcenar est un pseudonyme, anagramme de Crayencour – où elle a vécu jusqu'à l'âge de neuf ans. Le domaine avait des fermes et une écurie de chevaux. Il y avait aussi un maréchal-ferrant que le père de Marguerite aidait parfois à ferrer les chevaux en présence de l'enfant.
[3] Marguerite Yourcenar, Les yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey, Éd. du Centurion, 1980 ; Livre de Poche, 1982, p.20.
[4] Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux, Gallimard, 1974 ; folio, 1980, p. 36.
[5] Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar : l'invention d'une vie, Gallimard, 1990, 1993, p. 285- 286.
[6] Les yeux ouverts, op. cit. , p.129.
[7] Marguerite Yourcenar, « Ah, mon beau château », in Sous bénéfice d'inventaire, Gallimard, 1962, 1978, folio/Essais 1988, p. 100.
[8] Sous bénéfice d'inventaire, op. cit., p. 194-196.
[9] Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar : l'invention d'une vie, op. cit., p. 242.
[10] Lettre à Anat Barzilaï, du 22 septembre1977, citée par Josyane Savigneau, op.cit., p.544.
[11] Les yeux ouverts, op.cit., p.241.
[12] Cf. Les yeux ouverts, op.cit., p. 544-545.
[13] Les yeux ouverts, op.cit., p.313. Il est étrange que Marguerite Yourcenar ne mentionne pas le jaïnisme qui est pourtant la sagesse asiatique la plus respectueuse de l'homme, de l'animal et de la nature. Cf. Jean Nakos, « Le jaïnisme et les animaux », Cahiers antispécistes n° 32, mars 2010, p 53-63.
[14] Lettre à Jean-Paul Tapié, 20 novembre 1969, citée par Josyane Savigneau, op.cit., p. 448.
[15] Matthieu Galey, « C'est une reine Yourcenar », Réalités n° 345, octobre 1974, p. 70-75, cité par Josyane Savigneau, op.cit., p.555.
[16] Marguerite Yourcenar, « Une civilisation à cloisons étanches », in Le Temps, ce grand sculpteur, Gallimard 1983/ folio 1991, p. 193, 194, 195.
[17] Marguerite Yourcenar, Marguerite Yourcenar, « Bêtes à fourrures », in Le Temps, ce grand sculpteur, op. cit., p. 91, 92, 93.
[18] Le Temps, ce grand sculpteur, op. cit., p. 149-157.
[19] Le Temps, ce grand sculpteur, op. cit., p. 155.
[20] Les yeux ouverts, op. cit., p. 156-157.
[21] Les yeux ouverts, op. cit., p. 293, 294.
[22] Souvenirs pieux, op.cit., p. 46, 47 et 360.
[23] Souvenirs pieux, op.cit., p. 231.
[24] Souvenirs pieux, op.cit., p. 298.
[25] Souvenirs pieux, op.cit., p. 157.
[26] Souvenirs pieux, op.cit., p. 230-231.
[27] Archives du Nord, Gallimard, 1977 ; folio, 1983, p. 21.
[28] Quoi ? L' Éternité, op. cit., p. 263.
[29] « Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné », in Sous bénéfice d'inventaire, op.cit.
[30] L'Œuvre au noir », op. cit., p. 240.